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Le coût de la baguette n’a rien de magique

La caricature de la France se résume parfois à un triptyque que les dessinateurs humoristiques croquent avec délectation. Elle repose sur la présence sous les bras du porteur d’un béret d’une ou plusieurs baguettes de pain avec dans l’autre main une bouteille supposée contenir du vin. Le passage chez le boulanger constitue en effet une spécialité hexagonale que parfois le reste du monde nous envie. Cette production artisanale récente symbolise un savoir-faire particulier donnant un goût particulier aux bons moments de la vie et notamment au petit-déjeuner. Nous consommons  environ 30 millions de baguettes par jour

Pesant aux alentours de 250 grammes elle a une forme allongée caractéristique mais surtout elle possède des atouts gustatifs nécessitant un soin particulier dans sa fabrication. Ainsi la mie devra toujours être moelleuse, non croustillante sous une croûte cuite à point c’est à dire sans excès de température. L’un des secrets de confection réside justement dans le réglage du four. L’extérieur doit être foncé, doré et rester croustillant sans être dur. Vous repérerez une authentique baguette assez aisément. Il vous suffit de pincer la mie entre deux doigts. Si elle reprend sa forme initiale c’est qu’elle a été confectionnée avec une farine possédant une taux élevé de protéines (13 g environ pour 100g). La baguette bien cuite croustille sous la dent mais ne blesse pas les gencives. Elle n’agresse pas mais résiste.

Les qualités gustatives ne constituent pas un signe d’authenticité puisque dans bien des boulangeries industrielles ou semi-industrielles des additifs sont incorporés pour améliorer une matière première de mauvaise qualité (8 g de protéines). Les pâtes congelées sont donc « assaisonnées » pour créer une accoutumance particulière qui va conquérir le consommateur. Trois adjuvants sont en effet autorisés : 2 % de farine de fèves, 0,5 % de farine de soja, 0,3 % de farine de malt de blé (ces pourcentages représentent les proportions maximales autorisées) ainsi que l’utilisation de gluten et d’amylases fongiques

. La différence entre l’artisanal quotidien et le « tout prêt à cuire » ne repose pourtant pas exclusivement sur les ingrédients de base. L’odeur constitue par exemple un atout considérable pour les accros de ce type de pain. C’est souvent un vrai critère lorsque l’on entre dans une boulangerie. L’odorat permet d’apprécier la fraîcheur de la cuisson et surtout de déguster le pain avant même de le trancher. respirez le pain… et vous verrez c’est la clé de la qualité. 

Pour ma part je n’ai jamais connu dans mon enfance ces baguettes tant distribuées actuellement. La voiture du boulanger qui s’arrêtait au cours de la tournée quotidienne, nous délivrait des « sept cents » ou des « miches de quatre » mais nous ignorions tout de ce qui était considéré comme un produit de la ville et de luxe. Les quantités primaient sur la qualité bien que cette dernière appartienne au travail du boulanger. Durant les deux première décennies de mon existence  des injonctions revenaient sans cesse autour de la table : « mange ton pain ! » ou «  finis d’abord ton pain tu te resserviras après ». Une baguette n’aurait parfois pas suffi pour le « quatre heures ».

De larges et épaisses tartines couvertes de beure ou de crème de lait et saupoudrées de chocolat en poudre comblaient la dépense d’énergie de la journée. Une frottée à l’ail avec un soupçon d’huile agrémentait aussi des tranches de plus petite taille. Le pain appartenait au quotidien. Il était indispensable. Un jour sans pain était un jour triste. « Trempé » dans la soupe pour constituer un dîner; prétendu « perdu » (mais pas pour les gourmands) après être passé dans une poêle ; en « mouillettes » beurrées dans un œuf venu tout droit du poulailler ; bardé d’une belle épaisseur de rillettes ou de pâté maison : que du plaisir et de l’envie. Il ne serait venu à l’idée de personne de se restreindre.

J’ai toujours conservé en mémoire ce conseil que nous avait donné le directeur de l’école normale en cours de morale professionnelle. « Vous rencontrerez des enfants qui ne mangent pas à leur faim (c’était il y a 56 ans et tout le monde sait ce qu’il en est actuellement…) vous pouvez le savoir facilement. En surveillant la cantine (et oui ça a existé!) vous observerez les quantités de tartines stockées… C’est instinctif : ils compensent leur faim par des provisions de ce pain qu’il n’ont pas ! » J’ai souvent pensé à cette approche qui reste toujours valable dans le self-service des restaurants scolaires.

La tempête déclenchée par la volonté du « maréchal » des grandes surfaces de vente en pleine période de négociation avec les producteurs relève donc de la provocation. En abaissant le prix de la baguette et en le déconnectant des modalités de fabrication il a mis à mal une filière qualitative ne reposant que sur une culture gustative en perdition. En plus comme chaque Français ne consomme plus que 120 g de pain par jour, soit trois fois moins que en 1950, l’attaque est hautement symbolique. A chacun son gagne pain.

Cet article a 21 commentaires

  1. Gilles Jeanneau

    Merci Jean-Marie de m’avoir rappelé ces souvenirs d’enfance…
    Moi aussi, je n’ai découvert la baguette qu’après mes débuts professionnels à Bordeaux.
    Au lycée de Libourne, nous n’avions que des tranches de 700 … même au goûter avec une bille de chocolat pour les internes que nous étions. Certains amenaient des boîtes de pâté qui amélioraient et allongeaient surtout l’ordinaire.
    C’était le bon temps…
    Aujourd’hui, je peste quelquefois contre les boulangers qui vendent des baguettes qui n’en sont plus. Au lieu d’augmenter le prix, on diminue la quantité c’est pénible. Idem pour le café, ça fait beaucoup!
    Bonne journée à tous

  2. Bruno Fourny

    il est bien malheureux que tout ce qui fait société partager le pain et le vin soit annihilé par une recherche du profit à travers l’image autoforgée de défenseur des consommateurs dont essaie de se parer le maréchal.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Bruno
      Pour éclairer cette lanterne, … n’oublions pas que le pain et le vin furent « récupérés » par une religion dans la bible !

  3. christian grené

    Rassure-toi mon Gilou. Avec Pen et Zem, nul doute qu’on va marcher à la baguette. J’en demande pardon à Benzi.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Christian message personnel « les amis parlent aux amis »…
      Quand tu auras lu mon « grain de sel »… Si tu viens acheter une part de cette miche — ce boulanger la détaille, mais si tu l’achètes entière, tu peux la congeler par morceaux — n’oublie pas de monter la côte pour venir chez moi… L’apéro t’y attend et il n’est pas le seul !

  4. J.J.

    Mangeur, dévoreur incorrigible de pain, je suis resté fidèle au gros pain …quand j’en trouve, mais de toute façon les boulangers ne savent et surtout ne peuvent pratiquement plus faire, faute de matière première de qualité, de ces « mate faim » de notre enfance.
    J’ai aussi conservé cette notion de sacré que représente le pain : ça fait un peu Harpagon, mais jamais un morceau de pain n’est jeté, pas de déchets, tout est réemployé, même les miettes.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
      Bien sûr que tu en trouveras à Lormont… dans le bas de la rue du général de Gaule près de la place Aristide Briand.

      1. J.J.

        Merci du renseignement, mais ça me fait quand même 110 km(plus d’une heure de route en roulant vite !), ça fait un peu loin.

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami J.J.

          OUPS ! ! ! Désolée. Comment pouvais-je savoir… Mais si tu habites en Gironde, nous pourrions organiser « une chaîne de solidarité » !

    2. Laure Garralaga Lataste

      Et pour le respect dû au pain, je ne vois qu’une explication… nous sommes les enfants de la guerre !

      1. J.J.

        Le respect sacro saint du pain, était aussi inculqué dès l’école primaire , on trouve cet enseignement dans des vieux bouquins d’histoires morales d’avant guerre.

        Extrait de mes « Mémoires de Guerre »
        ….Le meilleur pain était pour le moins noir, fabriqué avec une farine de blé blutée avec un fort pourcentage de son, mais il pouvait également avoir été pétri avec de la farine de seigle, d’avoine, de fève, que sais-je. Il se présentait alors sous la forme d’une boule noirâtre et dont l’intérieur (on ne peut pas parler de mie) consistait en une pâte noire et compacte ressemblant à de la boue.
        Quelques jours avant la libération, la nouvelle (vraie ! ) courut que l’on pouvait se procurer du pain blanc à la boulangerie de la Bussatte : des cheminots avaient détourné un train de farine blanche destiné à d’autres convives ! Quel bonheur, c’était meilleur que du gâteau, mais quelle queue devant le magasin ! Et de surcroît il fallait passer devant les patrouilles des fameux « hindous  » qui croisaient dans le pré de la Gâtine !
        Après la libération le pain fabriqué avec du maïs concassé provenant des Etats Unis (Plan Marshall) fut une rude épreuve pour les mâchoires et les estomacs…

  5. facon jf

    bonjour,
    excusez-moi , un communiqué important de la chaîne télé BFM WC vient de tomber à l’instant je vous le livre tout chaud sortant du four.
    breaking news de notre envoyé spécial à Bercy:
    Oui une déclaration du Sinistre Monseigneur Bruno le maire du Palais en voici le contenu :

    « Pour endiguer la hausse des produits alimentaires qui frappe durement les foyers Français, à une échéance si proche du renouvellement de mandat du Président -Danube de la pensée aussi géniale que complexe et prolifique- , il est indispensable de trouver une solution d’urgence. En l’occurrence, j’ai décidé que la baguette serait vendue partout en France à 0.29 €. La production sera assurée par les grandes surfaces de l’enseigne Michel Edouard Lépissier qui livrera TOUS les points de vente de pain qui ne disposent pas du matériel de fabrication ( fournil, pétrin et four) au prix de 0.20 €. Dans un souci d’équité et de justice les points de vente disposant du matériel de confection du pain seront aussi alimentés par le même moyen. Le personnel employé par ces points de vente sera indemnisé par les dispositifs de chômage technique. Les grandes surfaces de l’enseigne Michel Edouard Lépissier qui ne pourraient pas assurer la production devront acheter les baguettes auprès de la concurrence nationale et internationale à un prix qui ne devrait pas dépasser 0.89€.
    Cette mesure est transitoire et prendra fin au 31/12/2022, J’ai bien conscience de l’effort demandé – l’action Michel Edouard Lépissier à déjà chuté de 30%- l’état Français prendra à sa charge les pertes dues à cette disposition.
    J’ai pris personnellement contact avec Margrethe Vestager Hansen commissaire Européenne à la concurrence pour que cette dernière ferme pudiquement les yeux. »
    fin du communiqué.

    Notre exxxxxxxpert économique Dominique TSSSSSSeu nous éclaire maintenant sur cette exxxcellente mesure  » Oui cette intervention pour sauver le pouvoir d’achat des Français est absolument géniallllllllissimeeee! ainsi l’argent non dépensé au comptoir du boulanger pourra être consacré à payer les impôts que cette mesure a générés »

    Ceci est évidemment une parodie qui n’a absolument RIEN A VOIR avec EDF ( Entreprise Destinée à la Faillite) .

    Bonne journée

  6. Laure Garralaga Lataste

    Je connais un boulanger qui ne fait que des « miches de 4 » avec une pâte aérée et bien levée, et une croûte bien dorée, car dans le bon pain, tout doit être bien… ! Et comme je suis « partageuse », voici l’adresse de cette boulangerie… Elle se trouve dans le bas de la rue du général de Gaule près de la place Aristide Briand. Et par le passé, quand Ducos, en face, y mijotait son « fameux gratton », tous deux s’harmonisaient merveilleusement !
    Je note que la répétition du mot « et » accentue ma nostalgie de ce passé…

    1. Laure Garralaga Lataste

      J’ai oublié un sacré détail… Ce pain a oublié d’être stupide !…
      Il ne coûte pas 0,29 €.

      1. Laure Garralaga Lataste

        Autre détail oublié… le nom de cette ville salvatrice de nos papilles, mais comme je parle de « gratton » vous aviez deviné qu »il s’agit de… LORMONT !

        1. Bernie

          Bonsoir Laure,
          Je connais le gratton de Lormont. Paysanne girondine je connais le grillon.
          Belle soirée et très bon appétit

          1. Laure Garralaga Lataste

            @ à Bernie
            Bienvenue au club des gastronomes du « Gratton » !

  7. facon jf

    Un peu de sérieux avec cette vidéo qui nous annonce un sévère tour de vis après les élections.  » Le Maire excelle en expertise de Proust, mais ce n’est pas un économiste affirmé. Il est dans ce rêve français que l’État par sa dette peut créer de la richesse. Celle-ci est créée par les entreprises privées. »
    Quand un professeur d’économie allemand évalue l’étudiant Bruno…
    Et voila la madeleine de Proust qui fait le lien entre le boulanger et le sinistre Bruno…
    https://twitter.com/i/status/1483163950556626944

  8. Laure Garralaga Lataste

    Autre souvenir de cette « quatr’ miche »… Pendant la guerre, lorsque ma mère entrait dans la boulangerie où elle avait l’habitude d’acheter son pain, lorsqu’un ou une inconnu/e s’y trouvait déjà, la boulangère formulait ce message codé à ma mère : « votre mari est déjà passé… » ! Ce qui voulait dire… « Repassez plus tard car il y a ici une personne étrangère, et je ne pourrai accepter  » les faux tickets » !

    1. Laure Garralaga Lataste

      Ce qui me rappelle…un autre message codé : « un ami viendra vous voir ce soir ! « 

  9. Laure Garralaga Lataste

    Et ce respect du pain m’a été confirmé en Espagne où je passais mes vacances dans la famille et où je me suis régalée avec …las migas !
    Les migas sont une spécialité culinaire de la péninsule Ibérique principalement au nord, en Aragon, au centre et au sud. C’était à l’origine, un plat ancien destiné aux travailleurs des champs et une façon de profiter des restes de pain.

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