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instit’ un jour… instit’ toujours !

« Si dans votre vie professionnelle d’instituteur ? vous avez élevé une seul esprit, vous pouvez affirmer que votre carrière est réussie ». Cette affirmation d’un inspecteur général de l’Éducation nationale d’antan dont le buste trône dans le hall de l’École normale supérieure a toujours trotté dans ma tête. Elle rend modeste sur le rôle que l’on peut avoir dans la fonction d’enseignant. L’affirmation est pourtant extrêmement ambitieuse car elle cherche à donner un objectif beaucoup plus large que celui de la transmission du savoir à celles et ceux que la société vous a confiés.

Il est important pour toute personne qui souhaite agir dans l’intérêt du plus grand nombre de se persuader qu’elle ne peut pas bouleverser seule les équilibres défavorables constatés. Il faudra des milliers d’intervenants motivés et pédagogues pour parvenir à modifier le cours actuel d’un évolution sociétale très éloignée de cette volonté d’excellence. En paraphrasant le constat d’un enseignant et en l’adaptant à la vie publique il est possible de penser que dans la période actuelle le fait de transformer un seul consommateur passif en citoyen éclairé constitue une forme de réussite respectable. Chaque réussite même modeste prend des allures de victoire; 

En lisant et en relisant « la Gloire de mon père » de Pagnol que je finirai par connaître de la première à la dernière ligne je retiens deux passages ayant toujours alimenté ma réflexion sur le rôle et la place des hussards noirs de la République auxquels j’ai toujours souhaité appartenir. L’un a trait à l’évolution de la carrière de ces transmetteurs de valeurs que j’ai eu le privilège de côtoyer.

Ayant terminé volontairement ma carrière au grade d’instituteur (en fait pour deux ans je fus déchu de ce beau grade pour être promu professeur des écoles) j’ai parfois été accusé d’avoir manqué d’ambition (maintenant je le constate avec le niveau de ma pension). Or dans un passage de ce merveilleux livre, Pagnol évoque la situation de ces « maîtres d’autrefois » qui «  avaient une foi totale dans la beauté de leur mission, une confiance radieuse dans l’avenir de la race humaine. Ils méprisaient l’argent et le luxe. Ils refusaient un avancement pour laisser la place à un autre ou pour continuer la tâche commencée (…). »

Ai-je été tellement différent ? En regardant derrière moi (ce qu’il vaut mieux éviter) je ne trouve pas d’autres objectifs à ma vie. Il est devenu tellement difficile de convaincre de sa sincérité que je n’oserai même pas entamer la démarche. Il faut donc savoir se contenter de la glace en rasant pour découvrir que dans le fond c’était aussi bien ainsi. Ce n’est ni de la fausse modestie, ni du cinéma ou du pathos mal placé mais simplement un sentiment profond que Pagnol conte avec un exemple prêtant à sourire et à émouvoir.

« Un très vieil ami de mon père, sorti premier de l’école normale, avait dû à cet exploit de débuter dans un quartier de Marseille : quartier pouilleux, peuplé de misérables où nul n’osait se hasarder la nuit. Il y resta de ses débuts à sa retraite, 40 ans dans la même classe, quarante ans sur la même chaise. Et comme un soir mon père lui disait : « tu n’as donc jamais eu d’ambition ? »

  • Oh mais si ! J’en ai eu ! Et je crois que j’ai bien réussi ! Pense qu’en vingt ans mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi en quarante ans, je n’ai eu que deux et un gracié de justesse. Ça valait la peine de rester là ! »

Ce retour-bilan sur une carrière d’une autre époque a imprégné toute les carrières des instits d’une autre époque. Impossible pour moi de me priver de ce genre de rétrospective. Les joies, les satisfactions, les plaisirs, les enthousiasmes sont intérieurs mais tellement agréables, que s’en priver relève de la flagellation morale.

Instit un jour… instit toujours. Cette habitude de rechercher l’influence que l’on a pu avoir sur un parcours individuel reste dans la vie publique. Dans le quotidien je cherche les microscopiques parcelles de ce que j’ai pu transmettre chez les un.e.s ou les autres… Rien de prodigieux ou de flamboyant mais une virgule qui fait la différence que je suis le seul à pouvoir saisir. Un clin d’œil, un sourire, une attitude, un mot plutôt qu’une autre et maintenant un SMS suffisent à réchauffer le bonheur d’avoir été simplement utile ou compris. La session de début de mandat du conseil départemental de la Gironde vue de loin et de l’extérieur prend ainsi une toute autre valeur…

« Comme les prêtres, disait mon père, nous (les instituteurs) nous travaillons pour la vie future : mais nous c’est pour celle des autres ». Dans le fond, il arrive toujours un moment où l’on se rend compte que l’on a vécu que par les autres, avec les autres et pour les autres. Maintenant il s’agit de bien profiter de ce qu’ils sont devenus simplement en les regardant sans mot dire, avancer vers l’avenir.

Cet article a 6 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Rien à rajouter puisque tout est dit…

    1. François

      Bonjour @ Laure Garralaga Lataste !
      Certes « tout est dit » mais je suis intrigué par la présence des pointillés: une erreur typographique ? Peut-être que l’écrivain a omis quelques porosités dans cet élogieux curriculum vitae genre nombreuses années « détaché à X postes ( syndicat, MGEN, visites des musées bordelais, etc ), années sabbatiques autorisées c’est à dire loin du tumulte grandissant des écoliers en liberté non surveillée ainsi qu’une petite erreur de date de nomination « prof des écoles » alors que des collègues « dans le cambouis » ont dû patienter !
      L’âge me fait déraisonner. Aussi, j’arrête là mon propos car, comme le dit si bien @J.J., je vais être catalogué ronchonneur de service, ou plus à la mode de « complotiste » ! ! !
      Respectueusement.
      A François (de la part de JMD) : jamais détaché un seul jour quelque part : ni le syndicat ‘=(militant bénévole hors des horaires), MGEN (militant bénévole hors classe), visite des musées (inconnu de ma part). Une année de congé sans solde (81-82) et jamais sur autre chose qu’un poste d’instit en ayant refusé d’exercer ailleurs que dans une école… Porfesseur des écoles 18 mois avant ma retraite au tour normal car j’avais le diplome de maître formateur (conseiller pédagogique) que j’avais passé pour le plaisir et sans jamais vouloir l’exercer ! Encore une fois des idées toutes faites qui alimentent les poncifs du RN et des populistes et qui te rassurent sur des certitudes non vérifiées

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à François…

        J’ai bien fait de patienter ! La réponse claire, nette et précise de l’instit se trouve après le commentaire de J.J .

  2. J.J.

    J’ai eu pendant une grande partie de mon « service actif » d’enseignant, la lourde et périlleuse tâche d’apprendre à lire à de jeunes enfants sortant de maternelle.
    Travail difficile, rebutant, répétitif, mais qui apportait chaque année la satisfaction d’avoir permis l’acquisition de connaissances essentielles pour l’avenir. À la rentrée, j’avais une sorte de « nurserie »( je en mets pas en cause le travail des enseignement des enseignants de maternelle dont l’enseignement est adapté à l’âge de leurs élèves). Au mois de juin, ce petit monde disparate et individualiste était devenu, en plus des compétences acquises, une communauté, une petite société, avec ses traditions, ses rites, ses amitiés, un apprentissage de la vie en société.
    Et la « récompense » était la satisfaction immédiate de pouvoir vérifier, affirmer la réalité des acquisitions, ce qui n’est pas forcément aussi évident à d’autres niveaux.
    J’en ai pris conscience, lorsque j’ai changé de classe pour aborder des thèmes d’étude un peu plus variés. Malgré le constat de réussites et de progrès, je ne ressentais pas la même satisfaction que d’avoir participé à cette initiation au monde de la lecture.
    Je n’ai pas eu que des réussites et je disais en parlant de mes élèves : malgré tous mes efforts certains n’ont pas appris à lire, la plupart ont appris grâce à moi, et d’autres malgré moi.

  3. J.J.

    Je ne saïs comment ça se passe maintenant, mais les « à côtés » du métier étaient nombreux et généralement sans « détachement » : animations Franca et centre Aéré durant les vacances, préparation des réunions syndicales, gestion Autonome, Antenne Prévention Maif, ADOSEN, MAE, FCOL, etc…(pas tout à la fois, bien sûr) de quoi occuper ses loisirs et une partie de sa retraite. J’ai aussi fait l’opérateur projectionniste dans les soirées des collèges voisins ( et parfois dans ma classe grâce à l’OROLEIS et le CRDP), le vieux Debrie 16 n’avait plus de secrets pour moi. Sans oublier les cours de secourisme …
    Il est vrai que nous avions été formé à ce genre de « dévouement » pour la collectivité : chaque jeudi après midi, avant de sortir de l’EN, il fallait trouver des volontaires pour aider le responsable de la copé à faire le ravitaillement, et assurer le service pour aider à l’encadrement des centres de loisirs.
    Pas de temps morts !

  4. Jouvet Fabienne

    Si tu n’as plus de classe, tu as toujours des élèves, ceux que tu accompagnes, toi le « père » nourrisseur , tu as ce pouvoir d’ajouter des barreaux aux échelles de la vie, et de permettre de franchir le niveau suivant, cette force, d’enlever ces gros cailloux qu’isl soient administratifs ou autres et de permettre d’avancer, de retrouver la confiance…. il y en a tant qui te doivent beaucoup, qu’il ne serait possible de les compter, je suis de ceux là….. Instituteur oui, c’est gravé dans ton ADN… Fabienne.

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