You are currently viewing Le temps est venu de publier sur les bancs

Le temps est venu de publier sur les bancs

Il est fort possible pour les touristes de passage dans un village perdu de la France oubliée, de mesurer la mentalité des habitants et leur sens véritable de l’accueil. Par les temps qui courent où l’on doit, selon les règles du libéralisme, ne compter que sur ses propres forces pour réussir, le diagnostic est assez aisé. Il suffit de compter le nombre de bancs publics, et d ‘observer où ils sont placés, pour effectuer une analyse sociologique réussie des lieux où l’on se trouve. Choisir l’espace dans lequel on place un mobilier aussi collectif et public nécessite une grande attention pour l’autre.

Tous les bancs ne servent pas au même usage, et les poser là, quelque part sans une analyse de leur destination, relève simplement du principe qu’il faut le faire pour faire bien, mais que l’on n’a aucune ambition sociale.

Les «bancs reposoirs » décoratifs sont légions, mais leur vocation ne correspond à aucune autre finalité que celle de démontrer un souci fictif du repos des autres. Ils sont installés pour la frime, dans des endroits peu ou mal fréquentés, et n’offrent souvent aucun intérêt pour le passant qui passe, puisqu’un banc doit être un lieu de vie. En effet, il est impossible de ne pas sentir que chacun à une fonction sociale déterminée lorsque l’été est venu. Bien en vue sur un chemin malaisé, à l’ombre d’un arbre protecteur, il assume, par exemple, la mission de havre de paix pour les marcheurs épuisés. En général ce type là de « banc refuge » est sauvage, rupestre et sommaire, mais on sait fort bien que la fatigue est peu exigeante en matière d’outil de repos. Les fesses étant en général plus mal en point que les mollets, le randonneur s’adapte à tous les supports.

La pierre enlevée à une cheminée moribonde, la traverse de chemin de fer extirpée d’un ballast oublié, le tronc d’un arbre passé de vie à trépas lors d’un courroux climatique, le muret moussu qui limite un pacage à moutons, ou même parfois la margelle d’un puits asséché font office de superbes lieux d’accueil.

On y trouve généralement des personnes bizarres, chaussées de robustes croquenots recouvrant des chaussettes de laine, plus ou moins vierges des odeurs de la route et munies d’un chapeau plus ou moins excentrique destiné à les protéger des ardeurs solaires. Leur halte est celle du silence, hors du temps et de la vie qu’ils cherchent à fuir durant une escapade dans la nature. Ils grignotent et boivent un coup. Ils dégustent des mûres ayant taché leurs mains ou des fruits récupérés sur ces branches égarées dépassant des limites d’un jardin. Le « banc refuge » leur sert pour le gîte et le couvert. Une sorte d’auberge espagnole du bonheur, que seuls celles et ceux qui ont aimé l’île au trésor ou Robinson Crusoé peuvent apprécier.

Ces bancs-là peuvent aussi, selon la qualité de leur ombre, servir de lit pour une sieste réparatrice au milieu des crissements des criquets ou du silence des sous bois. Il a forcément une histoire, et selon la légende populaire, son emplacement viendrait, la plupart du temps, d’une réflexion extatique du cantonnier tel que l’aimait Fernand Raynaud, c’est à dire un fonctionnaire ayant une vraie connaissance du bonheur ! Le « banc philosophique » héberge les péripatéticiens fatigués ou les poètes en rupture de ban.
Parfois, il arrive aussi dans un village, que le banc soit installé le long d’une terrain de boules. C’est le fameux « banc spectacle » où l’on ne vient que pour savoir si Joël « tire ou pointe » ou si « Tonio » embrasse Fanny. Il faut bien connaître les us et coutumes locales pour ne pas arriver trop tôt (risque de cuire au soleil) ou trop tard (possibilité de ne plus avoir de place). Ces « outils de partage » d’une activité, essentielle pour le lien social, ont été souvent installés par un maire attentif aux reproches de ses concitoyens. C’est le signe que l’élu local connaît parfaitement sa population, et qu’il sait que cette implantation compte au moins autant que sa politique culturelle pour sa réélection. C’est à la pétanque que se font et se défont les réputations.

Un retraité mal assis, ne visualisant pas le terrain, est un électeur mécontent qui peut lancer le « cochonnet » un peu loin. Ouvrez le ban : « Ah ! Je te dis, avec nos impôts, ils en font des conneries, mais pour nous payer un banc digne de ce nom, ils n’ont pas un rond ! ». Il y a les abonnés qui connaissent en effet la dureté ou la hauteur du dossier. Ils y viennent chaque jour, quel que soit l’espoir donné par le ciel.

En vieillissant, ils s’appuient sur une canne posée entre les genoux, et si, en tant que touriste, vous voulez vite intégrer le village, c’est à côté d’eux qu’il faut aller s’installer, pas plus tard que 18 h 30, car ensuite il leur faut impérativement rentrer à la maison pour la soupe ! Ceux qui restent après 19 heures ne sont pas du cru, car ils n’ont pas ces liens sacrés entre l’homme et le soleil, qui rythme les vraies vies. Ils jouent au vieux.

Il reste parmi les fonctions principales, le « banc concierge », celui qui depuis très longtemps héberge les gens généralement les mieux informés du village. Si ce dernier est animé et vivant, ce poste d’observation joue un rôle fondamental. S’il n’existe pas, c’est que le bourg où vous êtes n’a aucune véritable animation sociale. C’est, en effet, de là que se distille l’information de proximité. C’est là que s’installe, avec autorité, le cercle des rumeurs entretenues. Les plaisanteries fusent. Les rires moqueurs s’entremêlent avec les nouvelles tristes sur le sort des autres.  Le « banc concierge» a une vocation similaire à celles des réseaux sociaux avec la sincérité directe en plus.

Ces lieux là sont trop voyants pour que les amoureux s’y bécotent. Ils ne sont, à la nuit tombée, qu’une halte sur des rendez-vous plus discrets. Assis sur le dossier, casque posé sur les planches, cyclomoteur à portée de mains, les adonis du scooter effectuent ici les travaux d’approche, les premiers pas vers des tourterelles qui font semblant de passer là par pur hasard.

Les bancs de l’été, où l’on se rencontre, l’on se chamaille comme des jeunes chiens fous, où l’on s’affronte comme des coqs de basse-cour, où l’on se découvre, avant qu’un jour soient publiés d’autres bans, sont tous différents. Sachez les observer et les aimer. Ils vous le rendront bien, car leur cœur est plus tendre que le matériau qui les compose.

Cette publication a un commentaire

  1. Bernadette

    Bonjour,
    J’apprécie beaucoup le 1er paragraphe de ce billet. Il devient nécessaire de faire un comparatif sociologique (budget et emplacement du matériel acheté) pour en mesurer l’impact de lien social utile à chaque habitant.

Laisser un commentaire