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Le pass présent et le temps passé

La convivialité estivale sur la terrasse du Bistrot des Copains semble être partie depuis quelques jours, avec le soleil. Elle s’est évaporée grâce à un tour de passe passe sanitaire. Pourtant ce matin lors d’un marché « maigrichot » tant en commerçants qu’en chalands, l’espoir de retrouvailles animait bien des habitués de ces mercredis de rencontres. Les vacances tirant à leur fin avec cette avant-dernière semaine aoûtienne, nombreux étaient ceux qui espéraient retrouver le partage rassurant des habitudes. Ils en furent pour leurs frais.

Le climat  a vite tourné à l’aigre. Parmi les premiers arrivants, quelques hérauts de la liberté bafouée prétendaient vite s’imposer au maître des lieux. Le seul fait pour ce dernier de solliciter le respect de la loi déchaînait invectives, injures et menaces à son égard. La température frisquette montait vite d’un cran. L’affrontement verbal masqué laissait alors la place à des gestes pour le moins déplacés mais sûrement conformes au niveau des arguments des prétendants à un café. La terrasse tremblotait d’inquiétude.

Les incidents se succèdaient poussant Nicolas, maître bistrotier en chef un peu esseulé face à cette animosité, à décréter la fermeture du lieu extérieur. « J’ai été contrôlé à deux reprises depuis le début de la semaine par les gendarmes et je refuse de prendre le moindre risque mais que puis-je faire face à des comportements aussi violents ? Ils contestent le pass et les vaccinations mais en quoi suis-je concerné ?  Je perds patience et je m’énerve donc je préfère arrêter. Tant pis ! Je suis fatigué de me battre pour appliquer une loi dont je ne porte aucun responsabilité. » Il fulmine. Les larmes embue son regard. « Depuis quelques jours c’est épuisant ! Je deviens même un collabo avec je ne sais qui pour certains ! »

La coopérative du quintet tourne aujourd’hui au ralenti. Le club des cinq est décimé par les soucis. L’un attend sa seconde injection pour obtenir le droit de s’attabler devant son kir ! L’autre connaît une journée bien triste puisqu’il ferme son établissement pour changement de propriétaire lié à des regroupements capitalistes. Le troisième a préféré logiquement le grand air du Bassin d’Arcachon. Le bistrot « privatisé » traîne donc sa misère en ce mercredi malsain. Les bras grands ouverts des fauteuils attendent que le calme revienne.

Désappointés par ce non-accueil quelques découvreurs du monde du marché tentent de frapper aux carreaux essuyant un refus de celui qui a été classé par les contestataires en « patron de combat.» Inexorablement le sentiment que les tensions montent d’un cran, que la fracture sociétale s’accentue et que l’incompréhension s’installe grandit dans la société ordinaire de Créon. Je ne reconnais plus cette terrasse joyeuse, diversifiée, paisible permettant justement de remettre du soleil dans l’eau froide de la période présente. Le partage trépasse dès que le passe se trouve partout.

Les copains retrouvent peu à peu le chemin du Bistrot. Bernard, le « paysan confédéré » fleurant l’arôme des vignes de César apporte lui-aussi des nouvelles qui sapent le moral. «  L’attaque du mildiou cause des ravages explique-t-il à ceux qui aux consommateurs de blanc, de kir ou de rosé. Dans des parcelles toutes les feuilles sont grillées et je ne suis pas certain que les grappes ne soient pas atteintes. Ce sera pour pas mal de viticulteurs une nouvelle année très difficile ! » C’est à croire que ce matin tout optimisme est terrassé. « Je rentre de Craon en Mayenne pour des obsèques d’une connaissance. Je n’ai pas pu aller au restaurant faute de pass’ sanitaire pour mon épouse…C’est dur ! ajoute-t-il avec un pointe de regret. La grisaille ne se disperse pas. L’été se pourrit à vue d’œil et malgré la volonté de voir la vie en rosé je désespère.

Nicolas joue au saint en revenant peu à peu sur sa décision de fermeture. Sans parasols la terrasse se retrouve à poil. Elle crie famine. Quelques commandes parviennent au comptoir redonnant un zeste d’ambiance positive. Un rayon de soleil arrive pour réchauffer tout le monde. Mon copain Christian a rejoint le bistrot des rencontres. Il commande : « un liquide plus jaune que celui des autres ! » Il y a longtemps que la Cène du mercredi n’avait pas vu arriver un tel breuvage.

Les temps changent et août ne renforce plus les ventes de l’oncle Paul d’anis. La venue de « Lagrène » a tout changé car il ouvre la boite aux souvenirs et plus d’un demi-siècle de tellement de chouettes moments partagés. Le sourire revient. Les retrouvailles ont remplacé les rencontres. Un pass mémoire permet d’affirmer que les plus beaux étés restent ceux du temps passé… 

Cet article a 3 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Qu’une guerre civile sanitaire s’annonce à Créon en dit long sur le climat général qui s’infiltre lentement mais sûrement… partout en France ! J’ai tournée trois fois ma plume dans l’encrier avant d’écrire chaque mots…
    « Tristeza nao tem fim, felicidade sim… » (Un fado brésilien)
    « Il ne faut pas pleurer parce que cela n’est plus, mais il faut sourire parce que cela a été. » (Marguerite Yourcenar)

  2. GRENE CHRISTIAN

    Souvenirs du marché à Créon ce mercredi: je n’ai rien fait aujourd’hui. Farniente ce matin, sieste cet après-midi jusqu’à ce que j’allume la TV pour regarder la Vuelta. Trop tard! Laure avait déjà franchi la ligne d’arrivée. J’ai la tête comme un melon d’Espagne et me suis rappelé ma rencontre de la veille, au « Bistrot des Copains », avec un gentil monsieur en qui j’avais crû reconnaître mon auteur favori. Je lui avais posé la question « Antoine?… » Il a souri et m’a dit: « Hé, non! Ni Blondin ni Saint-Ex. Moi, c’est Jean-Marie Darmian… »
    Retombé sur ma planète, avec les verres remplis comme ça (à ras), je lui ai lancé: « Cuisine-moi un mouton! » Désertant le bistrot où je croyais me sustenter, je me suis retrouvé chez le papa d’Ezio et souvenu de cette phrase dans la préface de son livre: « J’aurais aimé goûter la polenta dorée et sucrée de Gesuina ».
    Du rêve à la réalité. Merci Ticlo et Pierrot pour cet instant de bonheur. Merci 9 fois Jean-Marie, comme dans la vie d’Ezio.

  3. GRENE CHRISTIAN

    J’ai oublié de dire, pour expliquer mon texte précédent, que j’avais été reçu comme un « petit prince » chez Jean-Marie, à Créon même.

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