You are currently viewing Il ne suffira pas encore une fois de réformer car il faut vite bouleverser

Il ne suffira pas encore une fois de réformer car il faut vite bouleverser

Un nouveau ministre de « l’éducation » a pris position du bureau de la rue de Grenelle. Comme il n’est pas candidat aux élections législatives et comme il se contentera de laisser l’équipe de son prédécesseur régler la fin de l’année scolaire, il a toutes ses chances de rester en poste. Il n’aura pas le sort de André Morice resté en poste 10 jours en 1950, un record dans l’histoire de la République. Il est pourtant le trentième nom sous la V° a être gravé dans le marbre de la plaque officielle de son ministère. Il imagine probablement qu’il aura la possibilité de changer la donne dans un secteur essentiel de la société. Comme tous ses collègues il ignore que la superstructure administrative qui l’entoure passera son temps à lui vendre sa soupe technocratique.

Celle de la rue de Grenelle est avec son homologue de Bercy la pire de toutes. Elle vit avec une haute idée de son rôle et comme l’a écrit Dubet , elle est persuadé qu’en France tout le monde rêve que ses enfants fassent Normale sup ou Polytechnique. Mais c’est le rêve des classes moyennes supérieures et des profs. Leur vision de la réussite doit ressembler à la leur ; Ils s’appliquent à tripatouiller les filières, les programmes, les examens en accusant chaque fois les professeurs (puisqu’il n’y plus que des professeurs désormais) de ne pas être à la hauteur de leur rôle.

Cette nomenklatura qui se coopte et s’auto nourrit de ses certitudes brevetées sans garantie de la connaissance réelle de la situation de l’enseignement va subsister car elle véhicule le principe même de la politique libérale : la privatisation permettant à la classe privilégiée d’échapper à la dégradation de ce qui fut « l’école publique » ! En fait, leur stratégie consiste à offrir la liberté absolue d’échapper à leurs erreurs, aux établissements ne relevant pas dans les faits, de leur juridiction. La fracture sociale trouve encore un terrain favorable dans l’éducation. Elle s’élargit à vue d’œil.

Enfant de prof la néo-patron de l’éducation après avoir étudié au lycée Lakanal de Sceaux et en classes préparatoires littéraires au lycée Henri-IV, entre à l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1986 et réussit l’agrégation d’histoire. Lorsqu’il revient sur son parcours scolaire, il se décrit comme un « pur produit de la méritocratie républicaine ». S’il part avec l’idée que son rôle réside dans des réformes permettant la reproductibilité de ce cheminement il ne tiendra pas longtemps. Encore une fois il lui serait utile de relire Dubet. Pour la sociologue bordelais , loin de tenir ses “promesses de justice, de compétences et de formation de citoyens rationnels parce qu’éclairés”, le système scolaire créé au contraire de nouvelles formes d’inégalités. Il ne parvient pas non plus à assurer une meilleure insertion professionnelle, et nourrit enfin chez les “vaincus de la compétition scolaire” le ressentiment.

Pour réussir la massification scolaire qui fut la grande affaire du pays depuis soixante ans, il aurait fallu “changer le système”, véritable “machine à trier” à l’aune d’“une sélection impitoyable par la performance, subordonnée à l’idéal élitiste”. François Dubet se prend à rêver d’une école qui “se soucierait plus qu’elle ne le fait du niveau moyen des élèves et du niveau des plus faibles” – ce qui ne semble pas, en effet, trop lui demander. Instruit par sa longue expérience, il sait que pour y arriver, c’est toute la “communauté éducative” qui doit être bousculée.

Pour y parvenir il devient urgent de changer les finalités du système et plus encore adapter la pédagogie en conséquences. Je propose par exemple une mesure simple qui paraît banale mais qui porte une responsabilité essentielle dans les échecs constatés : supprimer par exemple l’usage des photocopies à tous les niveaux. Je sais que je vais vous faire rire mais j’assume ! La capacité à écrire, à manier les mots et surtout à les mémoriser s’estompe dangereusement. Apprendre manuellement à recopier un exercice de quelques dizaines de mots constitue une base essentielle des apprentissages. Pour bien des enfants actuels la copie10 signes (lettre ou ponctuation) en 1 minute au CP, 24 signes au CE1, 34 signes quand il est CE2, 45 signes pour le CM1 et 46 signes lorsqu’il est au CM2. Et ces statistiques ne cessent de baisser. En revanche le nombre de photocopies (pas pour la documentation mais pour les exercices) suit une courbe ascendante exponentielle.

La pyramide du système éducatif doit profondément changer de paradigme en prônant la sélection par la réussite et plus par l’échec ! L’individualisation des parcours, la fin du mythe de l’égalité avec une mixité sociale réelle, une écoute plus grande,  une plus grande place faite à la culture et au sport, des établissements à taille humaine, une campagne nationale autour du métier d’enseignant(e), une liberté pédagogique accrue : le Ministère (et pas nécessairement le Ministre) doit être dans le fond le premier à se réformer et à s’ouvrir sur la réalité.  Impossible ! 

Cet article a 4 commentaires

  1. christian grené

    Bonjour à tou(te)s. A 15 heures, personne n’a son grain de sel à apporter

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ mon cher Christian…
      Entre « le et la néo patron de Lakanal »… mon cœur balance, je ne sais pas… laquelle aimer des deux… ! Mais, pour une fois, c’est à « le » que va ma préférence…

  2. faconjf

    bonjour,
    les problèmes s’accumulent au rythme où s’empilent les réformes depuis 1975. De mémoire:
    – 1975 réforme Haby, instaure le collège unique.
    -1982-1984: Alain Savary lance un projet de « grand service public unifié de l’Education ». Mais le projet de loi est retiré en juillet 1984 par le président Mitterrand à la suite de manifestations d’une ampleur exceptionnelle suscitées par la polémique entre partisans de l’école publique et de l’école privée. Savary démissionne. Toutefois, le collège unique a bel et bien été rénové.
    – 1984, J.-P. Chevènement succède à Alain Savary. Il insiste sur la mission de l’école, la formation générale, l’apprentissage de la lecture, la sélection des meilleurs. Il s’est également beaucoup engagé pour la revalorisation de l’enseignement et du bac techniques.
    – de 1986 à 1988,René Monory fait quant à lui une première tentative d’unification du corps professoral des collèges par l’arrêt de recrutement de PEGC.
    – 1989: la « loi Jospin » prévoit de conduire dans un délai de dix ans « l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au niveau du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou du brevet d’études professionnelles (BEP) puis 80% au niveau du baccalauréat« . Tous les bacheliers doivent être admis dans des études supérieures. La loi entend aussi lutter contre l’exclusion scolaire et les inégalités géographiques.
    Un Conseil National des Programmes est mis en place pour donner des avis sur les programmes scolaires.En ce qui concerne la formation des enseignants, les Instituts Universitaires de Formation des maîtres (IUFM) sont créés. le statut des Greta est modifié.
    – 1993: François Bayrou réforme le baccalauréat et crée les filières L, S et ES (littéraire, scientifique, économique et sociale) au lycée. Et la réforme du collège qu’il met alors en place.
    – 1998: Claude Allègre prévoit une réforme des lycées qui met l’accent sur « l’égalité dans la diversité » des filières, la révision des horaires et des contenus, le développement des « activités culturelles et citoyennes ». Ses projets déclenchent la fronde des enseignants qui l’accusent de « précariser » la profession et d’instaurer « une école à deux vitesses » au détriment des élèves des zones défavorisées. Claude Allègre perd son portefeuille lors du remaniement de mars 2000. Jack Lang le remplace mais la réforme n’est pas réalisée avant le changement de majorité d’avril 2002.
    -2001 : J. Lang et le collège républicain. Devant les difficultés persistantes dans les collèges et l’accroissement du malaise des enseignants, Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale, décide de prendre des mesures afin de « bâtir un collège pour tous qui soit en même temps un collège pour chacun. »
    Sans modifier les structures du collège, il veut changer les approches pédagogiques pour mieux gérer la diversité des élèves et lutter contre l’échec, notamment par l’évaluation systématique de chaque élève.
    – 2002 Luc Ferry sera alors nommé ministre de l’éducation nationale jusqu’en 2004.
    Il met en œuvre, parmi d’autres mesures, un nouveau dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire. Ce dispositif vise à adapter la réglementation à l’évolution des besoins et des pratiques des élèves et de leurs familles.
    D’autre part, la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, marque la volonté très largement partagée de réaffirmer l’importance de ce principe indissociable des valeurs d’égalité et de respect de l’autre. En clair, pas de foulard islamique dans les collèges et lycées.
    – 2005: François Fillon met en place la loi d’orientation pour l’avenir de l’école. (2004-2005). La loi n° 2005-380du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École met en œuvre des priorités pour élever le niveau de formation des jeunes Français : faire réussir tous les élèves, redresser la situation de l’enseignement des langues, mieux garantir l’égalité des chances, favoriser l’insertion professionnelle des jeunes et l’emploi. La Nation fixe au système éducatif les objectifs suivants : que 100% des élèves aient acquis au terme de leur scolarité obligatoire un diplôme et une qualification reconnue que 80% d’une classe d’âge accède au niveau baccalauréat et de conduire 50% de l’ensemble d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur.
    – 2008: Xavier Darcos. Une nouvelle organisation de l’école primaire à la rentrée 2008, avec la suppression des cours du samedi matin dans toutes les écoles maternelles et élémentaires.
    –2009 : Luc Châtel et la réforme du lycée. Ses objectifs : réduire les inégalités, mieux préparer les lycéens à l’enseignement supérieur, les associer davantage à la vie de leur lycée et passer d’une orientation subie à une orientation choisie et réversible.
    -2013 : Vincent Peillon et la loi de refondation de l’école.
    Création des ESPE (école supérieure du professorat et de l’éducation) où seront formés les futurs enseignants. Sous le gouvernement Sarkozy, rappelons que la formation spécialisée des enseignants avait tout bonnement été supprimée (exit les IUFM).
    Accueil des enfants de moins de trois ans en maternelle, dans les zones défavorisées. Redéfinition des missions de l’enseignement en maternelle.
    – 2016 : Najat Vallaud Bel Kacem et la réforme du collège.
    – 2017 : contre-réforme du collège, par le nouveau ministre Jean-Michel Blanquer .
    – 2018 : réforme du bac (ministre Blanquer) avec application complète en 2021.
    Mise en place par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en 2018 dans le cadre de la loi « Orientation et réussite des étudiants », l’application Parcoursup remplace Admission Post-Bac (APB), mettant fin au tirage au sort et enregistrant les vœux motivés mais non hiérarchisés des candidats, qui doivent accepter ou décliner les propositions au fur et à mesure qu’elles leur sont faites.
    L’empilement des réformes ou pseudo-réformes ( en changeant les appellations du ministre précédent) a produit une érosion du temps d’études. Ainsi, en 1972, un élève de 6e bénéficiait de 6 heures de français par semaine. En 2002, il n’en avait plus que 4,5. En 2018, ce volume horaire est le même, mais doit comprendre les EPI et l’AP (durant lesquels on fait des choses passionnantes, là n’est pas la question). Cela ne semble rien, mais sur les quatre années de collège, cela représente tout de même 180 heures de cours. C’est-à-dire une année complète d’enseignement du français, à raison de 5 heures hebdomadaires. Pour schématiser, tout se passe comme si un élève d’aujourd’hui n’avait que trois ans de français au collège, au lieu de quatre en 1972. Et le constat est le même au primaire, où la multiplication des enseignements (artistiques, scientifiques, technologiques, etc.) a mathématiquement réduit le temps dévolu aux apprentissages fondamentaux que sont le français et le calcul.
    Réformer oui, mais il faudrait laisser du temps pour laisser aux réformes au moins une chance d’être efficaces. Au rythme où elles se succèdent, les enseignants n’ont pas vraiment la possibilité de les intégrer en profondeur à leurs pratiques, ni d’en mesurer les effets, ni de prendre du recul sur leur efficience (ou absence d’).
    Qu’importe, l’important est de laisser sa marque sur le ministère.
    Bonne fin de semaine

  3. Laure Garralaga Lataste

    Et si l’important reste de « laisser sa marque sur le ministère », nous comprenons mieux pourquoi il est plus important d’y laisser une trace que de réformer !

Laisser un commentaire