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La pandémie du racisme ordinaire s’étend

Difficile de se taire quand chaque minute apporte la preuve des ravages du racisme. Il instille la société, il ruisselle, il infiltre les esprits et conduira tôt ou tard en France comme aux États-Unis à des affrontements violents. Le temps est venu de ne plus se taire et de dénoncer cette inexorable montée du pire mal dont peut souffrir de tous temps une société.

Le racisme demeure pour moi le pire virus pour la planète, mais bien entendu il est totalement impossible d’imposer le confinement des esprits. Dans le fond je me rends compte que tant que l’on n’a pas vécu dans son quotidien ces petites allusions, perfides, ces mots blessants, ces remarques graveleuses, ces accusations stéréotypées on imagine mal les dégâts psychologiques que causent les gens sans aucun respect pour la dignité humaine.

Dans une conversation récente un vieil ami ayant lu mon dernier livre (1) me demandait à quel moment j’avais eu envie de renouer avec les racines italiennes et si j’avais moi-même souffert des origines de mon père. Difficile à expliquer, à analyser et à transmettre. Je n’ai pas en mémoire de véritables attaques personnelles racistes sur mes origines. Il est vrai que dans l’école du bourg de Sadirac où j’ai passé toute ma scolarité les enfants de l’immigration étaient les plus nombreux. De la seconde ou de la troisième génération, d’Italie ou d’Espagne nous formions le gros des troupes durant les années cinquante.

Nous ne savions même pas qu’un jour nous en serions fier.e.s. et qu nous devrions l’essentiel de nos vies d’adultes à l’école de la République d’après guerre, égalitaire, intransigeante, laïque avec nous comme avec les autres sur la fraternité.

Comme la loi du genre veut que les « écoliers » ne répètent que ce qu’ils entendent à la maison, les « macaronis » fusaient parfois au cours de disputes dignes de la guerre des boutons. Un gamin.e ne se rend pas vraiment compte du poids des mots. Il en rit même jusqu’au jour où il prend conscience du regard que certaines personnes portent sur ses parents ou même sur lui.

La maltraitance physique n’est pas nécessairement un signe de racisme car les blessures des regards, des attitudes, des propos blessent durablement. J’ai des moments fugaces durant lesquels je me suis interrogé sur des conversations saisies au vol sur mon père. Que du racisme ordinaire dont je conterai deux événements.

Un soir de campagne électorale des municipales sadiracaises de 1965 mon père était allé soutenir le maire sortant pour lequel il avait l’estime que les gens simples éprouvent à l’égard de ceux qui leur ont donné leur chance. La réunion qui se tenait dans l’ex-auberge de la Renaissance à Lorient prit un ton particulièrement violent. Voulant intervenir mon père se leva et tenta de prendre la parole. De la salle est venu un terrible : « Toi le macaroni ferme ta gueule et retourne chez toi ! » qui provoqua quelques rires et applaudissements !

J’ai devant les yeux son désarroi et sa colère. Il fallut le retenir pour qu’il n’aille pas en découdre avec celui qui l’avait profondément blessé. Jamais je n’ai jamais oublié cette insulte que personne n’avait trouvée « raciste » de la part d’un gendarme retraité. J’étais humilié, blessé et plus encore enragé.

Je pense pour répondre à la question de mon ami que deux ans auparavant j’avais vu la joie de mon père de retrouver l’Italie des origines familiales. Il était différent, heureux, joyeux, fier et surtout comme libéré de ce qu’il considérait comme un retour aux sources. Il avait simplement découvert que là-bas il ne risquait pas d’être diminué, négligé, voire méprisé. Cette métamorphose m’avait interpellé.

Je venais d’être reçu à l’école normale d’instituteur et bien qu’il ne me l’ai jamais dit ou même suggéré je savais que ma réussite le « lavait » de tout ce qu’il avait subi et absorbé antérieurement. L’apostrophe de la réunion publique le ramenait à sa condition de Rital. J’étais immensément fier de lui, de son courage, des son abnégation, de sa vaillance, de sa dureté au mal et donc j’ai aimé être un fils de macaroni… Il n’a jamais rien dit. Il a serré les dents et il a continue son chemin d’honnête Homme.

Pou lui je n’ai eu de cesse de prouver que la meilleure manière de combattre le racisme ordinaire, primaire, vulgaire se trouve dans la volonté de progresser socialement. Je n’ai jamais renoncé pour que mon père fasse ravaler leur salive aux racistes ordinaires.

Un vendredi soir des années 80 alors que je distribuais Créon Hebdo, un commerçant d’un âge avancé m’interpella sous les arceaux de la bastide. Il m’avait connu collégien et savait tout de mes origines. Il me déclara tout de go «  vous, vous réussirez car vous avec un avantage que n’ont pas les autres : « vous êtes un bâtard ! » Devant mon regard ébahi, mon silence figé par cette affirmation un peu particulière il ajouta : «  J’ai constaté que tous les enfants des mariages mixtes entre un.e immigré.e réussissaient mieux que ceux qui avaient été élevé dans le confort et les certitudes. Ils on faim de prouver ce qu’ils valent !  Et vous avez faim ! ».

Je lui en suis reconnaissant car la leçon m’a beaucoup servi et beaucoup aidé. Elle résonne toujours en moi sans que je sache si c’était un compliment ou une marque de mépris. Et j’ya ai toujours pensé dans mes mandats électifs. Je suis un bâtard !

Je dénoncerai jamais assez ce racisme ordinaire, ce virus qui détruit les cerveaux et surtout étouffe les consciences. La pandémie frappe la planète et explose aux États-Unis avant de nous péter à la gueule dans notre beau pays de France. C’est de plus en plus présent en moi !

(1) les neufs vies d’Ezio A paraître prochainement

Cet article a 6 commentaires

  1. OUI Jean-Marie, le racisme est un fléau à combattre toutes les fois où il sera parlé d’immigration.
    Amicalement, Gilbert de Pertuis.

  2. Philippe Labansat

    Tout le monde le sait (ou devrait le savoir), dans n’importe quelle famille, pas besoin de remonter plus de trois générations dans sa généalogie familiale pour trouver, ce que le raciste ordinaire considérera comme des « accidents » voire des tares.
    J’ai fait cette recherche pour ma famille et je dois dire que ma conclusion, pour mon plus grand bonheur, est que ma famille est, comme beaucoup, un melting-pot qui a essaimé sur toute la planète.
    L’origine pas encore tranchée : Béarnaise ? Catalane ? Et puis l’aïeul, Amos de Hourneau, il y a très longtemps, était-il juif ? Et puis, très vite, les mélanges : espingos à la pelle, basques, le tonton Nino italien, une jolie africaine… Et puis évidemment, comme dans toutes les familles, Émilie, fille-mère, et toute une descendance (assumée) au papa inconnu. Et puis, la misère et un pan de la famille qui part pour l’Amérique avec les basques. Arrivée au Mexique (plein de cousins et cousines), pour certains, passage aux États-Unis (plein d’autres cousins Californiens, Texans), puis la guerre avec l’Espagne et certains cousins Etats-uniens qui vont s’implanter aux Philippines. Bref des Labansat ou des Labanzat ou Lavanza etc. (le nom s’écorche en voyageant) avec un morphotype indien, avec les yeux bridés, avec du sang noir, ou encore, comme moi et ceux qui sont encore sur le vieux continent, un peu cachet d’aspirine…
    Bref, un exercice antiraciste de base : faire sa généalogie, son histoire familiale, c’est réjouissant et prétexte à voyager pour rencontrer ses cousin(e)s, ou prétexte à les accueillir.
    Et récompense, 2 ou 3 générations et on se trouve des cousinages avec des célébrités (c’est bin connu, ça aussi)…

  3. DABE

    Bonjour Jean Marie. Une anecdote à propos des origines de ma femme. Au sein d’un groupe de randonneurs discutant vivement de l’immigration, étant un peu énervée d’entendre des propos franchement racistes elle dit moi aussi je suis issue de l’immigration, elle s’est vu rétorquer: « Ah bon, …et de quel pays »  » La Suisse répondit elle » « Ah ce n’est pas pareil »
    Que doit on comprendre à cette répartie: qu’il y a des bons et des mauvais émigrés?
    Point de coffre caché, point de secrets bancaires dans la dot de ma petite Suissesse: rien que de l’Amour!! Bonne journée à la bastide de Creon!

  4. BORTOLETTO Francoise-Micheline (dite Michou) née CHAVANSOT

    Toutes celles et ceux (espagnols, italiens, slaves et d’autres aujourd’hui) qui sont venus chercher refuge sur le sol de notre belle France ont été malheureusement victimes de racisme, racisme ordinaire ou plus violent parfois ; Ils ont dû faire « leurs preuves » chaque jour pour être accepté(e)s ; ils ont tout fait pour que leur progéniture soit « de bons petits français » respectueux des règles de notre République mais malgré tout ça il y a toujours un instant où quelqu’un vous rappelle directement ou indirectement vos origines…. est-ce volontairement méchant ou est-ce par méconnaissance de l’art d’accepter l’autre ? c’est difficile à savoir…….. Je ne suis pas d’origine italienne , tout simplement la fille d’un « poilu » qui malgré toutes les horreurs qu’il a connues ne m’a enseigné que l’acceptation de l’autre quelles que soient ses différences et de ne jamais laisser la haine emplir mon coeur….. J’ai épousé un homme, fils d’immigrés italiens, et j’en suis fière……. Bonne journée à toutes et tous.

  5. Philippe Conchou

    Il paraît que seulement 25% de la population française serait à 100% d’origine française.
    Encore faut-il savoir jusqu’où remonter, puisqu’il semble que nos lointains parents d’il y a plusieurs centaines d’années seraient venus d’Afrique.
    Comme m’a dit un jour un client juif, Jésus qui était juif était sûrement petit ,brun et crépu….
    Le racisme est partout, que n’ai-je entendu de la part de gens (pourtant cultivés) que le jazz et le basket étaient une musique et un sport de nègre (textuel).
    De mon expérience personnelle avec de nombreux contacts professionnels, j’ai conclu que au moins 50% de la population est raciste convaincue.
    C’est le racisme qui fait le soutien à Le Pen et rien d’autre et ses adeptes ne s’en cachent pas.

  6. jacques C

    Du terroir français actuel mais issu aussi d’ancêtres nés sur des rives étrangères à la France lorsqu’ils y sont nés, je n’ai pas été confronté directement enfant au racisme ordinaire de nos régions. Enfant de l’école laïque j’ai vécu ce qu’a vécu Jean Marie où nous nous côtoyions entre français de souche, d’origine italienne, espagnole, pieds-noirs, quelques africains et arabes athées, juifs, chrétiens ou autres confessions sur les bancs d’une école intégrationniste autours de valeurs républicaines rigoureuses mais fraternelles. Nous étions soudés entre nous comme les doigts de nos mains et si l’un était attaqué, tous les autres ripostaient.
    J’ai découvert le racisme par contre dans beaucoup de familles de ces copains, qui pour la plupart généraient et pratiquaient plus particulièrement un racisme politique: Les pieds-noirs contre les arabes qui les avaient chassés d’Algérie et qui revenaient travailler en France, les arabes contre les juifs à cause d’Israel, les juifs (du moins pour les plus orthodoxes) contre toutes les autres religions, les français contre les espagnols et italiens qui venaient leur « piquer leur boulot » et dans le futur, comme je l’ai vécu avec une secrétaire, les enfants d’immigrés de deuxième génération espagnole ou italienne contre les populations arabes et noires qui ne respectaient soit disant pas leur nouveau pays etc…
    A mon sens, le racisme viscéral existe de manière assez minoritaire dans le pays et il est difficilement combatable ayant à faire à des gens ayant une foi toxique chevillée au corps. Seule la loi de la République peut leur opposer des limites. Pour les autres, seule l’éducation et la connaissance peuvent permettre un combat difficile mais qui n’est perdu d’avance que s’il n’est pas mené. Lutter contre l’ignorance de l’histoire de notre pays, expliquer le monde dans lequel les humains vivent, accepter courageusement le débat d’idée et mettre en valeur inlassablement nos valeurs humanistes et lutter par tous les moyens politiques contre toutes les inégalités sociales et sociétales qui opposent toutes les souffrances des personnes les plus défavorisées. Ne pas oublier que la mixité sociale et un outil pour lutter contre la peur de l’autre et que c’est dans les quartiers le plus favoriser qu’elle n’existe plus.

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