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Par monts et par vaux on finit par s’user le moral

Une fois j’ai eu l’audace de participer à une « mini » course des crêtes organisée dans le superbe village basque d’Espelette renommé pour ses piments. Une épreuve qui justement passait par monts et par vaux avec des pentes plus que raides précédant évidemment des descentes que je pensais faciles alors qu’elles brûlaient encore plus les cuisses. J’ai gardé en mémoire un raidillon interminable où il fallait s’accrocher avec les mains pour éviter de se retrouver au point dé départ. 

La vie est faite de moments de ce type où chaque jour il faut s’agripper pour éviter de lâcher prise quand bien d’autres continuent à caracoler dans tous les contextes. On les regarde passer comme s’ils avaient un pouvoir particulier pour affronter un obstacle paraissant insurmontable. Même en se disant qu’il y a forcément un sommet à franchir après les mauvais moments passés le temps paraît interminable. Le pire c’est que l’on se sent isolé et livré à soi-même dans une épreuve collective. Pas un regard ! Nous sommes entrés dans une société du silence et de l’individualisme contraints. 

Comment ne pas penser à la montagne d’Espelette en cette période où quoi que l’on fasse on se sent bien seul face au milieu de tout le monde ? Les épreuves paraissent toutes plus difficiles les unes que les autres puisque personne ne tend la main pour vous aider à « monter » dans une période où le dialogue, l’échange, la solidarité s’effacent devant les contraintes sanitaires. Quel que soit l’âge, le constat est similaire : la souffrance de ne pas pouvoir suivre le rythme ou de convenir que l’on n’a pas les forces nécessaires pour surmonter les difficultés devient humiliante. 

En fait, quand, à quelques centaines de mètres de l’arrivée toujours trop loin pour celle ou celui qui n’a pas un moral de énième vainqueur, on se fait doubler par un enfant insouciant ou un ado résistant, le moral en prend un sacré coup. Chaque jour, depuis des mois, il faut s’adapter en permanence et ainsi oublier ses certitudes sur sa possible capacité à résister pour éviter de redescendre. Lorsqu’en plus les emmerdements volent en escadrille selon un principe chiraquien bien connu, le parcours paraît très long. On se sent vite essoufflé et vite démoralisé.

Un trail même modeste remet l’esprit en place car rien n’y est linéaire et sécurisé. Avaler les kilomètres plats comme on le fait des années, sans s’apercevoir réellement que la facilité est au rendez-vous, a usé la volonté de se sortir des sentiers abrupts par le haut. Rien n’est pire que de savoir qu’au détour d’un virage peut se profiler un test dont vous découvrirez les exigences qu’au dernier moment. Même préparé ou entraîné à l’inconnu, la tentation de renoncer traverse alors toujours l’esprit. Il faut tenir non seulement pour soi mais aussi et surtout pour les autres qui vous regarde. Renoncer serait trahir leur confiance. « Et pourtant »vivement que ça se termine ! » pense-t-on. 

La pandémie a disloqué les repères un peu comme si les bornes avaient disparu du bord des routes. Et quand on doute de sa capacité à terminer honorablement l’évaluation de ce qu’il reste à effectuer l faut avoir peur. On voudrait être sous la douche, tranquille et propre alors qu’on ignore dans quel état on parviendra à boucler l’ultime distance qui s’annonce. A Espelette au milieu des monts basques nul ne saurait prétendre terminer indemne physiquement et moralement. Si on ne le sait pas on le découvre très vite ! 

Les faux pas, les chutes, les erreurs se payent tôt ou tard.  Chaque fois que l’on se relève on se dit qu’il n’y aura pas de prochaine fois car on fera attention car l’on saura déjouer les pièges d’un sol que l’on a cru stable. En pure perte car l’imprévisible appartient à toute existence. Le virus le rappelle sans cesse. Où est-il ? Invisible ? Insaisissable ? Inarrêtable ? Il rôde pour happer celles et ceux qui oublient les règles élémentaires de sécurité. Le reste intéresse peu ! 

Faire front, aller puiser au fond de soi les ressources indispensables, chercher à se préserver, garder l’envie de réussir, se blinder contre le doute, chercher chaque opportunité de se rapprocher des plus en forme, accepter les encouragements ou les conseils , conserver l’espoir : autant de principes aisés à énoncer mais difficiles à mettre en œuvre.

Jamais il n’y a eu aussi peu de perspectives de terminer sans dommages, dans tous les secteurs et pour toutes les personnes, une « épreuve » dont « l’arrivée » recule chaque jour. L’épuisement guette et l’incertitude l’aggrave. A Espelette il suffisait de tenir pour s’en sortir. Et ça dépendait de sa capacité personnelle à assumer les efforts nécessaires. Désormais j’ai vraiment le sentiment que tout ne dépend plus de ma seule volonté… Suis-je le seul ?

Cet article a 5 commentaires

  1. Bernie

    Bonjour tout le monde,
    Dans cette phase épidémique, chaque aquitain est tjs seul, comme toujours, que l’on soit en phase montante ou descendante, nous sommes tjs seuls. C’est chacun de nous

  2. Laure Garralaga Lataste

    à J.M « … autant de principes aisés à énoncer mais difficiles à mettre en œuvre », telle est ta prose, et pourtant…
    N’est-ce pas le sens même de la vie ?

  3. J.J.

    Ce texte, mis à part sa gravité, m’évoque irrésistiblement cette citation d’Alexandre Vialatte, chantre et amoureux pince sans rire de son pays (Chroniques de la Montagne).
    : « En Auvergne il y a plus de montées que de descentes. »

    Et je vous livre celle-ci, parmi tant d’autres(choix difficile), pour détendre un peu l’atmosphère :
    « Quoi de plus charmant qu’un clair de lune ? demandait une fiancée ravie. « Deux clairs de lune », répondit son fiancé, qui était un polytechnicien. »

  4. Bernie

    @jj. Merci, mais savez vous qu’il n’y a qu’une lune !
    Cependant, elle peut se refléter dans l’eau et en faire 2 images. La lune est un astre unique.

  5. Bernie

    Ecoutons notre chef d’etat ce soir, va t’il annoncer la fermeture de toutes les écoles ?

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