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Le gardien amoureux de la lumière de Cordouan

Jean-Paul, s’affiche avec une certaine fierté aux côtés d’une splendide maquette au centième du Phare de Cordouan. Plus de 700 heures de travail minutieux avec des matériaux de récupération a permis à un charentais de réaliser ce qui ressemble à un chef d’œuvre de compagnon du Tour de France. Offerte à celui qui fut durant 35 ans gardien de ce monument désormais inscrit au patrimoine mondiale de l’UNESCO elle attire l’intérêt des petits et des grands. Le monument immédiatement reconnu génère les compliments et les questions.

Jean-Paul se prête volontiers au dialogue tant il possède « son » phare sur le bout de chaque pierre qui le constitue. Son histoire, ses dimensions, ses caractéristiques techniques, ses malheurs et ses bonheurs, ses secrets, sa vie quotidienne : celui qui a fréquenté le lieu pour en garantir le bon fonctionnement de jour comme de nuit ravit son auditoire. « Vous savez j’ai eu le temps de vivre avec lui. J’ai écrit un livre (1) qui raconte ce qui ressemble à un mariage avec ses périodes difficiles et ses moments de partage ». Employé de la direction des « phares et balises » et donc de l’État il a connu toutes les péripéties du site. Et elles ont été nombreuses.

« Il y a eu de nombreuses mutations technologiques qui ont fini par rendre non nécessaire la présence humaine. » explique celui qui a surveillé avec une attention particulière l’efficacité du système. Au début de son histoire les gardiens allumaient de grands feux en haut de la tour. Ils les alimentaient avec des dizaines de stères de bois enduit de poix, d’huile et de goudron. En fait une fumée noire servait davantage de repère pour les navires. Des lampes à huile ont succédé à cette pratique avant qu’en 1823 soit installé la fameuse lentille de Fresnel qui a révolutionné l’efficacité des phares… Tous les autres systèmes installés nécessitaient une présence humaine jusqu’en 2006 et l’automatisation de l’allumage. Les services de l’État se sont retirés en 2012 !

Jean-Paul est intarissable et d’une impressionnante précision. il connait la souffrance des pierres martyrisées par l’eau de mer. Le fracas des colères de Neptune. Les longues nuits de vents mauvais venus du large. la fragilité de la lumière de ces bateaux qui attendent dans la nuit le pilote de l’estuaire. Les traversées mouvementées pour regagner la terre.   Les distances de visibilité, la puissance du signal, la signification des couleurs, les travaux effectués depuis l’origine : l’ancien gardien est incollable. « Ce phare n’a plus du tout la même utilité car la navigation s’effectue maintenant par satellite. Il est vraiment devenu un monument historique exceptionnel par sa situation et sa qualité architecturale. Grâce aux collectivités locales qui ont accepté de relever le défi de son entretien et de sa restauration il a un bel avenir devant lui. » A ce propos Jean-Paul a un souvenir très précis du jour où tout a basculé.

« Lors de la réunion où l’Etat cherchait un repreneur, Yves Lecaudey (2) a eu le courage de se porter candidat et de mettre 100 000 euros sur la table. Il a ensuite trouvé une entente avec la Charente-Maritime. Je n’ose pas penser ce qu’il serait advenu de Cordouan si ce jour-là tout les élus locaux avaient tourné le dos ! » Il n’aurait visiblement pas supporté de voir décliner ce qui n’était plus devenu un lieu de travail mais sa « maison ». Il l’avait vraiment choisi puisqu’à la sortie de l’école de Brest puisque son rang de sortie le lui avait permis.

« Je me souviens que le premier avait opté pour un poste en corse et le second pour la Guadeloupe. Comme les Bretons étaient les plus nombreux ils avaient raflé les emplois dans le sites de chez eux et moi en huitième position j’ai sauté sur Cordouan que personne ne voulait car il était réputé difficile en pleine mer. Je n’en suis jamais parti… » Une fidélité qui illustre sa passion pour un métier certes mais aussi pour celui que l’on qualifie de « phare des rois » (alors qu’il n’y sont jamais venus même si une chambre leur est réservée)

« Il y avait pourtant des phares plus intéressants comme ceux qui étaient à terre avec logement pour la famille où celui où les touristes étaient déjà admis. Ils laissaient un pourboire dans un grand récipient et à la fin de la saison les gardiens effectuaient ce qu’ils appelaient la répartition à la louche. Il la plongeaient dans le pot et remontaient une part des pièces et des billets ! » Jean-Paul admet que c’est une époque révolue mais ne cache pas son plaisir lorsqu’un couple lui remémore une soirée qu’il organisait avec repas qualifié par ces convives privilégiés de « plus beau moment de leur vie ».

Le parcours de gardien du « Roi des phares » n’a jamais été un long « estuaire » tranquille. Homme de mer il conserve un souvenir indélébile des assauts de l’océan contre ce qui était alors un refuge face à la tempête de 1996 et surtout celle de 1999. Sur la maquette Jean-Paul explique sur la maquette l’impact de vagues gigantesques et revit avec une passion intactes ses longues années de vie commune avec Cordouan. Il en même a écrit un roman d’amour.

(1) Les 301 marches de cordouan Jean-Paul Eymond Editions Sud-Ouest

(2) Yves Lecaudey conseiller général du canton de Castelnau de Médoc de 79 à 92 et de 98 à 2011 

Cet article a 8 commentaires

  1. GRENE CHRISTIAN

    Bonjour Jean-Marie!
    Ce papier bien chantourné mérite un gros bouquet de followers. Tu restes notre phare.
    Ad’taleur!

  2. J.J.

     » followers »
    Tant est beau le phare et belle la prose de Jean Marie, tant ce mot est laid !
    (Surtout si ce sont des followers artificiels)

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J . J .
      Comme je suis réfractaire à l’anglais, je ne sais pas ce que ce mot veut dire !

  3. Laure Garralaga Lataste

    Merci à Jean-Paul et à Jean-Marie, ils ont écrit à deux mains pour que la journée soit belle… !

  4. J.J.

    Laure @ … » Je viens de lire les « Mémoires et analyses » »…
    Avez vous lu ( N° 11 p 25 L’Épuration ) le passage à propos des « tondues » ?

    1. Laure Garralaga Lataste

      Non, mais merci de les porter à ma connaissance. Sont-elles accessibles sur internet… ?
      Va -t-on continuer avec ce « tu » de noblesse ?

  5. Laure Garralaga Lataste

    @ à J . J .
    Je suis allée sur internet et… j’ai trouvé « Bordeaux — Août 1944 — Après la libération…  »
    Une honte ! Qu’avaient commis ces deux femmes pour connaître pareille ignominie, alors que des hommes plus immondes ont pu « passer par mailles… » ! À cette époque, j’habitais rue Monadey (dans la petite Espagne) où se trouvait le commissariat d’où partaient les femmes tondues… Pour où… ? Je l’ignore, mais elles étaient vêtues !

  6. GRENE CHRISTIAN

    M’sieur, comme vous savez, j’aime pas les curés, les flics et les militaires. Les donneurs de leçons, non plus. Sans doute que j’ déblogue à pleins tubes…de l’été: je viens d’apprendre mon transfert just before midnight de Charles Dickens vers… Charles Perrens. Help me!

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