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Sur la piste où pointe la richesse de l’automne

La véritable spécificité de la « voie des 2 mers » plus connue sur son tronçon entre Bordeaux et Sauveterre sous le nom de Roger Lapébie, c’est qu’elle change totalement de décor au fil des mois. Les quatre saisons lui donnent des « costumes » aux couleurs naturelles très différentes. Le promeneur matinal et solitaire en retrouve jamais la même apparence. Pour quelques semaines elle se couvre de la tenue de gala automnale. La transformation s’opère inexorablement dans un silence de mort de toutes les plantes ou arbres prenant leur plus resplendissant costume.

Le ruban noir s’étire toujours aussi paresseusement au moment où l’aube découvre ses premières pâleurs provoquées par un refroidissement toujours surprenant. Ce « lézard » de bitume encore blotti sous les feuilles mortes qui ne se ramassent pas encore à la pelle, attend le bénéfice d’un été réputé indien pour se réchauffer. L’ambiance cassée par les croassements lugubres de quelques corvidés anonymes ne dégage pas un brin d’optimisme. Le vol noir des corbeaux sur la piste reste justement caché comme ces menaces que recèlent dans les contes pour enfants pas sages, les forêts obscures.

D’autant que dans le lointain ou parfois au plus près, les déflagrations se multiplient. Les chasseurs tirent sur tout ce qui passe à tire d’aile vers des contrées de moins en moins lointaines puisque le réchauffement climatique leur permet de trouver des refuges chaleureux plus proches. L’acharné double ou triple son tir et prend le dessus sur celui qui ne résonne qu’ à une seule reprise. Heureusement que les nemrods repartis sur les mornes plaines en train de s’ébrouer pour se débarrasser de la rosée fraîche de la nuit grillent leurs cartouches avec un résultat moindre au nombre de tirs. N’empêche que les chants de tous les oiseaux venus en villégiature dans la vallée de la Pimpine ont disparu et que dès qu’une trêve imprévisible intervient, le silence s’installe.

La piste réputée seulement cyclable alors qu’elle est ouverte à tous les déplacements non motorisés se referme comme pour se protéger des aléas du froid qui approchent. Elle forme entre Créon et Sadirac un tunnel permanent à la voûte naturelle offrant toujours dans le lointain une ouverture sur la hardiesse du soleil qui finit pas se montrer. Il y a quelque chose de surnaturel dans cette vision d’un halo à la lumière diffuse dont on approche pas à pas. Les cyclistes pressés sont d’ailleurs avalés en une fraction de seconde ou « recrachés » par cette « bouche » attirante.

L’automne a toujours été la saison des riches puisqu’elle transforme en feuilles d’or, en cascades de rubis, en plateaux d’émeraudes plus ou moins profondes tout ce qu’elle touche. La voie Lapébie en profite. Les parois du « tunnel » se pare peu à peu de ces cadeaux que les vents mauvais qui viennent d’à travers la campagne leur voleront au fil des prochaines semaines. En attendant, celles et ceux qui en prennent le temps assistent à un défilé automne-hiver sans cesse renouvelé au fil du parcours. Le clou de cette revue colorée est à venir puisque les meilleurs modèles tardent à se montrer. Aucun d’entre eux imagine qu’il finira dénudé et figé dans la misère avant de peut-être revenir habillé à neuf.

Le soleil doré joue dans les sous-bois ou inonde les vignes victimes d’un pillage mécanisé les ayant abandonnées, dépouillées et squelettiques. Il fait connaître ses rayons en leur offrant la possibilité d’entrer dans le tunnel encore très étanche de la piste. Le jeu de l’ombre et de la lumière s’étale sur le sol comme une œuvre d’art vivante aux formes changeantes. Les visiteurs la traversent sans sans rendre compte tellement ils semblent préoccupés par leur performance n’ayant rien d’artistique.

Impossible de nier mon plaisir à parcourir régulièrement le même tronçon pour en suivre sa mue saisonnière, pour me plonger dans ces lieux que j’ai maintes fois parcourus puisqu’ils appartiennent à toute ma vie, la vraie, celle de la proximité. Inutile de voyager très loin pour se baigner dans cet automne aux mille visages. Je n’ai cure des sanglots longs des violons de circonstance. Un tour de piste vous en convaincra.

 

Cet article a 3 commentaires

  1. François

    Bonjour J-M !
     » La Lapébie » ! Merveileuse voie sans particule pétrolière … enfin presque ! Elle traverse aussi mon village comme le tchou-tchou d’origine. En cette saison, elle se couvre de pièces d’or qui combleraient le « quoi qu’il en coùte » ainsi que le déficit national en surprenant tous nos grands énarques !
    Mais cessons de rêver: ce ne sont que des feuilles d’automne que le vent d’hiver balaiera pour préparer le printemps …électoral ! !
    Amicalement.

  2. J.J.

    À part les fausses notes criardes et non moins expressives des corbeaux sur la plaine, oiseaux honnis par les uns et honorés par les autres, et les pétarades intempestives des nemrod au petit pied,
    …Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

  3. christian grené

    Désolé M’sieur! Mais, moi, j’emprunte le chemin des écoliers. Et pour vous prouver que je ne m’en écarte jamais, je vais poursuivre mon chemin en récitant par coeur la suite du refrain entonné par J.J. qui ressemble à votre texte.
    « Les soleils couchants/Revêtent les champs/Les canaux, la ville entière/D’hyacinthe et d’or, Le monde s’endort, Dans une chaude lumière ».
    Charles Baudelaire et Jean-Marie Darmian, voilà un beau duo. Mais il y a Léo aussi – j’ai pas dit Messi – celui que j’appelle le grand Ferré. C’est lui qui m’aide à apprendre toutes mes leçons de poésie.

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