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La cabane du partage patient dans les arbres

« Frère d’armes, frère d’armes, ne vois-tu rien venir ? ». Perchés à plus de vingt mètres du sol sur une plate-forme aménagée en réduits destinés à abriter les tireurs, les compagnons de la palombière, attendent avec impatience l’arrivée d’un vol. Ils savent que l’horizon, loin d’être bleu espérance, laisse accroire que la matinée ne prédispose pas aux migrations. Penché sur son Iphone l’un d’entre eux confirme que l’attente sera inutile. Le radar météo annonce une traînée de mauvaise augure arrivant de l’ouest ! Le verdict tombe : « je crois que c’est foutu pour aujourd’hui ! » 

Avant que le moindre rai de lumière pénètre dans le sous-bois environnant les premiers arrivants avaient sorti de leur lit-cage les appeaux pour les hisser à la cime des arbres environnants. « Nous n’en avons qu’un peu plus d’une trentaine alors que certaines palombières en posent parfois quatre-vingt ». Les emplacements choisis dénotent la qualité du stratège ayant plusieurs ficelles dans son sac. Les pigeons se préparent à une journée de travail pour du leurre, attachés sur des « raquettes » ou ayant une mobilité réduite le long d’un fil dans l’air frais d’une automne grisonnante.

Au quatrième étage dans une cellule de crise, le chef de poste pilote à distance tous ces faux-frères qui « clument » sur leurs perchoirs. Il se prépare à jouer de son instrument à cordes. Il a devant lui un jeu de ficelles verticales lui permettant de déséquilibrer les appeaux et de les contraindre à battre des ailes. D’ailleurs de temps à autre, pour éviter qu’ils se croient rentiers occupant une position sociale élevé le joueur d’orgue de la palombière les réveille en sursaut. Dans le contexte d’une journée dans la ouate d’une dépression qui s’annonce, l’endormissement les guette.

Rien. Toujours rien. Le temps s’étire humidement. Heureusement que l’on peut effectuer une pause « syndicale » à la cafétéria du premier étage. Ventre affamé n’ayant pas de vue perçante, l’invitation à aller casser une petite croûte de pain frais s’avère bienvenue. D’autant que les odeurs de la cuisine a une fâcheuse tendance à remonter vers les guetteurs à l’horizon presque vide. Chaque attablé passe tour à tour se « mettre à poêle » pour casser un œuf sur une tranche de jambon agrémentée de piperade. Simple. Précieux. Goûteux. C’est tellement agréable de partager là-haut, perché dans les branches augustes d’un chêne druidesque, ces moments où l’on se prend pour un Robinson Crusoé de la forêt. Le petit-déjeuner a une saveur particulière.

Il y a en effet une varie sensation de retour en enfance. Les cabanes dans les arbres figurent au panthéon des rêves que les jeunes de ma génération ont entretenu. La « guerre des boutons » hante les esprits de bien de ces paloumayres fiers de leur œuvre qu’ils protègent à tout prix de la « concurrence » (pour le mieux) ou des « ennemis » héréditaires (pour le pire) occupant des positions clés dans d’autres communes voisines. Le trésor est ici théorique puisqu’il est constitué par un nombre, tenu aussi secret que possible, du nombre de « victimes » cumulées.

En fin de saison la comparaison permettra de fanfaronner ou de rechercher les causes d’un déshonneur à partager par une équipe désabusée. La météo bien évidemment, les implantations de pylônes de téléphonie, le réchauffement climatique, les changements de couloirs de passage : les raisons ne manquent pas et alimentent le débat. Pour rassurer celles et ceux qui crient au massacre le prélèvement n’est que de quelques dizaines d’oiseaux.

Ce matin il faudra pourtant se contenter de quelques grives affairées qui traversent la grisaille à tire d’aile mais que par principe, on ne tire pas. L’arrivée d’une caille en migration va alimenter les conversations puisque personne n’en avait vu partir vers le sud. Cette direction qui tentent toutes les espèces. Fuir vers le soleil reste un choix dangereux. Chaque année qui passe il s’estompe cependant car la tradition se perd. Entretenir, perfectionner, animer une palombière nécessitent une motivation particulière que les jeunes générations n’ont plus. Les obligations professionnelles, les aléas familiaux, les exigences d’un présence constante durant un mois, découragent les vocations de vigies des petits matins frais et embrumés.

Pas un seul vol se pointera à l’horizon. La référence au film Fort Saganne s’impose. Le désert du ciel où se perdent les regards de ces passionnés de l’attente continuelle est infini. « C’est fini pour aujourd’hui mais hier ce fut une bonne journée. Demain c’est certain ça passera. Il faut savoir être patient. » avoue l’un d’eux qui ne peut pourtant pas se résoudre à l’abandon de poste. Il plane toujours dans les étages le doux parfum des œufs au jambon et à la piperade. Dans le fond je me demande si ce n’est ps là l’essentiel !

Cet article a 3 commentaires

  1. François

    Bonjour !
    «Dans le fond je me demande si ce n’est pas là l’essentiel ! »
    Et oui, J-M ! N’en déplaise à tous les écolos-bobos et autres adeptes soit-disant protecteurs de la Nature, la vraie raison de ces réunions dans ces cocons sylvestres se trouve dans ta conclusion.
    Je vous invite tous à cliquer sur ce lien qui, après ce feuillet de louanges de notre écrivain, finira, je l’espère , de vous convaincre :

    https://youtu.be/LEv6utDS59M

    Oui ! Ne touchez pas nos traditions !
    Amicalement.

    1. Bernie

      La chasse, c’est ancestral. Le chasseur est un écologiste par nature. Je refuse que la chasse soit aussi politisée. La chasse c’est bien autre chose. C’est le partage avant tout.
      Le passé-le présent-le futur : 3 conditions essentielles pour vivre ensemble

  2. J.J.

    « l’air frais d’une autonome grisonnante »

    C’est fait exprès ou c’est un « acte manqué « ?

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