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L’amour pour l’humour s’estompe dangereusement

Il y a presque une unanimité sur le fait que face à la montée des extrémismes dévastateurs il est indispensable de marquer fermement un attachement français à la « liberté d’expression ». On a vu des manifestations sur le sujet et après le massacre de Charlie Hebdo des élans de citoyenneté massifs.

Chaque fois que des incidents graves se produisent l’opinion publique se ressaisit avec des grandes déclarations de principes. C’est un peu comme pour la lutte contre le racisme visible qui cependant déchaîne de moins en moins de protestation.

Des intellectuels, des personnes du système médiatique grondent sur les plateaux télévisés, devant les micros ou se fendent de tribunes bien senties face à des actes médiatisés. Mais dans le quotidien il faut bien reconnaître que l’indignation est sélective. Il devient de plus en plus difficile de s’exprimer sans provoquer des attaques terribles des défenseur.e.s de celui que l’on brocarde ou que l’on critique. Les ayatollahs ne sont pas nécessairement toujours où l’opinion dominante les situe.

Essayez par exemple de faire un trait d’humour sur une personnalité du monde politique. Aussitôt vous sautent sur le râble ses ouailles les plus intransigeantes de son parti ou qui, dans le passé ou le présent, vont le soutenir. Le crime de bienséance reste irrémédiablement sanctionné.

Il en va de même dans la sphère religieuse où le seul fait de rappeler que les intégristes appartiennent à absolument toutes les croyances génère des polémiques sans fin. Les insultes fusent . Les anathèmes s’échangent. L’excommunication menace. Le seul fait, par exemple, de parler de « prière de rues » pour des catholiques peu respectueux des règles républicaines permet à certain.e.s de voir une attaque contre « notre société traditionnelle ».

Lorsque dans d’autres circonstances des pratiquants d’autres religions, tout aussi pacifiques, se comportent de la même manière sur l’espace public les aboyeur.euse.s appellent aux sanctions, crient au laxisme et exigent une intervention musclée des forces de l’ordre, défilent dans les rues. La sélectivité des emballements devient un véritable mal social.

L’humour en prend plein la gueule car l’intolérance fait que tout est pris pour un affront, une agression, un manque de respect de conventions ajustables selon des critères partisans. La caricature ne va pas tarder à être remise en cause. Effroyable ! Les idoles sont partout et il ne faut surtout pas les railler. Attention cette notion de refus de la moindre approche humoristique de l’actualité progresse sans cesse. C’est valable pour tout et partout surtout quand les décès de personnalités sanctifiées par le temps.

Qui a le souvenir de Bernard Langlois, excellent journaliste viré illico de la présentation du journal télévisé d’antenne 2 pour avoir minimisé, de manière ironique, la mort de Grace de Monaco (« cela ne changera rien au destin de l’humanité. Juste un deuil ordinaire, la peine ordinaire d’une famille célèbre qui nous était familière par la grâce des gazettes »). Il avait souligné que celle-ci était moins importante que l’assassinat, survenu le même jour, du président Bachir Gemayel, en pleine guerre du Liban, Il ne fut le premier et en sera pas le dernier.

N’essayez pas de plaisanter ou méfiez-vous sur les mots exprimés car la mesquinerie (au mieux), l’insulte (souvent), l’agression (très vite) vous seront vite attribuées. Ne tentez pas un trait d’ironie sur les leaders de la Droite ou de la Gauche…Les peigne-culs, les poisse-froid, les culs pincés, les grenouilles de tous les bénitiers, les abrassés du bulbe ou les esclaves de la pensée veillent partout.  La France est devenue « centriste », « lisse », « atone », « aphone » sauf quand une situation, une déclaration, une suggestion met en cause ce à quoi elle croît par facilité alors là elle se réfugie dans le camp des vierges effarouchées.

Qui peut prétendre que des humoristes comme Coluche, Bedos, Le Luron, Desproges auraient actuellement leur place sur le devant de la scène ? Jamais en effet le « Touche pas à mon pote ! » N4a pris une extension nouvelle aussi dangereuse. Depuis toujours il en a été ainsi mais la situation s’est aggravée avec les réseaux sociaux où les réactions deviennent aussi théâtrales que dans les formes diverses des « grandes gueules ».

Nous entrons lentement dans un monde à « fleur de peau » ou « d’écorchée.s vif.ve.s » qui réagissent au quart de tour sans distanciation et surtout en voyant le mal partout et dégainant leur indignation comme un gage de leur respect de la bienséance.

On crève dans ce monde dont aurait rêvé McCarthy qui gagne chaque jour du terrain dans un pays où la tradition des chansonniers est désormais bien lointaine. Les réactions à l’humour restent les vrais baromètres de la véracité de l’engagement d’une société à préserver la liberté d’expression.

Cet article a 8 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Comme tout cela est bien dit !
    Amitié depuis Pertuis, Porte du Luberon

  2. Laure Garralaga Lataste

    Bravo Jean-Marie !
    J’approuve, et surtout j’angoisse avec toi…

    1. Dany Cazeaux

      Oui, absolument d’accord. Mais avec Jean Marie, on angoisse souvent

  3. J.J.

    Je pensais aux chansonniers tout au long de la lecture de ton article, j’ai été heureux de les trouver à la fin.

    Mais cet esprit mauvais joueur a toujours existé. après l’émission que je n’aurais manquée pour un empire le dimanche : le Grenier de Montmartre, une autre émission » Radio Pastiche » se moquait gentiment des émissions de radio. Je me souviens d’un pseudo reportage où l’on nous faisait entendre en direct de Téhéran un « cri persan »…
    Un jour le réalisateur d’une autre émission humoristique (il devait s’appeler Déd Risel, ça dira peut être quelque chose a un autre dinosaure lecteur éventuel) avait été sévèrement offusqué que des collègues parodient son émission et en avait fait « tout un fromage », comme on dit vulgairement..

  4. GRENE CHRISTIAN

    Mille fois merci Jean-Marie!
    Voilà un texte qui met du soleil sur un ciel salement taché de gris que la pluie ne lavera pas. En me réveillant ce matin, j’ai entendu une voix qui m’appelait. C’était Pierre Dac. Il m’a dit de remercier ce mec qui écrit en Roue Libre pendant que lui, là-haut ou en-dessous, se fait ch… de ne plus pouvoir dire ou écrire ce qui se passe en ce XXIe siècle où les pisse-froid ont pris le pouvoir. Encore heureux qu’il y ait des pisse-vinaigre pour engager la Résistance. Moi, Jean-Marie, je réponds à l’ Appel du 4 décembre. Prenons nos vieilles plumes Sergent-Major et partons bouter cet ennemi qui voudrait nous interdire de moquer les… saigneurs.

  5. Puyo Martine

    Bonjour Jean Marie,
    heureuse de te lire, ainsi que ceux ci-dessus. C’est certain que les quelques humoristes qui restent ne peuvent plus s’aventurer à dire ce qu’ils pensent. Trop dangereux, trop de censure. La liberté fout le camp, il faut peser ses paroles. Heureusement tu es là pour nous apporter quelques sourires.
    Bonne journée.

  6. Dany Cazeaux

    De plus en plus, je trouve que Facebook nous sanctionne ,aussi. Propos inappropriés, nous ne pouvons vous permettre de partager, ou êtes vous sûr de vouloir partager , avec divers obstacles pour le faire….?Et comme tu le dis si bien, quand on crois répondre, avec humour, ou pas , à quelque chose de pacifiste, on se fait incendier. Mais là Facebook ne se manifeste pas

  7. Christian Coulais

    Samedi dernier, lors de la manfestation contre la loi de Sécurité globale, une banderole, portée par des jeunes, m’a bien faite rire :
    « Arrêtez de tout interdire, j’arrive plus à tout désobéir »
    (S)portez-vous bien.

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