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Le temps passe et les archives démontrent que rien ne change

On prétend que la passion des recherches sur le passé vous conduit souvent à une sorte d’addiction à se mettre hors du temps présent. S’évader en remontant le temps a souvent constitué une envie permanente dont les auteurs de toutes sortes se sont souvent inspirés. Voyager d’un siècle à l’autre nécessite une bonne dose de travail et pas nécessairement pas trop d’imagination. J’adore à cet égard me plonger dans les archives ordinaires des vies. La plus belle et surtout la plus instructive. Des parcelles de l’Histoire que bien des spécialistes s’arrangent pour orienter vers les personnages les plus connus ou reconnus.

Pour une intervention lors du colloque du Comité de Liaison de l’Entre-Deux-Mers (CLEM) je suis retourné dans la partie « non-officielle » des archives de la mairie de Créon. Un lieu désormais aménagé et rangé alors qu’il y a une trentaine d’années lors de mes premières visites il ressemblait davantage au grenier d’un maniaque des vieux papiers. Finie la poussière accumulée par les ans de désintérêt pour ce qui constitue l’histoire locale et les sondages au pif. La plongée dans le temps est beaucoup plus aisée.

Retrouver ces belles écritures d’antan et tous ces actes administratifs ou courriers officiels tracés d’une belle plume participe du retour en arrière. J’appartiens à une génération pouvant apprécier la qualité d’un plein et d’un délié car (le) sergent-major et sa bouteille à encre ont peuplé mes journées d’écolier. Derrière chaque calligraphie se trouve une personne aujourd’hui disparue mais dont on peut rapidement retrouver le caractère. D’ailleurs rien n’est plus révélateur qu’une signature au bas d’un papier jauni par son stockage.

En me penchant sur une volumineux dossier consacré à la construction de la voie ferrée Bordeaux-La Sauve à la fin du XIX° siècle j’ai, encore une fois, été frappé par le fait que le comportement humain n’évolue guère. Les attentes, les espoirs, les oppositions, les manifestations, les résistances se révèlent être exactement les mêmes. Étrange similitude entre les débats actuels sur la construction d’une LGV et celle d’une voie jugée d’intérêt local.

Le milieu économique soutenu par l’État et le Conseil général exige cet aménagement. Les élus locaux se partagent entre les enthousiastes et les prudents voire les récalcitrants. La population quant à elle se morcelle. « Les locomotives en passant au plus près des habitations ou en traversant la forêt risquent de mettre le feu à cause des escarbilles qu’elles laissent échapper. Les fumées sont-elles toxiques ? On détruit des forêts de qualité. » Les enquêtes publiques laissent transparaître une défiance à l’égard du progrès. Les charretiers affichent leur désarroi. Les carriers plaident pour des gares près de leur exploitation. Les expropriés clament à l’injustice quand ils apprennent les sommes allouées pour la saisie de leurs parcelles toutes plus productives les unes que les autres. Le projet est ralenti, paralysé et reporté !

Les députés et sénateurs s’emparent d’un sujet présenté comme exceptionnellement important et dont l’enjeu est capital pour le territoire et même la Nation toute entière. Un comité d’arbitrage nommé par le Préfet se charge d’écouter les protestations, de tenter de résoudre les conflits sur les implantations des stations. Elle ne décide en fait de pas grand chose puisque les avocats se chargent de porter les contestations et les contentieux devant la justice. La commune de Créon tiendra ainsi plus de dix ans jusqu’en conseil d’État pour ne pas payer sa participation de 10 000 francs pour l’aménagement de la voie ferrée que pourtant elle réclame. Elle affirme être pauvre et incapable de trouver une telle somme.

Les appels d’offres pour l’exploitation dénotent une concurrence farouche entre les compagnies sur le marché. Bien entendu toutes ne sauraient financer un tel investissement sans l’aide de l’État. Des prévisions de trafic, des estimations de recettes, des évaluation de pertes abondent dans les rapports de présentation. D’ailleurs très rapidement celle qui se verra attribuer le chantier et donc ensuite la mise en service sera absorbée par une entreprise plus grosse car le montant des dépenses (nombreux ouvrages d’art coûteux après la guerre de 1870).

Le Conseil général finira par reprendre à son compte le programme avant de la concéder à nouveau… avec l’accord de l’État. La voie ferrée sera inaugurée en grande pompe avec flonflons, banquets, présence des autorités et du cardinal qui bénira les gares. Elle sera rentable durant un peu plus d’une décennie pas plus avant de décliner et d’être rendu obsolète par d’autres moyens de déplacement et de transport. Bien entendu toute similitude avec la LGV ne serait que pure coïncidence. Et pourtant les archives sont passionnantes permettant de vérifier qu’en plus d’un siècle pas grand chose n’a changé à grande vitesse sur le fond.

Cet article a 4 commentaires

  1. GRENE CHRISTIAN

    Suivant les conseils de J.J. dans son commentaire d’hier je ne vais pas perdre, ici et à cette heure, l’occasion de me taire.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      2h du mat… et déjà à l »écriture… ! ! ! Tu es  » le forcené de la plume !
       » Si je te comprends bien, tu avais le choix entre : « le silence d’or » et « le silence qui dort » !

  2. Alain. e

    Pour ceux qui s’ intéressent au train et pour une meilleure compréhension de l’ état des lieux aujourd’ hui , une vidéo très pédagogique .
    Pour avoir conduit des trains de l’ engin de manœuvre au tgv , je déplore ce qu’ il a été fait à une si belle entreprise .
    faites vous une opinion , concurrence , ou pas ?
    https://www.youtube.com/watch?v=Jdl2qPu31jE
    Cordialement

    1. J.J.

      Je vais prendre le temps de regarder en entier, j’ai vu un petit bout, c’est long et très intéressant, mais pour ce qui est de conséquences, il y a longtemps que je me suis fait une opinion, la grande Bretagne nous a donné un tellement bel exemple.

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