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HISTOIRES D’ÉTÉ : coqs, cloches, vaches et autres tintamarres

Il existe une association particulièrement discrète mais qui fait beaucoup pour le lien social surtout entre les cités urbaines et la ruralité. Son principe est simple : trouver auprès des hébergeurs dans la campagne girondine des hébergements à prix cassés voire gratuits pour recevoir des familles n’ayant pas autrement l’opportunité de s’éloigner de leur cadre de vie quotidien. Des bénévoles accompagnent ces urbains afin de leur offrir le meilleur séjour possible et parfois ce n’est pas si évident qu’on le croît. Certains des vacanciers éprouvent en effet bien des difficultés à s’adapter au cadre de vie offert par des hameaux ou des villages réputés tranquilles et reposants. Paradoxalement ils ne supportent pas deux facteurs recherchés par bien des occupants antérieurs : le silence et l’obscurité !
On imagine difficilement que durant l’été les vacanciers occasionnels quittent leurs gîtes car ils sont angoissés par le fait qu’il n’y ait pas d’éclairage public constant dans leur environnement ou que le seul bruit perceptible dans le lieu qui les accueille puisse-être celui du coq à l’aube ! Il est même arrivé que des invités plient bagage pour revenir au bout de quelques jours vers les sons familiers et les réverbères de leur quartier. Rien d’anormal puisque rien n’est plus répandu dans l’environnement que les déluges de lumières inutiles et de pollutions sonores en tous genres. Ils sont en état de manque.
On aime bien parait-il en ville le bruit des éboueurs car ils permettent d’éviter le réveil en offrant un repère horaire rassurant. Il en va de même quand sur l’écran noir d’une nuit blanche, on identifie le vrombissement d’une moto excitée comme une guêpe ou celui d’une automobile faisant rêver. Tout ce qui n’est pas familier devient alors inquiétant : le chant précoce des oiseaux, le ronronnement musclé d’un tracteur, le beuglement des vaches, les cloches de l’église. D’ailleurs les conflits se multiplient autour des conditions de vie dans les logements d’été ruraux. Les mouches trop nombreuses, les odeurs nauséabondes, les abeilles envahissantes, les angélus trop matinaux ou les basse-cours peuplés de virtuoses du caquetage ou du cocorico : autant de facteurs de mécontentement et de conflits entre loueurs et locataires !
Le coq, cet emblème de l’unité nationale ou les cloches familières, deviennent des enjeux de querelles entre gens des villes nouveaux arrivants, et gens des champs autochtones. Les contestations se multiplient. On a chaque année une bonne demi-douzaine de villages dans lesquels le clocher fait abstinence sonore la nuit et autant de gallinacés qui terminent leur vie dans un bon vin de derrière les fagots. Le maire est toujours d’abord invité à constater les nuisances avant que la maréchaussée soit alertée et que le Procureur soit saisi. Une escalade désormais très courante pour de multiples sujets. Toutes ces autorités s’appuient doctement sur l’article R133-31 du code de la santé publique prévoyant qu’« aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité porter atteinte à la tranquillité du voisinage ». Qu’il soit naturel ou artificiel, le bruit de voisinage reste la plaie de l’été… et surtout une facteur de brouilles durables.
A propos d’une guerre du coq, un premier magistrat de Meurthe-et-Moselle a adressé une lettre de remontrances à son « impresario » qui l’avait installé sur la scène pour les cocottes du poulailler. Il lui a demandé « d’admonester et d’administrer une correction » à son « animal insolent » et de l’obliger « à aller présenter ses excuses au voisinage ». La réponse n’a pas tardé et le mentor du gallinacé a pris un engagement courageux : « Il ira personnellement présenter ses plus plates excuses à nos voisins ». Il est certain que le plaignant devra avoir un sens de l’humour développé pour apprécier ce dialogue institutionnel peu conventionnel mais bien en rapport avec l’esprit estival.
En juillet et en août il faut bien avouer que les fêtes familiales, les concerts, les soirées entre jeunes tournent souvent à la dégustation collective nocturne de décibels pour tout l’environnement. Même si on a les boules (Quies en l’occurrence) il est difficile de supporter pareille pression sonore. Et on aspire alors au silence engendrant des songes de nuits d’été quand d’autres louent les bienfaits de la sono. C’est pourtant cette dernière qui manque le plus souvent aux exilés des quartiers devenus selon eux des Robinsons relégués dans la cambrousse déserte. Ils se nourrissent de décibels comme d’autres de livres silencieux. Sombrer dans le silence et l’obscurité leur est insupportable car c’est pour eux, se glisser dans le linceul de leurs espoirs de dominer les autres par la force du son et l’éclat de la lumière.
Pauvre coq si fier de lui et si arrogant il ne leur arrive même pas à la cheville par son Cocorico à la Pavarotti ou la Aznavour. Le seul problème c’est qu’il se prend au sérieux et qu’il a tendance à clamer systématiquement sa joie de voir l’aube se lever ou de tenter de séduire une jolie poulette de passage ! Et ça c’est insupportable quand on a oublié ces joies simples et que l’on s’enferme durablement dans le silence de la mort sociale.
Jean-Marie Darmian

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