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Il a fallu beaucoup payer pour les congés

Nous sommes au jour du plus grand chassé-croisé de l’année. Celui où les plus malheureux voient avec déception arriver la fin de juillet et les bienheureux se retrouvent sur le chemin des vacances du mois d’août. Il est certain que si l’on faisait un QCM sur l’origine des congés payés le niveau des réponses serait vraiment très bas car une très grande majorité des bénéficiaires de cette mesure sociale en ignorent l’histoire. Il en va ainsi de toutes les conquêtes sociales qui, au fil des générations, semblent être le fruit de concessions faites par un pouvoir économique généreux. Pourtant pas une d’entre elles n’a été obtenue autrement que par un combat de certains afin que d’autres en profitent. Dans un éditorial dont il a le secret (1) Christophe Barbier s’inscrit dans l’air du temps : il propose simplement la suppression pour les salariés de la cinquième semaine de congés payés ainsi que celle des RTT ! Une déclaration qui ne soulèvera pas une tempête puisque personne ne sait vraiment combien il a fallu d’efforts pour obtenir simplement de ne pas travailler toute une année 6 jours d’affilée sans avoir le droit de s’extraire du monde du travail. Il est certain sue dans le contexte actuel cette proposition réactionnaire recevra le soutien d’une part des habitués de la mise en accusation des acquis sociaux. Faut-il rappeler à cet égard que les premiers congés payés ont été institués en France dès le 9 novembre 1853 par un décret (une ordonnance si vous préférez!) de l’empereur Napoléon III, mais seulement au bénéfice des… fonctionnaires. Pour les autres c’était de l’enfance à la mort le travail, rien que le travail et tout le travail !
L’idée de « vacances payées » naquit dans les années 1920 et il existe en France des exemples d’initiatives à cette époque. L’une d’elles fut initiée au sein du journal « L’information », (quotidien politique économique et financier parisien) qui lança le concept. C’est donc dans la presse écrite que débuta le principe d’une absence dans son entreprise sans perte de salaire. L’un des bénéficiaires de cette décision n’était autre qu’un certain Léon Blum qui écrivait alors dans ce journal. Il se passionna par cette initiative audacieuse et moderne ressemblant au revenu universel d’existence récemment proposé par Benoît Hamon. Une véritable nouveauté que le Front Populaire ne proposa pas dans son programme ne parlant pas de al semaine des 40 heures et des « congés payés ». Il fallut donc un large mouvement revendicatif après les législatives du 3 mai 1936 pour que s’amorcent des avancées collectives pour les salarié(e)s.
Les fameuses « grèves joyeuses » , impliquant près de deux millions de travailleurs paralysèrent tout le pays entraînant l’ouverture de négociations avec le patronat sous la tutelle du nouveau gouvernement. Elles aboutirent aux Accords Matignon, créant notamment les conventions collectives qui établirent à 12 jours ouvrés étalés dans l’année pouvant être non-travaillés et rémunérés. C’est la loi du 7 juin 1936 (81 ans) qui a généralisé en France l’institution des congés payés qui furent l’occasion d’un engouement modéré : 600 000 salariés français seulement profitent de l’aubaine pour jouir de vacances au bord de la mer ou à la campagne… Ils seront 1,7 million l’année suivante ! Tous savaient qu’ils devaient ce « bonheur » à l’action des grévistes et aux conventions collectives (sans elles rien n’auraient été possible) qui paraissent désormais très menacées. La plupart des photos sur ces fameux premiers jours avec leurs visages souriants est en effet ainsi postérieure à l’été 36 ! Il faut attendre 20 ans et une guerre mondiale pour qu’une semaine soit ajoutée par un certain Albert Gazier ministre socialiste, ancien syndicaliste et grand résistant disparu il y a tout juste deux décennies dans l’anonymat absolu ! Combien de dépités de Bison Futé savent que c’est aux événements de mai 68 qu’ils doivent leur 24 jours de congés ? Quant à la cinquième promesse de Mitterrand elle fut tenue par une ordonnance fort différentes de celles qui arrivent le 16 janvier 1969 ! Ce long cheminement sera, c’est certain remis en cause dans les prochains mois… de manière insidieuse !
Le « Barbier » n’a jamais eu la réputation de raser gratis et donc il se contente de tester la « réaction », celle qu’il soutient et qu’il adule en lui proposant une mesure qui lui convient. Dans les embouteillages, les campings, les gîtes, les maisons de famille… en cette journée classée noire, peu de monde verra arriver le message. On marchera, on roulera, on plongera, on dansera, on mangera, on bronzera, on pêchera… en toute sérénité. Dès le retour il sera temps d’avaler les potions amères des ordonnances voulant que les négociations globales ! D’ailleurs aujourd’hui on a beaucoup entendu que « l’essentiel c’était le travail ». On a déjà une bonne dose de famille et de patrie ce qui rappellera le bon vieux temps !

Cet article a 7 commentaires

  1. bernadette

    Les congés payés se heurtent à la réduction du temps de travail. Moins de temps travaille équivaut à moins de congés.

  2. bernadette

    La réduction du temps de travai induit le travail le précaire selon les chaînes de travail.
    Ces chaînes de travail ne sont pas forcément de la robotisation.
    Manpower et d’autres entreprises de mise à disposition de personnel font leur choux gras.

  3. SOULET Gilbert

    Bonjour Jean-Marie et merci pour ton billet toujours aussi décapant et brillant.
    J’ajoute ma touche perso d’ex-syndicaliste et représentant du personnel SNCF jusqu’en décembre 1994 :
    Fixés à quinze jours à l’origine, les congés payés minimum obligatoires se sont allongés au XXe siècle par l’action législative : de deux semaines en 1936, ils passent à 3 en 1956, puis à 4 en 1969 et enfin à 5 semaines en 1982.
    Mon amitié,
    Gilbert de PERTUIS

  4. bernadette

    Il est vrai que les salariés ont beaucoup plus de chance que les petits patrons employeurs parce que eux ils paient et lorsqu’ils ont tout payé peu de choses dans la chaussette.

  5. J.J.

    Avec son article provocateur, Barbier est encore parvenu à ses fins : faire parler de lui, (les d’jeuns diraient faire le buzz) ; qu’importe si les commentaires à son égard ne sont pas vraiment flatteurs.
    Il se comporte à la fois en Erostrate(*) et en Cassandre de la presse, ses propositions nous font pressentir parfois la possibilité de décisions catastrophiques.
    (*) Erostrate était un inconnu qui, voulant devenir célèbre, incendia une des 7 merveilles du monde, le temple de Diane( ou Artémis pour les grecs) à Ephèse, en 357 avant notre ère.
    Son coup a réussi, on parle encore de lui ! C’est également le titre d’une nouvelle de J.P. Sartre.

  6. Yvon BUGARET

    Merci Jean-Marie pour ton article sur l’histoire des congés payés qu’il faut rappeler dans cette période risquant d’être dangereuse pour le maintien des acquis sociaux. Nous devrons nous préparer à manifester à la moindre atteinte aux avancées sociales durement défendues.

    1. J.J.

      Remarque très juste, il y a encore des naïfs pour déclarer : « les acquis sociaux ne peuvent être remis en cause, du moment que c’est acquis, on ne peut pas revenir en arrière. »
      Funeste optimisme !
      Il vaut mieux écouter Aragon (la Diane Française) :
      « Rien n’est jamais acquis à l’homme,
      Ni sa force, ni sa faiblesse, …. »

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