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Il suffit de relire Rocard pour reprendre goût à l’action publique

Je ne me lasserai jmais de lire et relire, chaque fois que j’ai un doute sur la manière dont je dois réagir devant les décisions du pouvoir en place, le discours visionnaire, exemplaire et surtout exceptionnellement charpenté prononcé lors de son investiture à l’Assemblée nationale il y a un peu plus de 30 ans (1) un certain Michel Rocard. Il faudrait que l’occupant de l’Élysée et toutes celles et tous ceux qui s’en réclament en politique le mettent sur leur bureau avant de faire des choix. Pas un mot à enlever et une extraordinaire modernité en cette période où la France est agitée de soubresauts populistes. Un texte d’une absolue lucidité. Face à la précarité qui grimpait il avait avancé l’idée audacieuse du Revenu Minimum avec lucidité et surtout en posant les vrais problèmes sociaux. Il avait été démoli par une Droite revancharde et encore une fois libérale et déshumanisée.
« Instaurer un droit au revenu minimum est une innovation d’une portée considérable. Après la création de la sécurité sociale, puis sa généralisation, après l’instauration du minimum vieillesse et des allocations chômage, c’est construire le dernier étage, franchir la dernière étape. Qu’on y songe, notre pays a déployé des décennies d’efforts pour lutter contre la pauvreté, contre le dénuement complet. II entreprend maintenant de les attaquer avec une vigueur nouvelle. II n’est pas digne de notre passé, ni concevable pour notre avenir, que tant de gens survivent dans la misère et se voient rejetés aux franges d’une société qui les frappe d’exclusion sans appel » Il a cette formule qui devrait parler aux « comptables » que prévoyaient déjà Mitterrand (2) : « La solidarité n’est pas la bonne conscience de la modernisation, elle est la condition de sa réussite. Parce qu’elle donne tout son sens au respect de l’autre, au respect de la dignité humaine ».
Il ajoutait : « Oh, certes, le montant de l’aide sera insuffisant au regard du souhaitable. Mais il offrira à tous ceux qui en disposeront une nouvelle chance, un nouvel espoir. Une chance d’échapper à la misère. Une chance de retrouver sa place dans le monde des autres. C’est pourquoi le revenu minimum doit être étroitement lié à un effort d’insertion ». Une bonne part des gilets jaunes ressentent fortement cette exclusion, ce sentiment de n’avoir rien à perdre et de vivre hors de ce monde de « certains » autres.
Celui qui aimait le parler vrai ne se berçait pas d’illusions quant il déclarait : « II faudra, là encore, bousculer nos habitudes, briser les rigidités de l’Etat-providence, mobiliser les énergies de tous, celles des collectivités locales, celles des services sociaux, celles des associations. Car seule une démarche concrète adaptée à chaque situation permettra de franchir les difficultés. Dans de nombreux cas, cet effort s’adressera à certains qui n’ont même pas d’état civil, que l’illettrisme empêche de lire un formulaire ou de signer un chèque, que le repli sur soi a coupés depuis longtemps du monde extérieur. Dans d’autres cas, il s’agira de chômeurs depuis peu en fin de droits, ou de familles provisoirement privées de toutes ressources. Il nous faudra donc renouveler profondément nos habitudes de penser et d’agir, être plus participatifs, moins cloisonnés, bref mieux ouverts sur la société ».
Bien évidemment il fut attaqué sur le financement et peu de monde se souvient de son choix : « Le financement du revenu minimum d’insertion sera assuré pour partie par le rétablissement d’un impôt sur la fortune. Il faut ici lever toute équivoque: l’impôt sur la fortune est une contribution de solidarité, pas une revanche contre les riches. C’est pourquoi, selon nous, le principal problème posé, mais il est très épineux, concerne non pas le principe de l’impôt, mais la définition du meilleur équilibre entre la solidarité nécessaire et la pertinence économique.(…) Une taxation symbolique -qui, elle, serait purement idéologique- ne produirait pas les sommes nécessaires à la solidarité voulue par tous. »
Il suffirait que l’occupant de l’Elysée actuel qui n’a aucune culture politique réelle prenne le temps de relire ce discours pour retrouver le chemin d’un véritable gouvernance basée certes sur la liberté mais aussi sur l’égalité et la solidarité plus que jamais nécessaires dans un monde fragmenté, égoïste et suicidaire. « En tant que responsable, mon propos est sans doute austère. En tant que citoyen et tout simplement en tant qu’homme, mon enthousiasme est entier, mon espoir est intact. Je rêve d’un pays où l’on se parle à nouveau. Je rêve de villes où les tensions soient moindres. Je rêve d’une politique où l’on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu’à qui le dit. Je rêve tout simplement d’un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue, -pourquoi pas de la fête,- et de la liberté. Je suis de ceux qui croient, au plus profond d’eux-mêmes, que la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». J’ai toujours été fier de l’avoir côtoyé, aidé, admiré ! Je ne changerai pas…
(1) 29 juin 1988
(2) Mitterrand : « Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables ».

Cet article a 5 commentaires

  1. J.J.

    «  »Il suffirait que l’occupant de l’Elysée actuel qui n’a aucune culture politique réelle prenne le temps de relire ce discours pour retrouver le chemin d’un véritable gouvernance ……. » »

    Penses-tu honnêtement que l’occupant actuel de l’Élysée, qui n’a en effet aucune culture politique ait un jour lu ce texte de Michel Rocard ? Alors le relire !
    C’est lui faire beaucoup d’honneur que de l’envisager.

    Est-ce que tu penses que l’hôte susnommé ait même entendu parler de Michel Rocard ?
    Il semble peu probable que l’étude du personnage ait pu figurer au programme de la »providentielle » jésuitière amienoise.

    1. J.J.

      J’eus pu être plus bref, à la manière de Raymond Devos (et en octosyllabes ), en écrivant :
       » Avant de parler de relire,
      Il eût bien fallu qu’il l’eût lu… »

  2. Daniel Bauche

    Merci de rappeler ce discours que j’avais un peu perdu de vue. J’en ai retrouvé l’intégralité sur Internet et je vais le relire. Rocard était un grand visionnaire.
    Daniel Bauche

  3. Philippe LABANSAT

    Malgré tous les désaccords que j’ai pu avoir avec Rocard, je persiste à penser que c’est le dernier homme d’Etat que nous ayons eu.
    Malheureusement, il a exercé dans des institutions qui l’ont, par principe, empêché de gouverner ; Mitterrand s’est si bien accomodé de la Vème.
    D’autre part, avec le recul, on voit bien que l’insertion en ce début d’années 1990 ne s’envisageait que dans l’économie de marché.
    Nous sommes à la veille de l’effondrement de ce système, et il nous faudra impérativement repenser cette notion d’insertion…

  4. Bernadette

    Petitement et symboliquement, je souhaiterais que les communes mettent le drapeau européen. Ce drapeau est le symbole de la solidarité européenne entre les peuples. Je pense que si cet homme vivait encore il en aurait parlé.

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