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Est-ce tellement changé depuis huit ans ?

La soirée avance. Il y a 8 ans je tente d’écrire une chronique comme le veut une obligation morale née en 2005. Le temps coule paisiblement. Ayant annoncé le 9 mars lors de l’une des rencontres citoyennes de l’année précédente soit 12 mois avant la date du terme du mandat municipal, mon intention de ne pas revendiquer un sixième bail d’élu municipal je suis particulièrement soulagé. Une seule liste est en lice à Créon et le climat détendu me convient parfaitement. La poursuite d’un mode de gestion élaboré au fil des équipes ayant en charge la gestion locale me rassure. J’ai l’esprit en paix ou presque pour la simple raison que j’ai tenu parole sans aucun regret ni aucune nostalgie. La ville bastide est silencieuse.

Des cris ou même des hurlements viennent brutalement percer le silence. Inévitablement ces signes d’une agitation inhabituelle m’intriguent. Je vais sur le pas de mon domicile en plein centre pour découvrir qu’au bout de la rue Baspeyras trois silhouettes s’acharnent sur une sculpture en buis d’un vélo. Cette décoration du giratoire précédant le point relais vélo constitue le symbole de la politique en faveur des pratiques de la bicyclette. Elle a été soigneusement entretenue par les employés et a demandé bien des efforts créatifs de la part du pépiniériste qui avait accepté le challenge. Impossible de laisser passer une telle attitude.

Deux habitantes ayant tenté de raisonner le trio destructeur a reçu en simple réponse une bordée d’injures. Elles remontent la rue Baspeyras pour m’informer de cette situation. Vitre baissée elles s’arment sur les dégâts en cours. En passant le giratoire elle sont copieusement insultées. Le carnage se poursuit. L’appel au centre opérationnel de la gendarmerie m’indique que la patrouille de la brigade de Créon située à quelques centaines de mètres, est en renfort sur Latresne pour rechercher une collégienne en fugue : pas d’intervention possible ! Situation habituelle dans les communes comme Créon sans police municipale depuis quelques temps.

Plus je m’approche et plus je constate une excitation proche de la folie furieuse des trois personnes sur le giratoire. Lorsque je les interpelle elles se tournent. Un « dialogue » de quelques secondes s’installe compte-tenu de leur état d’ébriété. Les menaces pleuvent. Je sors mon téléphone portable et à distance je tente de fixer leurs actes. Cette apparition du mobile déchaîne leurs cris, leurs injures et leur fureur. Un repli s’impose d’autant qu’à cette heure les passants et les automobilistes sont rares. Je rentre aussi tranquillement que possible pour démontrer ma volonté de ne pas aggraver un conflit très virulent.

Le trio hurle qu’il veut mon téléphone car il pense que j’ai pris des photos. Il vitupère et finit par se lancer à ma poursuite. Me connaissant parfaitement il a vite comme objectif de me couper la route vers chez moi. Ils y parviennent. Ils utilisent tous les moyens pour me barrer la route. L’un d’entre eux se saitit d’une barrière pour me frapper et l’autre tente de fermer les volets de la porte d’entrée. Un autre me frappe violemment au visage par derrière. Je tombe et casse mes lunettes. Je n’y vois plus. Ils continuent à frapper, ivres de tout !

Mon épouse affolée par les cris vient ouvrir la porte d’entrée. Je rampe et me réfugie dans le couloir d’entrée de mon domicile. Je suis sonné et surtout choqué. J’ai le sentiment d’avoir échappé au pire. Je rappelle le centre d’appel de la gendarmerie qui me dit de ne pas bouger et surtout de ne pas sortir. Les forces de l’ordre arriveront vers une heure du matin pour m’apprendre que la jeune fille qu’il recherchait était chez son copain ! Il me questionnent, prennent des photos de mon visage tuméfié et me donnent rendez-vous pour une plainte le lendemain matin. Lentement je retrouve mes esprits…

Le lendemain sera pénible. Déposition puis rendez vous à l’institut de médecine légale pour une examen détaillé de mon état de santé. Drôle d’impression que celle de ne pas totalement comprendre ce qu’il m’était arrivé. Suis-je victime ou coupable ?  Mes convictions en ont aussi pris un sacré coup. Je connais deux des agresseurs et en quelques heures les gendarmes vont les interpeller sans trop de problèmes. Aucun test de drogue ou d’alcool possible. Ils avouent néanmoins avoir trop bu et trop fumé. Ils étaient en colère car ils étaient tombés en panne de voiture entre Libourne et Créon et avaient été pris en stop par un… Créonnais bienveillant. J’ai payé (et le vélo aussi) pour un fait ordinaire. 

Le troisième très connu depuis son jeune âge pour de multiples actes violents s’est enfui vers l’Espagne car il est sous le coup d’une condamnation avec sursis. Il sera arrêté 24 heures plus tard en Ariège juste avant la frontière. Il est ramené directement en prison sans passer par la gendarmerie de Créon. Le duo sera jugé en comparution immédiate. La séance au tribunal correctionnel fut plus dure à supporter que les coups reçus. Huit ans plus tard j’en conserve des paroles et des attitudes qui me choquent profondément. D’ailleurs en cours d’audience je quitte la salle tellement c’est insupportable.

Peu importe le verdict (je ne l’ai pas attendu) en pareilles circonstances surtout après avoir entendu un « Monsieur à votre âge on reste chez soi et on ne provoque pas les jeunes ! » Un fan club attendait les prévenus dans le hall et j’ai eu droit lors de ma sortie à quelques quoilibets. Peu importe : je ne croyais plus dans cette fonction que j’ai abandonné la semaine suivante mais que j’ai aimé. Encore une blessure.

La condamnation des deux qui ne m’avaient pas le plus frappé comprenait des dommages intérêts en plus de 120 heures de travail d’intérêt général. Huit ans après et après avoir financé un huissier car je voulais affirmer que le jugement serait exécuté, rien n’est réglé… Le troisième qui avait été le plus violent n’a jamais été interrogé et jugé. Une lettre au procureur m’a permis il y a quatre ans, d’apprendre par une lettre circulaire avec la case « enquête en cour » cochée que le dossier n’avait jamais été bouclé.

Huit ans après les déclarations de soutien aux élus ont été nombreuses… Les lois ont changé… Les agressions se sont multipliées… La situation a empiré… Parfois il faut être convaincu pour défendre ce en quoi l’on croit et que l’on défend ! Cherchez bien l’impact de ces situations sur le vote.  Parfois je les comprends.

Cet article a 6 commentaires

  1. facon jf

    Bonjour,
    quoique l’on fasse l’agression est toujours subie comme un traumatisme profond avec des séquelles sur le long terme. Où en sommes nous aujourd’hui des agressions d’élus ? Sur les 1 186 élus touchés par une agression durant les onze premiers mois de 2021, 605 étaient des maires ou leurs adjoints selon le ministère de l’intérieur. Par ailleurs, 419 d’entre eux ont été la cible d’outrages. Voila pour le constat factuel, alors quelle solution mise en place ? Face aux risques d’agressions, des élus locaux formés à désamorcer les conflits « Le but est de désamorcer les conflits pour qu’une agression verbale ne dérape pas vers une agression physique ».
    Donc on cherche à traiter le symptôme sans traiter la maladie.
    Cette solution qui consiste à ne pas se mettre inutilement en danger est certes mieux que rien, mais elle ne résout pas la question de la violence pour régler un conflit.
    La violence envahit notre quotidien sous des formes parfois évidentes et parfois subtiles. En fait, les discussions les plus anodines ont très vite fait de tourner vinaigre et des rancunes accumulées vont exploser sous l’effet du mot de trop.
    Les incivilités sont de plus en plus fréquentes et vu leur nombre pratiquement jamais sanctionnées. La soupape de la colère fuse à la première occasion, chaque citoyen étant soumis à la pression d’une société de plus en plus individualiste. L’intérêt individuel est porté aux nues par une société de consommation qui se moque de l’intérêt collectif, quand elle ne détourne pas à son profit les biens collectifs.
    Nous sommes bien en présence d’un fait de société que rien ne peut endiguer, seule une prise de conscience collective peut en venir à bout.
    Bonne journée
    https://www.la-croix.com/France/Face-risques-dagressions-elus-locaux-formes-desamorcer-conflits-2022-03-08-1201203821

    1. Bernie

      Une prise de conscience dites vous, une prise de conscience collective pourquoi. La commune est une entité qui doit faire face à un ensemble d’habitants ou d’individus différents.
      Pour moi la haine de l’autre est l’expression qui se réfère le mieux à la situation.

      1. facon jf

        sur les 1 186 élus touchés par une agression durant les onze premiers mois de 2021, 605 étaient des maires ou leurs adjoints selon le ministère de l’intérieur. Donc le phénomène ne concerne pas que les élus de terrain communal mais bien l’ensemble de la classe politique. La réponse ne peut donc pas se limiter aux communes. La prise de conscience collective consiste à reconnaître que les élus dans leur très grande majorité sont des représentants intègres (bénévoles ou non) des électeurs qui agissent pour la collectivité. A ce titre il méritent un minimum de respect, même si nous ne sommes pas d’accord avec leurs décisions.

  2. christian grené

    Vu comment l’élu s’habille le jour des cérémonies, comment peut-il ne se faire écharper?

  3. Bernie

    @jf, la commune est la territorialité la plus proche des habitants. C’est donc à cette territorialité de faire une analyse sur la question de démocratie

  4. Bernie

    Samedi c’est l’ouverture de la pêche à la truite. Agréable de pêcher et de manger du poisson de rivière.
    Aller bonne nuit

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