Nous sommes toutes et tous des immigrés

Je suis durant ce wek-end à la rncontre des enfants des émigrés italiens dans la village gardois de Saint Geniès Malgoirés. Voici un texte écrit il y a trois ans lorsque mon fils est devenu franco-canadien et mon petit-fils sera canadien-français…  

 

Il y a maintenant un peu plus de 95 ans, Silvio Darmian et Pasqua Scarcetto, mariés depuis le 19 janvier 1922, après un long et périlleux voyage, s’installaient dans le quartier italien de Talange au cœur du bassin minier lorrain. Ils arrivent tous deux de San Stefano de Zimella (1) village très rural de la plaine de Vérone. Enfants de familles nombreuses ils n’ont aucun avenir sur les maigres propriétés familiales et donc, poussés par le seul souci de trouver un travail pour nourrir leur avenir commun, ils quittent leur terre natale pour rejoindre les hauts-fourneaux lorrains manquant de main d’œuvre après la « saignée » terrible de la Grande guerre.

Ils abandonnent aussi une Italie tombée aux mains de Benito Mussolini qui a marché sur Rome et a été investi comme chef du gouvernement. Les lois fascistes vont être édictées et les époux ne retourneront en Vénétie que des décennies plus tard ! Sur place à Talange, Luigi Darmian le « grand frère » qui les a fait venir était déjà entré au service des fameux « maîtres des forges » qui faisaient tourner leurs usines à fonte et à acier 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ! Son frère et sa belle sœur n’eurent droit à leur arrivée qu’à une pièce au-dessus d’un café « rital » pour leur famille vite renforcée par l’arrivée au monde de Claire Marie début 1923 (Clara Maria fut refusé à l’état-civil) et en avril 1924 d’Eugène Auguste (Eugenio Augusto n’eut pas l’heur de plaire à la Mairie) qui fut probablement déclaré deux ou trois jours après sa naissance.

Ces immigrés regroupés au plus près d’une lieu de travail exténuant, dans des masures ou des taudis à l’écart de tout le reste de la population, repliés sur eux-mêmes n’étaient guère les bienvenus dans une région récemment libérée du joug prussien. Ils subsistaient en autarcie… constituant une communauté ayant bien du mal à s’intégrer dans un tel contexte. Il leur faudra attendre le 4 décembre 1933 pour obtenir, plus de 10 années après leur arrivée leur naturalisation française familiale par décret de la République.

Une véritable aventure débutait pour ma tante âgée de 10 ans, mon père âgée de 9 ans et mon oncle de 5 ans pour lequel l’instituteur secrétaire de mairie tolérant de Cursan, petite commune proche de Créon avait accepté les prénoms de Mario, Michelino ! Les « immigrés économiques » devenus des « réfugiés politiques » ayant refusé de rejoindre les fascisme transalpin, allaient mettre beaucoup d’énergie pour s’intégrer et trouver leur chemin dans une période où une nouvelle guerre provoqua bien des soucis.

Le 26 septembre 2018, presque 85 ans plus tard, après huit ans de patience et de démarches, le petit-fils de Eugène et l’arrière-petit-fils de Silvio, a prêté serment d’allégeance à sa gracieuse majesté Elisabeth II au Canada. On raconte dans la famille italienne que Silvio avait caressé l’espoir de franchir l’Atlantique pour aller quérir fortune aux États-Unis mais que faute d’argent pour les billets de la traversée sur un paquebot il s’était résigné à rester en France.

Silvain vient d’acquérir en quatre générations une troisième nationalité pour la branche des Darmian ayant la bougeotte. Petit-fils d’un italien naturalisé français il est devenu officiellement franco-canadien ! Comme Aurore, sa compagne attend un enfant nous aurons une internationalisation réelle d’une famille ayant choisi l’émigration comme projet de vie. C’est une superbe coïncidence ! C’est une plaisir profond!

Les raisons n’ont guère changé à 95 ans d’écart même si l’échelle des valeurs est bien différente. N’empêche que Silvio et Silvain qui ne se sont malheureusement jamais croisé dans la vie, ont voulu se construire un avenir meilleur que celui que leur proposait leur pays d’origine. Tous deux ont simplement profité de l’appel de leur nouveau pays d’accueil en faveur de gens pouvant rapidement s’adapter au monde du travail puisque la pénurie est patente. En 1922 la France manquait de main d’œuvre (10 % de la population active a disparu) et en 2018 le Québec cherche désespérément des techniciens, des personnels de santé, des enseignants, des ouvriers spécialisés pour maintenir son dynamisme économique et sa culture française. Au cours des dix prochaines années, le marché du travail québécois devra combler plus de 1,3 million d’emplois, dont plus de 90 000 emplois déjà vacants aujourd’hui.

L’immigration a toujours été une chance pour le pays qui a la volonté de faire réussir les gens qu’il accueille et jamais le slogan n’a changé : les immigrés viennent manger le pain des locaux qui ne peuvent plus ou ne veulent plus en faire ! C’est une règle immuable !
Mon fils Silvain et mon grand-père Silvio sont réunis symboliquement par leur trajet personnel mais surtout par une vraie volonté de vivre autrement, de construire autrement, de progresser autrement. J’ai la ferme certitude que pour autant aucun des deux n’a oublié ses racines car elles sont le fondement de leur ADN familial. Ailleurs n’est pas forcément un abandon, un renoncement, un aboutissement mais plus certainement un cheminement courageux vers son propre destin ! Pour le petit-fils et le père que je suis c’est une immense fierté.

(1) Désormais le village s’appelle Zimella

Cet article a 9 commentaires

  1. J.J.

    « Eugenio Augusto n’eut pas l’heur de plaire à la Mairie. »
    Quand on voit les prénoms parfois abracadabrants qui sont acceptés par les officiers d’état civil il semble que l’on soit passé d’un extrême à l’autre.
    Ce n’est pas chose nouvelle, Montaigne (encore lui !) a écrit des choses à ce sujet.

    Nous sommes tous des immigrés, quel que soit le degré « généalogique » auquel il faut remonter pour retrouver « l’ancêtre » qui venait d’ailleurs(en opposition à ces gens qui se prétendent de là), d’Éthiopie, par exemple, un vague cousin de Lucie.

    Mes origines immigrées ne viennent pas de loin, (d’Auvergne), mais un immigré reste toujours un immigré, qu’il soit Rital, Espinguoin ou Auverpin.
    Et avant, d’où venaient-ils mes auverpins d’ancêtres,?

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
      On est toujours l’immigré(e) d’un pays (d’une « autre région »), d’un pays de la mondialisation…

  2. Laure Garralaga Lataste

    J’approuve et partage ce texte qui présente différentes migrations familiales des Darmian.
    Une clarification s’impose : émigration/immigré ?
    L’émigration est l’acte de quitter définitivement son pays pour un autre pays.
    L’immigré c’est celui qui vient de l’étranger.

    1. Bernie

      Bjr Laure,
      Pourquoi le service militaire est imposé aux enfants d’immigrés polonais travaillant au Canada ?

      1. J.J.

        La situation était la même en France quand le service militaire était obligatoire, les enfants de parents « étrangers » étaient sollicités pour faire leur service militaire, et ils étaient alors automatiquement naturalisés français.
        Ils étaient libres, s’ils voulaient garder leur nationalité d’origine d’aller éventuellement faire leur service dans leur pays d’origine.

  3. Bernie

    Ex : Suite à la guerre de 39-45, tes parents ont quitté la Pologne et sont venus en France. Leur fils est allé travaillé au Canada. Cet enfant a refusé de faire son service militaire en France et bien sa femme Canadienne a eu le droit de voir ses beaux-parents mais pas lui. (C’est un déni de démocratie)

  4. LAVIGNE Maria

    Quitter son pays natal n’est jamais facile. La décision et souvent douloureuse. Mes parents, ont décidé de partir, sans papiers avec 3 enfants dont j’étais l’aînée . Il faudrait un livre pour raconter leur vie, la nôtre mais je n’ai pas le talent de J.M DARMIAN. Nous venons de la même région, la Vénétie, San Stino di Livenza exactement. Plusieurs membres de notre famille ont émigré aux U.S.A, en Australie, en Allemagne.
    Notre petit fils a passé 3 ans en Nouvelle Zélande, son frère envisage de partir au Canada.
    La terre est à tous et pour de multiples raisons il faudra bien la partager, ce sera une richesse.
    Le très beau film de Pagnol, Manon des sources a montré, hélas, de quoi étaient capables les hommes envers un autre venu du village voisin. Nous avons tous des progrès à faire pour accueillir, tendre la main et vivre en bonne intelligence. je rêve sans doute…

  5. Bernie

    Le Canada a hérité des nouvelles technologies américaines et par conséquent beaucoup de travaux manuels ont été supprimés. En France c’est la même chose.

  6. facon jf

    bonjour,
    je vous mets le texte de ce sketch de Fernand Raynaud (1972)
    J’suis pas un imbécile moi, j’suis douanier.

    J’aime pas les étrangers, ils viennent manger l’pain des français… ouais !
    C’est curieux : comme profession, j’suis douanier, et puis j’aime pas les étrangers… Hein ?
    Quand j’vois un étranger qui arrive, puis qui mange du pain, j’dis : « ça c’est Mon pain ! »
    Puisque j’suis français, et puis il mange du pain français, donc c’est MON pain à moi.

    J’aime pas les étrangers parce que moi je suis français, et je suis fier d’être français.
    Mon nom à moi, c’est Koularkientensky du côté de ma mère… et Piazzano-Venditti du côté d’un copain à mon père.
    C’est pour vous dire si j’suis français !
    J’aime pas les étrangers, ils viennent manger l’pain des français…
    Dans le village où on habite, on a un étranger, alors, quand on le voit passer, on dit : « Tiens, ça, là, ça – c’est l’étranger ».
    On l’montre du doigt, comme un objet… On n’a pas de respect.
    Quand on a du respect pour un être humain, on ne dit pas « ça », là, non. On dirait : « Ce monsieur »…
    C’est un étranger, il vient manger l’pain des français…
    Quand sa femme passe, la tête basse, avec ses p’tis enfants qui baissent la tête; on dit :
    « Ça, ça là, c’est des étrangers : ils viennent bouffer l’pain des français. »
    L’autre dimanche, dans mon village, j’avais été – c’était à la sortie de la messe de dix heures – j’avais été communier au café d’en face.
    Y a l’étranger qui a voulu me parler. Moi, j’avais aute chose à faire, pensez, parler avec un étranger !
    J’avais mon tiercé à préparer… Je suis douanier. Je suis pas un imbécile.
    Enfin, du haut de ma grandeur, étant fonctionnaire, j’ai daigné l’écouter, cet imbécile (il est étranger, forcément)…
    Il m’a dit, euh :
    « Ne pensez vous pas qu’à notre époque (1972), c’est un peu ridicule de traiter certaines personnes d’étrangères, nous sommes tous égaux.
    Voilà ce que j’avais sur le cœur, je voulais vous dire ça, Monsieur le Douanier, vous qui êtes fonctionnaire et très important, vous qui avez le bouclier de la loi… Nous sommes tous égaux. On peut vous le prouver : quand un chirurgien opère un cœur humain, que ce soit au Cap, à Genève, à Washington, à Moscou, à Pékin, il s’y prend de la même manière : nous sommes tous égaux. »
    Pauvre andouille va ! Venir me déranger pour dire des inepties pareilles !!!
    Il a poursuivi… Ils sont tellement bêtes ces étrangers, ils viennent manger l’pain des français.
    Y m’a dit… euh … :
    « Est-ce que vous connaissez une race où une mère aime d’avantage ou moins bien son enfant qu’une autre race ? »
    Là, j’ai rien compris à ce qu’il a voulu dire… J’en ai conclu, qu’il était bête…
    En effet, lorsque quelqu’un s’exprime et que l’on comprend pas ce qu’il dit, c’est qu’il est bête !
    Et moi je peux pas être bête, …. je suis douanier … : « Vas-t-en, étranger ! »
    Il m’a répondu: « J’en ai ras-le-bol, moi. Votre pain, et votre France. Je m’en vais. »
    Il a pris sa femme, sa valise, ses enfants, ils sont montés sur un bateau, ils ont été loin au delà des mers, lououain…
    Et, depuis ce jour là, dans notre village, eh ben on mange plus de pain, dit !

    Il était boulanger !!!
    (c) Fernand Raynaud
    Derrière l’humoriste bien connu se cache sa « plume » bien cachée, Armand Isnard qui commence sa carrière de chansonnier dans divers cabarets parisiens dès l’âge de 18 ans, se produisant, entre autres, au Théâtre de Dix Heures en 1957, puis au Caveau de la République ainsi qu’au Théâtre des Deux Ânes. En 1961, il rencontre l’humoriste Fernand Raynaud pour la première fois, à la sortie d’un spectacle donné par ce dernier à l’Alhambra. Il lui remet alors quelques monologues humoristiques écrits spécialement pour lui. Cependant, la réponse se fait attendre et Fernand Raynaud ne le recontacte que neuf ans plus tard. Dans son ouvrage Fais-nous rire, Fernand, Armand Isnard raconte comment Fernand Raynaud l’aurait contacté en catastrophe seulement trois jours avant la première de l’émission pour produire sketches et monologues de toute urgence. Ils continueront à travailler ensemble jusqu’au décès de Fernand Raynaud en 1973.
    « Tout au long de sa carrière, Fernand Raynaud tint à ce que le public soit persuadé qu’il était l’auteur de ses sketches. Pour lui, c’était capital! Il croyait que le public lui ôterait sa confiance s’il savait qu’il n’était pas doué pour écrire. Alors que le public l’avait adopté pour son immense talent et qu’il aurait pu en toute quiétude se contenter d’être l’interprète de génie qu’il était. »
    https://excerpts.numilog.com/books/9782402635127.pdf
    Armand Isnard, né le 1er août 1939 à Montmorency (Seine-et-Oise), est un chansonnier, humoriste, auteur, éditeur, acteur, homme de théâtre, documentariste et biographe français.
    L’humoriste du sketch dénonçant le racisme cachait son « nègre » dernière touche d’humour.
    bonne journée

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