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Cordouan, la lumière solidaire séculaire

C’est un constat dans l’histoire de l’humanité voulant que les bâtisseurs espèrent par orgueil tutoyer le ciel ou plus exactement de tenter de le faire. Ils cherchent le toujours plus haut de telle manière que leur nom s’inscrive sur les tablettes de l’Histoire. En fait la majesté ne dépend pas nécessairement de l’altitude atteinte mais surtout de la qualité de l’ouvrage. Quand à quelques encablures du départ du port de Le Verdon on aperçoit sur la ligne de l’horizon un minuscule tiret blanc entre mer et ciel on imagine pas un seul instant que l’on se dirige vers un édifice exceptionnel voulu par des hommes pour sauver des hommes. Une lumière dans l’obscurité pérenne du temps a été installée sur une langue de terre émergeant des flots qu’à marée basse afin de donner un repère aux laboureurs des océans. Le phare de Cordouan défi séculaire face aux éléments déchaînés symbolise cette volonté de solidarité qui a traversé les ans.
Solitaire, orgueilleux, sûr de sa force il grossit au fur et à mesure que le visiteur désireux de le rencontrer approche. Dans l’immensité de cette jonction entre l’estuaire de la Gironde et l’Atlantique il n’a justement jamais cessé de grandir, de se hisser au-dessus des flots, de se muscler afin de tenir bon dans toutes les tempêtes. Tel un chandelier géant il est posé sur une table de nuit sableuse où la marée a oublié des miroirs d’eau aux formes oblongues. Il attend patiemment son heure pour que la lumière soit !
Édifié par étages successifs voulus par les grands il inspire une force sereine de près et une inquiétante fragilité de loin. La base ressemble étrangement à une forteresse circulaire exclusivement destinée à ancrer la construction sur ce plateau rocheux qui avance vers cet océan qui trompe son impatience de revenir à l’assaut en ourlant d’écume blanche des vagues de plus en plus puissantes. Il est là en attente d’une guerre éternelle entre les hommes bâtisseurs et ces éléments que la nature sait générer. Peu esthétique mais d’une robustesse rassurante le rempart a été sans cesse renforcé afin de briser les offensives aveugles, rageuses, répétitives de cet ennemi infatigable qu’est la marée. Cette île sans âme dissimule encore une couronne de lieux de vie pour ces humains confiants dans sa résistance.
Une cité encastrée dans une muraille accueillait en effet les gardiens devant lutter contre les ténèbres et préserver les navires de l’enfer d’une zone de rencontre aventureuse ou mortelle. Leur cuisine, leurs chambres, leurs commodités, leurs réserves ne sont en fait que des cellules d’un emprisonnement volontaire dès que la mer a fermé les portes en cernant le lieu. Une seule porte aux ferrures forgées par un Titan s’ouvre le temps des marées bases sur des escaliers usés par les attaques constantes de l’eau. Désormais elle est franchie par plus de 25 000 visiteurs avides de découvrir Cordouan ce qui a redonné un espoir de tenir encore son poste à la sentinelle de l’estuaire.
Au cœur de cette citadelle de l’impossible l’orgueilleuse tour destinée à faire la lumière. Sur des fondations Henri IV des rois ou des empereurs ont fait élever la silhouette plus affinée, plus élégante, plus esthétique du porte lanterne.
L’œuvre a nécessité de la sueur, du sang et des larmes mais aussi des talents manuels exceptionnel puisque tout y est conçu et agencé en mêlant la solidité et l’élégance. Plus de 400 tonnes de pierre ont été taillées, décorées, assemblées afin que ce qui ne devait être qu’un édifice utilitaire soit en fait un véritable monument de goût. La simplicité, le dépouillement font l’élégance rare de ce phare où le roi avait sa chambre qu’il n’a jamais pris le risque de venir simplement découvrir. Plus haut à une soixantaine de mètres du sol des cagibis de bois vernissés abritaient les « surveillants » du faisceau lumineux que rien ne devait interrompre. C’est ce contraste étonnant entre le superflu et l’indispensable qui constitue la découverte la plus étonnante du phare de l’estuaire de la Gironde. Des dizaines et des dizaines d’années de labeur pour des centaines de travailleurs contraints mériteraient une vraie reconnaissance pour avoir offert au monde in tel ouvrage.
Cordouan, sorte de cathédrale marine insubmersible tient tête au nom des hommes aux lames les plus gigantesques. Il a échappé à l’abandon, il a perdu ses habitants depuis quelques années mais il a continué à conserver l’estime collectif par sa durabilité dans un monde de l’éphémère ou de l’automatisation. Il respire et s’ouvre aux autres ou se recroqueville sur lui-même au rythme de la marée. Il cligne de l’œil chaque soir quand les autres ferment les yeux… Cordouan mérite bien d’entrer dans la liste des phares de l’humanité ne serait-ce qu’en hommage à ces hommes qui depuis 505 ans ont tout fait, au péril de leur vie, pour qu’une lumière solidaire brille sur l’estuaire de la Gironde.

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    Magnifique hymne à ce monument, sans doute la seule œuvre utile émergeant d’un océan de futilités, de violence et de cruauté.
    Avec le canal du Midi, c’est tout ce que je retiens de positif, de tout le règne de celui qui, orgueilleux et mégalomane suprême, se prenant pour un grand roi, et même un astre, a contribué à ruiner la France.

    Vanitas vanitatum…

  2. J.J.

    Dans un genre plus léger, on pourrait dire que Cordouan a été une réalisation phare du règne de Luis XIV…..
    On n’est pas obligé de rire.

  3. bernadette

    Dommage que tous les monuments historiques soient payants

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