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Samuel Paty : anniversaire d’un désastre démocratique

Discours hommage sur l’esplanade de Mériadeck que j’ai écrit et prononcé après la mort de Samuel Paty au nom du Conseil départemental. Je n’en changerai pas un mot… et surtout pas celui de laïcité. Ce fut l’un des moments les plus durs de mon engagement dans la vie publique. Je le publie à nouveau en ce jour particulier.

« Jean-Luc Gleyze a souhaité, grâce à votre présence en ce jour d’automne, sous un ciel chargé de tristesse, peuplé des nuages noirs de l’inquiétude, prêt à verser les larmes d’un pays choqué par l’épouvantable assassinat de Samuel Paty,  que le conseil départemental témoigne de son indéfectible attachement aux valeurs fondatrices de notre vivre ensemble et de sa solidarité absolue à l’égard de la grande famille de l’Éducation nationale et de celle de l’un des siens mort pour la France de l’intelligence, du savoir et de la tolérance.

Je tiens, en son nom et au nom de tous mes collègues respectueux des valeurs essentielles de notre démocratie, à vous remercier d’avoir pris quelques minutes pour démontrer que le département, ses élus et ses personnels solidaires, n’accepteront jamais que, sur notre sol, dans notre quotidien, la terreur l’emporte sur les forces de l’esprit.

J’ai donc l’honneur de m’adresser, en son nom, à vous toutes et vous tous, réunis par votre volonté de participer à un moment de partage pour condamner un acte délibéré dicté par la négation de la liberté d’expression, la haine exacerbée, l’intolérance absolue, débouchant, comme toujours, sur une effroyable barbarie.

Je vous convie à construire un moment collectif, simple, précieux car destiné à dénoncer tous les errements meurtriers à l’égard de celles et ceux qui ont la mission, confiée par la Nation, de forger des consciences libres, d’ouvrir les esprits, de former ces citoyennes et ces citoyens fraternels dont nous avons tant besoin.

Après un enchaînement de procédés détestables, un professeur d’Histoire justement chargé de puiser dans le passé des raisons de croire en l’avenir en éclairant les faits du présent, a été décapité comme si le danger se trouvait dans ses pensées, ses idées, ses convictions.

Il n’y a rien de plus cruel au pays des Droits de l’Homme et des citoyennes et citoyens, que de mourir pour avoir respecté sa vocation, ses idées, son engagement au service de la jeunesse.

Il n’y a rien de plus terrible, dans ce monde réputé civilisé, que de mourir pour avoir simplement cru dans la nécessité de rappeler l’indispensable liberté expression expliquée, commentée, comparée.

Il n’y a rien de pire à notre époque que de mourir pour ses idées, ses principes, ses valeurs, pour une volonté louable de préserver notre République, pour essayer de construire un monde meilleur par l’éducation.

Il n’y a rien de plus affolant que de mourir pour avoir expliqué à des jeunes, ce que pensait Martin Luther-King en constatant que « L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité ; seule la lumière le peut. »

Samuel Paty deviendra le symbole de notre incapacité collective à préserver les résistantes et résistants de l’intelligence, les combattantes et combattants du quotidien en faveur de l’intérêt général, les porteuses et porteurs de l’espoir d’un monde meilleur.

Vous appartenez, chacune et chacun d’entre vous, dans votre rôle, dans vos fonctions à ces personnes qui luttent à chaque instant par votre action pour que l’exclusion, la haine, la misère matérielle et culturelle ne constituent pas le terreau où pousse le chiendent des extrémismes irrationnels et mortifères.

J’appartiens à ces Hussards noirs que les écoles normales allaient chercher au mérite dans le peuple pour qu’ils apportent par l’éducation la capacité au plus grand nombre de vivre libres grâce certes au savoir mais aussi à l’éducation leur permettant d’échapper aux dangers des croyances esclavagistes.

Mon cœur saigne. Mon esprit se trouble. De mes souvenirs j’extrais alors ce mot du cours de morale professionnelle dispensé par le directeur le jeudi matin qui revenait sans cesse il y a maintenant plus de cinquante ans : laïcité ! Il ne m’a jamais quitté et il a guidé mes pas et les pas de centaines voire de milliers de Hussards motivés de de la République. C’est le fondement de notre vie commune qu’il ne faut pas affaiblir, dénaturer, abandonner pour le ressortir quand il a été bafoué, blessé, amoindri parfois pour de basses arrière-pensées électoralistes.

La laïcité n’est pas le renoncement face aux agressions religieuses mais doit être toujours respectueuse des croyances individuelles. La laïcité constitue la base fondatrice de la citoyenneté réelle. L’oublier un seul instant c’est ouvrir la porte aux extrémismes, aux communautarismes ou à l’intolérance.

Le département, ses élus, son Président y sont viscéralement attachés, car sans elle, la liberté de penser n’existe pas, l’égalité est illusoire et la fraternité condamnée à mourir de froid.

Samuel Paty appartient désormais au Panthéon mondial virtuel des nombreux martyrs morts pour nos convictions, nos espoirs, nos craintes. Il y reposera aux côtés du chevalier de la Barre, Jean Jaurés, Jean Moulin, Jean Zay, le Mahamat Ghandi, Martin Luther-King, Jan Palach ou Jo Cox, tous victimes de l’obscurantisme et de la violence aveuglée par l’endoctrinement mettant en esclavage la raison.

Mesdames, messieurs, ne faiblissons pas, serrons-les rangs, encourageons-nous, acceptons le combat, soyons fiers, solides, intransigeants pour que la laïcité, bouclier contre tous les extrémismes religieux de tous bords voulant imposer leur loi dans la sphère publique, redevienne partout et tout le temps la référence de notre action collective.

Vous devez voir dans cet événement tragique  l’assassinat d’un honnête homme au sens du siècle des Lumières.

Pour lui ne baissons pas les bras, continuons nos efforts en faveur de la solidarité humaine, de l’éducation populaire, de la culture laïque et constructive : « rallumons, avec Apollinaire, les étoiles de nos vies, retenons le positif et les sourires pour affronter les épreuves parfois douloureuses. » Si nous retrouvons le chemin de l’action nous serons dignes de Samuel Paty.

Le Président, les élus départementaux seront toujours à vos cotés dans votre discret mais efficace combat en faveur de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la laïcité.  

Si vous le voulez bien par un moment de silence respectueux et sincère, manifestons notre solidarité humaine respectueuse tellement précieuse à son égard et à l’égard tous les martyrs de toutes les barbaries obscurantistes et fascisantes. Je vous demanderai ensuite d’applaudir pour montrer notre détermination et notre capacité de résilience après un tel malheur collectif et allumer cette lumière d’optimisme constructif que toutes et tous nous avons en nous. »

Cet article a 7 commentaires

  1. J.J.

    J’ai entendu hier des enfants, écoliers de tous âges, ayant pris conscience de cette notion de Liberté de Pensée, déclarer que l’on doit être libre de choisir une religion, comme si appartenir à une religion était indispensable à l’existence.

    J’ai déploré qu’aucun ne dise que si l’on doit avoir le droit de choisir une religion, on doit aussi avoir le droit de n’en avoir point.

  2. J.J.

     Ce discours de commémoration est aussi un hommage à tous ceux qui nous ont précédé, et ont fait naître et animé en nous l’esprit de Laïcité, par leur exemple ou leur enseignement.

  3. Denise

    Quand tu l’avais prononcé, je n’avais pu retenir les larmes. Magnifique discours.
    Plus que jamais, je me rends compte de l ‘ignorance de nos concitoyens sur le sujet de la laïcité, et particulièrement celle de mes ex-collegues enseignants….. Dramatique, de mon point de vue. Et je reste très en colère contre l’institution Éducation Nationale qui organise cet hommage ( très bien) mais qui est incapable de donner les moyens à ses enseignants de faire vivre cette laïcité..

  4. GRENE+CHRISTIAN

    Avec J.J. J’adhère. Tout est dit. Avec Jean-Marie, j’adhère aussi. Tout est écrit. Bravo les instit’s!

  5. Bernie

    Beau texte. Tout est dit merci jean marie

  6. J.J.

    J’ai retrouvé ce bout de texte extrait de mes « mémoires »…

    …Je passais encore une année dans cet établissement confessionnel, recevais le sacrement de confirmation ; puis l’année scolaire suivante, je fus inscrit au lycée.
    À cette époque, certains lycées comportaient des classes de la 11° (CP), à la terminale.
    Le jour de la rentrée, je reçus ma première leçon de tolérance et de laïcité.
    Notre maître venait de nous distribuer les cahiers, il nous demanda d’écrire notre nom sur la première ligne de la première page.
    Je fis comme il était de coutume dans le précédent établissement, écrire mon nom sur la deuxième ligne et les lettres JMJ sur la première. Le maître, circulant dans la clase en surveillant notre travail me demanda :
    -Pourquoi as-tu écris JMJ, ce ne sont pas tes initiales ?
    Je lui expliquais (à ce grand ignorant !) que ça signifiait : Jésus Marie Joseph.
    Il m’expliqua alors très gentiment que dans cette école, tout le monde n’était pas forcément catholique et qu’il pourrait y avoir des élèves ayant une autre religion, ou pas de religion du tout ; je pourrais être choqué moi-même que quelqu’un affichât des signes d’une religion ou d’une croyance qui n’était pas la mienne.
    Je pris en même temps conscience que si des païens se trouvaient éventuellement parmi nous, ils ne m’avaient pas encore sauvagement agressé, le couteau entre les dents …

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