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Une cure de désintoxication collective salutaire

A mi-chemin entre l’agglomération de Nîmes et les contreforts des Cévennes, la cité de Saint-Geniés de Malgoirés (30) survit grâce à sa centralité au cœur d’une plaine couverte de vignes sur lesquelles empiètent des zones artisanales ou commerciales de proximité. La longue ligne droite qui même au centre du village se met à tire-bouchonner lorsque se dressent les vieilles bâtisses du village resserré autour de ses allées bordées de platanes centenaires. Des façades rongées par les outrages du temps, une fontaine pisseuse guillerette, une tour carrée solitaire, des commerces réduits à la portion congrue, un boyau routier tortueux et étroit ne génèrent pas une envie particulière de faire halte.

De robustes barrières repliées semblent bizarrement être là pour protéger ce périmètre apparmnt mal en point, d’un envahisseur potentiel. En se refermant en quelques minutes elles rendent inaccessible ces lieux que peu de monde aurait envie de conquérir. Renseignement pris ce dispositif sert uniquement lorsque les gardians camarguais offrent une balade surveillée ou encadrée à de jeunes taureaux extraits de leurs vastes espaces gardois. Cette « abrivade » héritée des transferts des bovins entre pâturages, mobilise des gamins en maillots de foot et adolescents blasés tentant d’imiter les courses de la San Fermin sur cet espace clos transformé en champ d’évolution pour manadiers du dimanche.

Saint Geniés exhale la routine quant on flane n son cntr. Enfin presque puisque depuis des mois et des mois, François de Luca et ses ouvriers des fêtes avaient préparé un week-end susceptible de secouer la torpeur créée par un soleil matraqueur incitant au repli sur la fraîcheur des intérieurs dédiés à la télé souveraine. Leur fête italienne excentrée autour de la très vaste salle de l’espace culturel avait comme double objectif de réveiller les descendants des immigrés calabrais arrivés dans les années cinquante sur ce territoire et d’attirer la foule des enfants de Ritals éparpillés dans l’hexagone. Un défi consistant à allier mémoire et présent à partir de suprbes documents retraçant cette migration du siècle dernier risquant d’être recouverte par la poussière grise de l’oubli.

Ils étaient donc venus, ils étaient tous là, dès qu’ils avaient entendu l’appel de François : « elles vont mourir nos racines » Ils étaient venus, ils étaient tous là, même ceux du Sud de l’Italie. Il y avait même celles et ceux de San Giorgio di Fiore, les esprits chargés de leurs souvenirs d’enfance ou de vie d’adulte. Pour la très grande majorité d’entre eux pas question de laisser mourir le souvenir de la mama tant elle a compté dans leur existence. Les mères italiennes ont en effet traversé ces deux jours avec leur silhouette de noir vêtues, devenant les héroïnes de ces moments douloureux que furent ceux des migrations. « Femmes de dos (1)» car sans cesse courbées sur les enfants, la cuisine, le ménage, le lavage, la maison elles furent arrachées à leur village, à leur famille, à leurs amies, à leur climat, à leurs traditions par le départ d’un mari vers une fortune qui ne viendra jamais.

Saint Geniest de Malgoires est devenue durant deux jours une fourmilière où les « ouvrier(e)s » de la mémoire excités par les documentaires de François de Luca, se sont croisés un verre de rosé plus très frais à la main, confiant leurs histoires ou écoutant celles des autres. Les regards embués, les larmes furtives traduisaient ce que fut cette immigration des macaroni(e)s dont nous avons oublié qu’elle fut l’une (si ce n’est la plus) des plus massive de l’histoire du siècle dernier. Mettre à nu ses racines engendre les risques de se trouver confronté(e) a la propre croissance de sa personnalité. N’empêche que cette soif de se confier, d’écouter, de partager, d’apprendre de l’autre ou des autres aura constitué une vaste et salutaire séance d’éducation vraiment populaire. « Ezio » y a pris sa part et a été heureux que l’on fasse référence à son histoire.

Un millier de spectateurs a assisté à la projection de films réalistes, vrais et concrets et une émotion palpable a régné dans la salle quand les vrais acteurs de cette période ont expliqué que tout départ de son village constitue une déchirure profonde. Leur témoignage confirme que toute arrivée dans l’inconnu accentue la détresse de celui qui doit s’adapter. L’intégration passe par une exploitation cynique du sort de ceux qui n’ont pas toujours le moyen de se défendre. La volonté, le courage, la résilience et la solidarité constituent les meilleures armes pour sur deux ou trois générations espérer se sortir du traumatisme migratoire.

Dans les rues de Saint-Géniés quelques groupes de jeunes venus d’ailleurs trompent leur ennui par la discussion ou l’échange sous les platanes. Aucun d’entre eux n’est venu écouter, simplement écouter ces moments précieux de partage pouvant leur apprendre que le racisme, le rejet, la pauvreté se combattent par la participation, la tolérance et l’envie réelle de s’en sortir. Ah ! J’oubliais qu’à Saint Géniés où les descendant(e)s des « macaroni(e)s » calabrais(es) accusé(e)s de tous les maux de la terre, se comptent par dizaines, la Marine nationaliste a réalisé 53 % au second tour des présidentielles. 

(1) je vous conseille deux livres : « La traversée des Macaroni(e)s » de Marie-Françoise Montebello et « Italienne sang pour sang » de Sophie Floréani

Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    Puisque nous sommes encore à évoquer les migrations, sujet que nous semble cher, et qui a laissé une plaie ouverte dans pas mal de cœurs, je vous conseille, si vous ne l’avez déjà fait, la lecture d’un petit livre d’Éric Orsenna que je suis en train de lire : « les Mots Immigrés ».
    Œuvre de fiction, certes, puisqu’elle évoque une émission télévisée culturelle à une heure de grande écoute, en « prime time » disent les jargonnants.
    Mais aussi une hymne discret à la tolérance, à la fraternité, sous tendant que l’émigration(ou l’immigration selon le lieu où l’on se trouve) est une chance pour l’Humanité(à condition qu’elle ne soit pas ternie par la discrimination et de basses considérations politiques discutables).

  2. Laure Garralaga Lataste

    Cette « madeleine de Proust » me ramène à ma jeunesse et à mes vacances à Oloron St Croix, village situé au-dessus puis absorbé par Oloron St Marie… Vacances durant lesquelles nous était confié le troupeau de vaches qu’il nous fallait conduire dans une prairie au bord du gave après lui avoir fait longer un champs de maïs, véritable tentation de St Antoine… Nous ? Martín fils, le chien, el Perro et moi, Laurita. Grâce à la vigilance del Perro, les escapades dans le mais étaient rares… ! Mais quand ça arrivait… un vrai désastre et nous, à l’exception del Perro, étions privés de dessert !

  3. laure Garralaga Lataste

    Autre désastre… Celui de ces jeunes générations, quelles que soient leurs origines, qui ignorent d’où ils viennent !
    Une question : quand l’Histoire cessera-t-elle de raconter des histoires…?

  4. De luca

    Jadore

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