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Quand on fait du foin tout l’été

La liberté estivale ne reposait pas nécessairement sur le seul critère du lieu des vacances et des activités menées. Elle résultait souvent de la capacité que l’on pouvait avoir à récupérer, par son travail, un pécule autorisant les rêves les plus fous. Chaque été, dès quatorze ans, la quête de petits boulots dans le village nous permettait de récupérer les fonds nécessaires à des achats ou à la participation à des événements de manière totalement indépendante.L’objectif en était fixé à l’avance.

J’ai en mémoire celui de 1962 qui consistait à investir, en commun avec mon frère, dans une caméra. Mon père voulait absolument revenir sur les traces de sa famille et nous avions décidé de mettre en images ces moments de telle manière que de longues années plus tard nous en gardions la trace. Le choix se porta sur Caméra Kodak dite Automatic 8, une sorte de parallélépipédique noir sans aucune ergonomie, avec un objectif simple et une manivelle sur le coté droit permettant de filmer de manière très sommaire. L’investissement était ambitieux mais il nous fallait vraiment assurer son financement de manière autonome. Difficile de récupérer un travail d’adulte permanent. Le mieux était donc de louer nos bras à la journée auprès de propriétaires ayant des travaux urgents à effectuer.

Dès la fin de l’école nous avions un créneau favorable, celui de la « rentrée » des foins. Le propriétaires de vaches devaient parfaitement connaître les prévisions météorologiques pour déterminer le jour de la coupe car ils risquaient gros avec cette fenaison. Il leur fallait s’assurer de 48 à 72 heures d’ensoleillement intégral suivrait leur passage dans le pré. La faucheuse, dotée d’une lame de coté redoutablement aiguisée, tirée par un cheval docile effectuait des aller-retour parfaitement rectilignes dans un cliquetis sonore. Assis sur un siège moulant en fer percé de larges trous d’aération le maître de la prairie, haut perché guidait avec les rênes et de la voix son compagnon se battant souvent contre les mouches et les taons redoutables ennemis estivaux. Je me grisais de ce mélange exceptionnel de parfums qu’aucun « nez » de grande maison aurait pour créer. L’odeur du foin coupé reste magique.

Le pré, coloré de fleurs au sommet de leur art, bruissait des appels lancinants des grillons, de ceux stridents des sauterelles et se laissait aller aux caresses des arabesques légères des papillons. Si les orages violents n’avaient pas couché les graminées pourtant souples ou les herbes affolées, il était facile de mettre au sol ces brassées odorantes qui feraient le bonheur du bétail quand l’hiver serait venu.

Les plantes gisaient sur le flanc, fauchées en pleine vie par la machine impitoyable. Il était parfois nécessaire de mettre à mort avec une faux les parties du champ inaccessibles à l’attelage. Rien ne devait être négligé. Je me gavais du parfum inimitable montant de ces prairies fraîchement coupées. Celle ou celui qu l’a sentie le conservera comme une madeleine d’une époque où la campagne offrait le bonheur des satisfactions simples et naturelles.

En soirée et même parfois en début de nuit, à la fraîche, le couple revenait avec une étrange machine dotée de griffes à l’arrière, pour secouer le foin et l’aérer. Si le propriétaire n’avait pas les moyens de s’offrir cet « insecte » aux grandes pattes éparpillant la « récolte », une équipe le faisait à la fourche avant de le ranger en « randes » grâce à des râtelles en bois. Là il y avait du boulot et quelques pièces à gagner ou des gamins décidés.

La fenaison revêtait une importance particulière dans les fermes de polyculture puisque la production laitière procurait une rente journalière indispensable à l’autarcie familiale. Pas de foin dans la grange c’était des dépenses supplémentaires pour acheter de ma nourriture pour le bétail. Avant la mécanisation systématique, la collecte de la nourriture pour les vaches nécessitait une main d’œuvre aguerrie. Un rituel campagnard. 

Après avoir soigneusement brassé et mis en lignes les herbes sèches, les « rateleur.se.s » regroupaient manuellement le foin en petites meules. La charrette, sur laquelle était juché le plus expérimenté des ouvriers, attendait que l’on monte à la fourche une brassée de cette précieuse récolte. L’opération se déroulait parfois dans la précipitation si l’orage menaçait. Une journée à lever, de plus en plus haut, à bout de bras, ce qui paraît léger mais qui finissait par devenir un vrai fardeau devenait harassante. « Une bonne fatigue » disait mon père dont la gloire résidait dans une capacité inépuisable de travailler . Le meilleur moyen pour nous de muscler nos bras et nos cuisses sans avoir besoin de salle de gym qui d’ailleurs n’existaient pas.

La poussière, les débris, les brindilles se collaient sur les torses nus et suants rendant la douleur insupportable au fil des heures. Cette pluie de minuscules déchets provoquait des piqûres multiples irritant la peau. La douche n’existant pas, le jet d’eau en fin de journée constituait un bienfait notable et indispensable.

La rémunération se traduisait alors en fin de période par quelques billets déposés dans une enveloppe. Cumulées ces « récompenses » nous permirent, avec des économies antérieures, de financer la caméra. Elle produisit des images que nous pensions inoubliables et qui le restèrent au-delà de ce que nous espérions.

Dans les mois suivants nous avancions sur la voie de la réalisation en achetant une colleuse et un projecteur 8 mm… qui nous offrirent le luxe de transmettre les images des suites d’un grave accident de la route nous ayant privé de nos vacances rêvées en Italie. Elles s’arrêtèrent à Marseillan plage dont on ne vit d’ailleurs pas le sable.

Cet article a 13 commentaires

  1. Christian Baqué

    Ah, l’odeur du foin m’est aussi en mémoire ! Et je me souviens de charrettes rentrées, restées dans un hangar, en haut desquelles les plus délurés d’entre nous , filles et garçons, faisions quelques galipettes… Aujourd’hui, en cultivant mon potager « sous le foin », je retrouve cette odeur qui rappelle l’enfance, atténuée
    par l’âge … du vieux foin.

  2. J.J.

    Cette inimitable odeur de foin que tu sais si bien évoquer !

    Au hasard des « coups de main », j’ai connu l’époque où l’on montait « en vrac » le foin à la fourche, puis les petites bottes en parallélépipède, qui devaient peser pas loin de 10 kilos, il me semble, et c’était plus rapide mais plus physique !
    Maintenant inutile d’envisager de déplacer les monstrueux rouleaux, emballés comme des articles de super marché, sans un tracteur pourvu de l’équipement « ad hoc ».
    Finis les petits boulots !
    Il m’est arrivé de faire les foins en montagne et là c’est encore plus sportif !
    J’ai aussi, toujours en montagne, au lieu de dormir sous la tente, préféré la meule de foin du pré voisin.
    Douceur de l’herbe sèche et ivresse des parfums de la montagne.

  3. Laure Garralaga Lataste

    à J.M, à Christian et à J.J…
    Pour moi, la montagne, le parfum du foin coupé et les bœufs me ramènent à… Oloron-Sainte-Croix, hameau aujourd’hui disparu car rattaché à Oloron-Sainte-Marie (64) :
     » Ah !Ces odeurs de foin séchant sous les feux du soleil ! Je revois… les museaux nacrés, humides et charnus, parsemés de bulbes pileux. Je me remémore la marche des bêtes sous le joug qui s’incline à droite puis à gauche, marquant l’effort fourni par les bêtes pour tirer la charge des pesantes meules…  » la déchirure « , p.62 — 5 enfants de la guerre d’Espagne témoignent — éditions LIENS, décembre 2009.

  4.  » L’odeur du foin coupé reste magique. »
    Rien à ajouter, rien à retrancher. En plein dans mes souvenirs d’école d’agriculture (1955-1958) et des stages fenaison-moisson. En 1958-59, salarié agricole en Charente, le chantier de fenaison était motorisé, de la coupe à l’andainage. Après avoir retourné l’andain passage d’une botteleuse et là : la fourche « à deux pions » et l’exercice des biscoteaux pour monter les bottes que l’ouvrier expérimenté litait en quinconce. Pendant ce temps les femmes et les plus jeunes râtelaient le foin disséminé un peu partout. Ce n’était déjà plus la fenaison comme je l’avais connue… et depuis, euh… rien à voir ! Mais ce que j’ai apprécié en Charente, c’était l’entraide et les chantiers très collectifs, speeds mais festifs. La faux, je l’ai exercée plus tôt en saison non pour du foin mais pour l’herbe « en vert » (complément à l’étable en fin d’hiver) et… j’en ai bavé car c’était de la vesce-avoine (dont l’essentiel était destiné à la coupe et hachage pour ensilage), la vesce se tortillant, entourant la lame, bref ne faisant rien qu’à m’embêter !!!
    L’année dont tu parles, j’étais passé de l’autre côté de la clôture (retour de mes 27 mois outre-Méditerranée) : conseiller agricole (polyculture-élevage) en Pays de Bray, Vexin normand et Picardie. La mécanisation et la motorisation se généralisaient en même temps que l’agrandissement des fermes, des exploitations agricoles.
    Mais en juin sur les coteaux et dans les plaines subsistait…  » L’odeur du foin coupé (qui) reste magique. »

    1. J.J.

      Bruno de la Rocque@
      « Mais ce que j’ai apprécié en Charente, c’était l’entraide et les chantiers très collectifs, speeds mais festifs ».

      J’ai vécu ça occasionnellement, il y avait des moments durs, mais on s’amusait bien aussi de temps en temps.
      Je pense que je l’ai déjà dit, mais un jour, un parent d’élève (à la campagne, dans les années 70 /80) m’avait déclaré :
      « Ce qui a détruit la solidarité dans les campagnes, ce sont la télé et la moissonneuse batteuse. »
      La situation s’est elle améliorée depuis ?

  5. Bernie

    Bonjour les écrivains,
    Ecrire c’est bien mais travailler dans ces exploitations c’est dur surtout lorsqu’il faut évaluer le nombre de travailleurs pour l’année suivante est aléatoire. Il faut être un fin observateur. Satisfaite pour le début de conversion des prairies en vigne. Dur les travaux agricoles.

  6. Bernie

    Suite du message précédent :
    Les jobs pendant les vacances permettent à des jeunes un + de fric.
    Le gros soucis pour les vaillants agriculteurs est le recrutement d’emplois saisonniers. L’agriculteur doit demander au moins 6 mois à l’avance le nombre de saisonniers utiles à son exploitation.
    En France, trop de chômage tue. Il faut revoir tout cela.

    1. Bernie

      Pourquoi les viticulteurs ont ils droit au RSA ?

    2. Laure Garralaga Lataste

      à Bernie

      1. Laure Garralaga Lataste

        Suite… Nous n’étions pas payés à cette époque… Nous étions nourris et logés et passions de superbe vacances riches de vie !

        1. Laure Garralaga Lataste

          OUPS ! de superbes vacances.

        2. François

          Bonjour @Laure Garralaga Lataste !
          ….. pas payés certes mais les bonnes vacances au grand air du piémont étaient un bon acquis pour l’année à venir. Parfois, un billet s’égarait dans la valise du retour au milieu des pots de confiture de myrtilles et de framboises sauvages patiemment cueillies dans la haute vallée d’Aspe !
          « Souvenir, souvenir, quand tu nous reviens, ton étreinte devient forte …… »
          Respectueusement.

  7. J.J.

    Ces « fragrances » (je pense que le mot n’est pas trop fort) d’herbes d’été coupées et séchées , c’est notre Madeleine de Proust.

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