You are currently viewing Le lundi où rien ne s’agite autour de moi

Le lundi où rien ne s’agite autour de moi

Il y a des décennies que le jour le plus long à Créon est bel et bien le lundi. Il traîne sa tristesse quelle que soit la saison. Un vide sidéral envahit la place centrale sur laquelle hors l’heure de la rentrée ou de la sortie des classes, il est aisé de stationner. Les terrasses se sont effacées privant ne ce jour caniculaire ou presque, les vaisseaux du désert de leur chance de trouver un oasis. Les cyclistes pour qui Créon constitue un poste de ravitaillement tournent en « carré » au cœur de la ville bastide avec l’espoir de finir par dénicher une boisson énergisante ou au minimum rafraîchissante. Ne parlons pas des touristes de fin de saison qui pestent contre ces fermetures « éclairs » et imprévues.

Il n’y a en définitive que deux points potentiels pour prendre un brin de joie de vivre. La boulangerie-pâtisserie José qui interrompt son service de 13 h à 16 h et l’arcade de la restauration dite rapide baptisée le Spoon probablement en hommage aux origines anglaises de Créon. Un peu maigre pour les leveurs de coude ou les adeptes du café matinal même si un repli stratégique reste possible dans ces deux lieux sympas. Le lundi est donc jour de disette ou de pépie obligatoire. 

Le fameux « monday close » n’est imposé que par une tradition liée à l’ouverture du dimanche. Une compensation de repos en quelque sorte.  Dans le passé alors que seuls les « indigènes » occupaient les comptoirs du centre ville et s’habituaient à cette fermeture il y a maintenant des « étrangers » cherchant à positionner leur séant devant un demi ! Leur déception est grande puisque le plaisir d’un ravitaillement en mousse dans un verre adapté ou dans un canette d’aluminium n’a absolument pas la même saveur. La pierre sèche du Parvis de la Mairie est en surchauffe tant que le soleil ne se planque pas derrière les façades. Tout est nu et sans âme. Tout est silencieux et inhabituel.Toute rencontre devient impossible puisque les couverts sonnent creux.

J’ai toujours eu une haine viscérale du lundi. Ce jour-là marquait le retour à l’agitation professionnelle. D’ailleurs ce matin l’engorgement menaçait la rocade bordelaise et les accès à Bordeaux ressemblaient aux artères sclérosées d’un buveur invétéré de « jaune ». Dans les véhicules ce ces englués du trajet domicile-travail les «informateurs » déversent via les radios leurs considérations sur l’avènement de Zemmour… nouveau Saint-Michel pourfendant le dragon de l’immigration. Un sain réconfort. A Créon point de tout ça. Seul le cheminement d’enfants faussement enthousiastes se dirigeant vers les écoles avant 8 h 30 égaye cette immense scène qu’est la Place de la Prévôté et brise la tristesse de cette journée particulière.

Les souvenirs collectifs du week-end n’existent même plus, car depuis quelques mois, les semaines n’ont plus de fins enjouées mais seulement ces débuts dont personne ne rêve vraiment. Entendre, seulement le… mardi matin les habitués de la nouvelle aussi fraîche que le demi qu’ils sirotent depuis une heure, déverser leurs scoops devient insupportable. Il me faudra attendre pour connaître les réactions à la mort de Bébel le pote de Créon Ciné!  La coupure de ce jour sans âme au cœur de la cité où je demeure, change les relations humaines. En fait elle décale les bienfaits du partage social de 24 heures bien longues. Bizarrement il faut être « inactif » pour se rendre compte qu’il n’est vraiment pas « doux de ne rien faire quand rien ne s’agite autour de vous ! »

Je n’ai donc vu âme qui vive de sortie en ce jour dit de rentrée. En fait je ne m’étais jamais aperçu que le temps prenait un rythme différent dès que les autres ne décidaient plus pour vous de son usage. Et ils ont toujours été nombreux à décider pour moi alors que désormais je suis devenu un retraité autogestionnaire de mon quotidien. C’est à la fois réconfortant et angoissant puisque j’ai bien du mal à me déconnecter des autres. Et aujourd’hui alors que l’été s’étire comme pour s’éloigner des journées maussades que lui a imposées un climat en déshérence je m’aperçois qu’ils me manquent. Il me faudra donc faire des provisions de « rencontres » pour pouvoir assumer la solitude du lundi. A moins que j’aille chercher fortune ailleurs pour éviter la semaine où tous les jours finiraient par se ressembler.  

 

Cet article a 13 commentaires

  1. J.J.

    Toujours assoiffé notre chroniqueur quotidien, de liquide comme de « convivialité ».
    Contraste négatif avec ce « marché (qui) rit, bruyant, multicolore » décrit par Albert Samain.

    Chacun a son jour qu’il déteste : « Je hais les dimanches » chantait Juliette Gréco, et Charles Trenet prétendait que :
    « Les enfants s’ennuient le dimanche
    Le dimanche les enfants s’ennuient
    En knickerbockers ou en robes blanches
    Le dimanche les enfants s’ennuient. »

    Pour moi, le jour maudit c’était le mercredi, en attente de souffler le jeudi, trois jours de rang, c’était long, aussi bien comme élève que comme enseignant. Et c’était souvent qu’arrivait ce jour là une « interro » imprévue, une composition, un évènement ou une nouvelle désagréable.
    Et puis le mercredi, c’était le jour, dans notre vie de lycéens, ou le concierge apportait les « billets de colle », et nous nous sentions toujours potentiellement auteur d’un possible méfait qui aurait pu nous priver d’une partie de notre jeudi et nous procurer une belle scène familiale, sous forme d’une « enguelade maison ».
    C’est vrai que les punitions tombaient dru à l’époque, et parfois pour de futiles motifs, qui entraîneraient maintenant une mobilisation indignée des parents d’élèves.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J . J .
      Je constate que nous avons des souvenirs communs…
      Et à cette époque, il n’y avait pas que les punitions qui tombaient dru… « les baffes, les torgnoles, les beignes et les mandales » savaient, elles aussi, tomber dru…

  2. Bruno DE LA ROCQUE

    Ton titre, Jean-Marie, m’a immédiatement mis Pierre Bouteiller et son « jingle » en tête…

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Bruno
      Un revenant sur « Roue Libre » !
      Bienvenu, tu m’a beaucoup manqué…

  3. Laure Garralaga Lataste

    Autrefois, il y a de çà bien des années, les lundis et jeudis étaient sacrés … 
    Les lundis, pour les lavandières, les jeudis pour les enfants.
    Les lundis étaient « jour de lessive ». Les lavandières se donnaient rendez-vous au lavoir du village ou à la rivière. Ces lieux étaient certes voués à la lessive, mais également ceux où se transmettaient les nouvelles, les derniers potins…
    Les jeudis, avant 1972, étaient pour nous, les enfants, ce jour heureux de Liberté puisque… « sans école » !

  4. GRENE CHRISTIAN

    Il n’est qu’à Thèbes qu’on peut déconner à pleins tubes et tituber le lundi. Pas parce que son roi le plus célèbre en fut Créon, mais parce qu’on est là en Béotie et que je suis fier d’être un béotien.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      Je suis allée voir la définition de « béotien »… et constate que la deuxième définition a été négligée…
      La voici : « personnage lourd, peu ouvert aux lettres et aux arts, qui a des goûts grossiers ».
      Cette deuxième définition ne peut convenir aux fidèles de « Roue Libre » qui sont tous et toutes cultivés.es, spirituels.les…………

  5. GRENE CHRISTIAN

    Midi, heure de l’opéra. Anagramme pour Laure: « Miguel de Cervantes Saavedra »

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      Je pensais que Minuit était l’heure du crime et Midi l’heure de l’apéro… !

  6. GRENE CHRISTIAN

    J’ajoute, pour Laure, qu’en me traitant moi-même de béotien je ne parlais que de la seconde solution. Pour être cerné depuis mon enfance par des enseignants, j’ai pu mesurer l’ampleur de ma… çonnerie.
    Réponse à l’anagramme juste avant ma sieste dans l’écurie de Rossinante.
    Hasta luego!

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      Ta sonnerie est moins puissante que ma… çonnerie !

  7. GRENE CHRISTIAN

    J’ai pas de sang espagnol mais j’ai le Sancho. Je lis chez Miguel Cervantes Saavedra, dans Don Quijote, à propos de son compagnon: « Il levait sa gourde avec tant de plaisir que le plus raffiné des gargotiers de Malaga aurait pu l’envier,… Il considérait comme de tout repos d’aller à la recherche des aventures, si dangereuse soient-elles, et… » de cavaler au vent des mirages.
    La réponse était planquée à la fin.
    Salud y fuerza al… Capone!

  8. GRENE CHRISTIAN

    A Laure.
    Du Taillan-Médoc jusqu’à la Mancha mieux vaut s’exprimer en lettres capitales pour expliciter l’anagramme relative au grand MIGUEL CERVANTES SAAVEDRA. Exemple: CREON = CORNE, ou GRENE=GENRE, REGNE, NEGRE, GENER, etc.
    Donc, pour le héros de l’écrivain précité: « … DE CAVALER AU VENT DES MIRAGES ».
    Je m’excuse auprès des lecteurs de Jean-Marie pour avoir trop occupé le terrain.
    Hasta mañana!

Laisser un commentaire