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Pastilles d’été (10) : la force tranquille

Le maire de Sadirac passait une grande partie de l’été au Cap-Ferret et laissait donc à ma mère, secrétaire de la Mairie, le soin de faire face aux très rares événements imprévus ou aux obligations pouvant survenir durant cette période. La vie paisible du village permettait alors pareil fonctionnement au coeur des années 60.

Tout était réglé depuis des décennies et même quand mes parents commencèrent à partir en vacances les deux première semaines du mois d’Août, je pouvais assurer la continuité sur l’essentiel (Etat-civil et plus encore la collecte des permis de chasser pour leur renouvellement).

Tous les jours il me fallait quelque soit les circonstances aller chercher le courrier chez le premier adjoint Henri Martin au hameau de Piron. Il mettait les lettres dans le tiroir d’un buffet basque monumental. Les tirait solennellement pour les ouvrir avec un grand couteau de cuisine pour els parcourir et me les confier. Il avait accompagné André Lapaillerie dans son combat politique d’après la seconde guerre mondiale avec sa force tranquille et il était son « élu » de confiance.

Cet homme d’un calme olympien, peu disert, jovial qui cultivait sa propriété de polyculture au rythme de la paire de bœufs qu’il était le seul à posséder à Sadirac. J’aimais bien effectuer le kilomètre entre la mairie et son domicile car j’en profitais pour assister à l’attelage de ces deux mastodontes qu’il était encore le seul à maîtriser en 65.

La mise en place des bêtes de somme de part et d’autres du timon de la charrette constituait un véritable spectacle que leur maître effectuait au ralenti, dans le calme, avec méthode et précision. Amenés l’un après l’autre les bœufs résignés à la perspective d’un travail de force se laissaient harnacher sans trop de problème.

Chacun d’entre eux avait sa position récurrente d’un coté ou de l’autre mais finissait par se retrouver solidaire sous ce joug double magnifiquement modelé dans un bois rendu luisant et d’une douceur absolu par l’usage.

Posé au sommet du crâne derrière les cornes cette pièce exceptionnelle était soigneusement arrimée autour de ses dernières par de robustes lanières de cuir qui suivaient des circonvolutions mystérieuses mais absolument identiques. Le secret du harnachement résidait dans cette pose des liens entre les bœufs et leur carcan solidaire. Rares doivent être les personnes possédant cette science de l’attelage ;

L’un des deux avait le museau enserré dans une chaîne de fer qui permettait au bouvier de le diriger depuis la charrette. C’était souvent inutile sauf en cas de rares rébellions. Le duo était en effet le plus souvent dirigé par Henri Martin avec une baguette souple en marchant devant eux. Son flegme devait convenir à ses auxiliaires que je n’ai jamais vraiment vu rechigner à la tache sauf quand il leur fallait se coordonner pour reculer et s’installer pour que le conducteur puisse attacher le timon.

L’opération délicate constituait toujours la clé de cette opération. Là encore en l’enserrant dans une ouverture prévue à et effet, la longue barre de bois était verrouillée par une pièce de fer spécifiquement ajustée par le forgeron du Bourg. J’avais remarqué que les bœufs portant le qualificatif de « tirants » avaient une aversion particulière pour la « reculade ».

Henri Martin bichonnait ce duo de bêtes qui lui étaient indispensables pour la rentabilité de sa propriété. Pour leur éviter la persécution des mouches et des taons il protégeait leurs yeux et leurs naseaux par une sorte de filet finement tressé tombant devant leurs naseaux. L’équipage se mettait en marche d’un pas lent mais durable.

En été il se rendait dans la plantation de tabac. Sadirac sous son impulsion avait développé le culture de ce produit à Sadirac qui, s’il n’était pas trop détérioré par les aléas climatiques (grêle) ou les maladies rapportait au printemps de jolies sommes.

L’adjoint au Maire avait réuni autour de lui une demi-douzaine de « planteurs » dont mon grand-père et mon oncle, ce que la SEITA avait apprécié. Un inspecteur de l’État venant de La Réôle disposait d’une boite fermée dans laquelle lors des ses visites il déposait ses remarques. Il comptait parfois les pieds puisque la production, strictement surveillée et réglementé. La moindre infraction était lourdement sanctionnée.

Si la journée me le permettait je participais à la cueillette des pieds ayant atteint la taille parfaite. Abattus avec de puissantes cisailles ils étaient soigneusement allongés sur le sol tel des corps de soldats morts au combat. On les chargeait avec grand soin pour éviter de blesser ou de déchirer les larges feuilles en travers de la charrette.

Les bœufs, justifiant leur appellation de bêtes de somme attendaient patiemment le museau au ras du sol que le dépôt ait été effectué. Ils se rendaient ensuite sous la conduite de leur auguste maître jusqu’au séchoir où chaque plant était suspendu la tête en bas pour se dessécher dans des courants d’air parfaitement orientés dans une odeur de tabac envahissante et tenace. Je découvre maintenant avec le recul des ans ce que signifie l’expression mitterrandienne : « donner du temps au temps ! »

Cet article a 4 commentaires

  1. Dany Cazeaux

    Les defenseurs du bien être animal , vont t’en vouloir !!!
    Et pourtant….Ces précieux animaux étaient aimés et bichonnés apr leur propriétaire.
    Mon grand père avait un mulet , du nom de Bibi…..

  2. Dany Cazeaux

    Les défenseurs du bien être animal, vont pas aimer…..
    Mon grand père avait un mulet, du nom de Bibi, qui faisait partie de la famille, travaux champêtres, moteur de la charrette pour aller au marché, ou autre, il lui fêtait son anniversaire ! Souvenirs…..

  3. BORTOLETTO Françoise-Micheline (dite Michou)

    Merci à nouveau pour ce beau récit qui nous ramène quelques années en arrière, à notre enfance et adolescence……. Moi aussi j’ai connu ces attelages, il y en avait un comme celui-ci à la ferme de la famille Prévôt à La Sauve, lieu-dit « La Pourcaud », j’y accompagnais mes parents lorsqu’ils allaient « donner un coup de mains », parfois je faisais de menus travaux pour lesquels on m’octroyait une friandise (une part de gâteau fait maison ou bien quelques bonbons…) mais mon plus grand plaisir était de déjeuner avec eux tous car étant très gourmande j’appréciais vraiment cette cuisine campagnarde d’autrefois (alors que chez moi j’étais gâtée à ce niveau puisque mon Papa était cuisinier et que ma Maman était une très bonne cuisinière mais ne dit-on pas que l’herbe est plus verte dans le champ d’à côté……) , c’est dans cette ferme aussi que j’ai vu pour la première fois une radio à gallènes, parfois on m’autorisait à m’en servir , immense privilège…….). J’ai donc pu observer qu’en effet les animaux qui composaient cet attelage étaient « chouchoutés » par leur propriétaire……….
    Jean-Marie, avec tous ces souvenirs que vous partagez si gentiment avec nous, ne pourriez vous pas écrire un livre sur la vie à la campagne autrefois ? Je suis sûre qu’un grand nombre apprécierait et ça serait aussi un livre de découvertes pour les enfants d’aujourd’hui……

  4. J.J.

    Les paysans à la croisée des chemins ont parfois vècu avec un peu de nostalgie le passage de l’attelage, présence vivante à l’impersonnel tracteur.
    Résumé dans ce vieux dessin d’ un humoriste patoisant dont j’ai oublié le nom.
    On y voit un cultivateur réparant son tracteur.
    – Du temps de Pompon, j’avais pas besoin d’y « buffer » dans le gicleur.

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