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Le partage laïque essentiel de la « kermesse »

Aussi longtemps que ma mémoire me le permette, la kermesse des écoles publiques a appartenu à mes fins d’année scolaire. Tant comme élève ou collégien puis pendant une vingtaine d’années comme instituteur j’ai eu des rapports très tumultueux avec cette tradition (1). N’empêche qu’en retrouvant ce soir une cour d’école maternelle bondée de parents, de grands-parents, de frères et de sœurs j’ai ressenti l’utilité de ces rassemblements de la communauté éducative. Tout le monde semblait unanime : durant deux ans le rendez-vous avait été escamoté par la pandémie et il manquait.

D’abord l’action commune entre la majorité des parents des élèves et les enseignantes à la fois simple mais tellement précieuse, trouvait une concrétisation d’un programme commun. Durant quelques heures chacun à sa place, valorisait ainsi un système éducatif tellement malmené tant par les élites chargées de le gérer que par une opinion publique influencée par des médias avides de sensationnel. La kermesse même très éloignée de celles que j’ai connues avait un sens par son existence même. La très grande diversité des familles présentes et leur cohabitation joyeuse offraient en effet une vision bien différente de cette société française que l’on dit fracturée.

L’école publique, laïque reste pour moi le creuset de la République et plus encore l’école maternelle. D’origines visiblement très diverses les adultes se côtoyaient à table, derrière un stand ou devant le spectacle proposé par leurs progénitures. Une fois par an dans un cadre non institutionnel, cette manifestation offre le plus essentiel des principes : le partage. La joie de la réussite dans la communication d’un travail pédagogique effectué en classe; la joie d’échanger grâce aux enfants alors que les contraintes sociales les réduisent le plus souvent à la plus simple expression ; la joie de découvrir que dans le fond la tolérance, la sérénité dans les échanges existe davantage dans le cœur des enfants que dans ceux des adultes : rien de bien exceptionnel mais l’essentiel c’est que la prise de conscience puisse exister.

Il y eut dans ma vie scolaire le concert de l’école préparé de longs mois et donné dans la salle des fêtes du village de Sadirac sous l’égide de l’amicale ou du patronage laïque. Désuet, sans intérêt, non-conforme aux instructions officielles, nécessitant trop de temps de préparation, n’intéressant plus personne : tous les arguments ont été utilisés pour que ces soirées mêlant chant, danse, théâtre, pratiques artistiques disparaissent. Or elles permettaient aux élèves de se confronter aux réalités du spectacle vivant : apprendre pour offrir aux autres le fuit de son travail solidaire. Il s’agissait d’un acte culturel réel, concret et d’un apprentissage à la vie sociale ayant eu un véritable intérêt. En se refermant sur ses certitudes « officielles » l’école a perdu de son aura. Elle aussi est devenue un lieu de « confrontations » alors que durant un siècle elle avait été un lieu de « rassemblement ».

La « grande » kermesse de Créon a rassemblé durant quatre décennies après la dernière guerre mondiale sous l’impulsion des instituteur(trice)s absolument tous les élèves fréquentant les établissements de la commune. Un dimanche après midi des centaines de parents se retrouvaient autour du carré vert abîmé de la pelouse devant le groupe scolaire : maternelle, élémentaire et collège dans une unité parfaite. Inimaginable dans le contexte actuel. Toute ma génération conserve pourtant des souvenirs exceptionnels de ce rendez-vous qu’aucun élève ou collégien(ne) ne pouvait manquer. Le lendit, la fameuse pyramide humaine, la représentation théâtrale d’œuvres des grands auteurs, les costumes des petits  rien ne devait clocher car c’est l’image de la « laïque » qui se jouait.

Que dire de celle du parc Bordelais et ces milliers de spectateurs. J’ai eu le bonheur d’en être acteur et de présenter les dernières éditions avant que les normes, le désintérêt et les modes la tuent.  Il faut regarder les archives pour mesurer son impact sur une ville. Les lendits au stade municipal devant des travées garnies et la vitrine extraordinaire des chars, des stands et des repas dans un  écrin naturel ouvert au plus grand nombre. C’est oublié et considéré comme sans valeur profonde. 

La disparition des associations supports fédératives (amicales, patronages) et l’émergence des fameuses associations de parents d’élèves sectorielles, oublieuses des valeurs essentielles qu’étaient la laïcité ou la fraternité ont lentement asphyxié ces rendez-vous pour les remplacer par des « réunions » institutionnalisées et souvent majoritairement revendicatives. Les « kermesses » n’ont plus l’heur de plaire. Elles n’existent qu’à la marge et oublieuse des valeurs qu’elles doivent véhiculer. 

Hier soir j’ai pris une lampée de bonheur en recevant le regard pétillant de mon petit-fils ravi de montrer ce que « maîtresse » lui avait enseigné,  heureux de défoncer le chamboule-tout, de pécher les canards ou de courir derrière un pneu qui roule, de déguster un jus de fruits avec une portion de pizza confectionnée par une maman inconnue. Les écrans, la télé, les jeux vidéo, le mac Do’ étaient loin, très loin. Dans le marigot dans lequel nous nous enlisons cette parenthèse de simplicité, d’authenticité, de solidarité m’a fait le plus grand bien.

(1) Lire Jour de rentrée Editions vents salés dont j’ai encore quelques exemplaires

Cet article a 6 commentaires

  1. christian grené

    Jacques Feyder était-il enseignant? Il parlait même de kermesse héroïque!
    Un prétexte pour envoyer le bonjour à tou.te.s.

  2. Laure Garralaga Lataste

    Kermesse… mot désuet aujourd’hui disparu !
    Et demain… qu’en sera-t-il de ceux-ci : laïcité, fraternité, égalité, liberté ?
    Signé… la Pythie qui n’annonçait trop souvent que de mauvaises nouvelles.

  3. Jean-Pierre Boué

    A Agen aussi, il y a quelques années existait  » la fête des fleurs », fête de toutes les écoles laïques d’Agen, avec défilé sur le boulevard, mouvement d’ensemble sur le Gravier…
    Par contre le mot « Kermesse » me gène, surtout quand on parle d’école laïque. Etymologiquement le mot « kermesse » vient du flamand, c’est une fête paroissiale, fête du saint de la paroisse ou l’anniversaire de la consécration de l’église, « kerk » c’est l’église (cf Dunkerque , église de la dune), et « messe » et bien c’est la messe, puis la foire et toutes les festivités autour.
    Alors vive la fête des écoles laïques!!!

    1. Laure Garralaga Lataste

      Et si je vous dit que…
      « les laïquards se sont appropriés ce mot en le laïcisant…  » ?

  4. J. J.

    Dans un texte à propos du « certif » et du BSP qui le précédait, j’ai écrit ces quelques lignes.
    « Pour les écoles de ville, ces mêmes mouvements d’ensemble, leçon d’éducation physique comportant des exercices de gymnastique corrective et de maintien, composaient en outre une partie du spectacle de la fête des Lendits qui se déroulait généralement au mois de juin. Chaque école publique de la ville fournissait une petite troupe, qui ajoutée à celles des autres écoles formait une imposante cohorte. Tous les élèves, en chemise et short blanc, après avoir défilé dans les rues principales, se rangeaient en ordre parfait sur une grande place. Ils exécutaient alors ces mouvements en musique, et sous la direction d’un maître ou d’un professeur d’éduction physique devant un public nombreux et admiratif de parents et d’amis. »

    À propos de kermesse, nous avions « éradiqué » le terme depuis que le représentant de la SACEM, scrutant la presse locale comme un vieux grippe sous, avait réclamé à un Centre Aéré des droits d’auteur. Il avait fallu batailler ferme pour arriver à le convaincre qu’une « kermesse  » d’école ou de centre aéré n’était pas une manifestation à but lucratif.
    Nos fêtes du lendit ont disparu avec le certif, restait un petit bout de fête de la Fédération des Œuvres laïques. Du dimanche, avec défilé de chars en ville et participation de toutes les organisations laïques, la manifestation est passée au samedi pour ne pas « gâcher » les loisirs dominicaux. Plus de Fête des Écoles (on ne disait même pas publiques, ça allait de soi). Puis c’est devenu une soirée au théâtre, avec la participation de seulement quelques écoles, et maintenant tout a disparu.
    Selon les communes, il y avait aussi, au cours de l’année, organisés par les écoles, les lotos, concours de belote, les bals masqué pour les enfants etc.
    Les séances de don du sang, organisées dans les écoles à la campagne n’étaient pas des manifestions laïques, mais elles permettaient des rencontres amicales ouvertes à tous et renforçaient le caractère rassembleur de l’École, au delà de tout dogme ou toute croyance. La notion de laïcité s’en trouvait renforcée.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
      Souvenirs, souvenirs, je te garde dans mon cœur…

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