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Ici ou ailleurs (2) : les vedettes sortent « du » Grosbois

Pour le néophyte une immersion dans le milieu des courses hippiques relève une fois encore de la découverte d’une France (et même d’un monde) fracturée mais qui a au moins le point commun d’être animée par la même passion. Toute une économie avec à peu près 50 000 personnes au travail direct et indirect autour du cheval de course,  recouvre des réalités diamétralement opposées. Là aussi « invisibles » bossent pour que des m’as-tu vu plus ou moins nantis, puissent parader aux cotés du driver ou jockey vainqueur sur une estrade. En se glissant dans les coulisses où l’on trouve les « premiers rôles » aussi bien que les « utilités » cette sensation s’affirme tant les différences entre les strates sociales se creusent lorsque on est observateur.

Dans la fraîcheur de la matinée, le centre d’entraînement des chevaux trotteurs de Grosbois affiche sa splendeur indolente. Sur les centaines d’hectares de cette propriété autrefois princière des dizaines de grosses bâtisses basses enfoncées dans la verdure comme autant de hameaux discrets, abritent le quotidien de l’élite des trotteurs. « Ici nous travaillons dans le silence et il faut bien l’avouer une certaine discrétion puisque les méthodes différent d’un entraîneur à l’autre» explique Gilles Curens, Président du conseil de gestion, tout en installant l’un de ses protégés en partance pour Vichy, sur un tapis roulant taille XXL Étrange similitude avec les installations des salles de sport fréquentées par les adeptes du marathon avides de « fractionné ». Ce « patron » a gravi tous les échelons. Il a débuté en lavant les chevaux ou en remaniant la paille des box. Désormais il a pignon sur rue dans cet immense village où chaque écurie porte le nom de son locataire : les Bijon, Duvalstin, Abrivard, Bazire et consorts occupent en effet des écuries plus ou moins cossues ou isolées dans les 625 hectares de Gosbois.

« Le travail ne manque pas. Chaque cheval bénéficie de la plus grande attention des lads présents. Nous sommes presque cinq à travailler ici. Chaque pensionnaire à son programme précis en fonction de ses sorties et de son état de santé. Celui-ci a couru la semaine dernière et repart pour une nouvelle épreuve. Il faut donc le maintenir en forme et lui donner une meilleure condition physique après quelques jours de repos. Comme ce matin nous ne sommes pas assez nombreux pour assurer les sorties il a droit à sa séquence de footing aux allures progressives sur tapis roulant. Vous n’imaginez pas tout l’entraînement et les soins qui précèdent une course. Les chevaux ont vraiment presque tous envie de bouger et de marcher. Nous concoctons pour eux un programme quotidien individualisé. Pour leur permettre de se détendre nous les installons au paddock où ils se roulent sur le sable et se déplacent librement dans l’enclos. » D’autres tournent dans un manège automatisé, histoire de se dégourdir les pattes. Les têtes passent par les ouvertures sans que l’on sache si les « vedettes »  s’interrogent sur cette visite inattendue ou si elles sollicitent une caresse sur le dessus de leurs naseaux de soie.

La cour intérieure de la ferme-écurie avec son logement pour le loueur, ses chambres pour les lads et sa trentaine de stalles constitue le cœur de cette longue préparation portant les espoirs de tout entraîneur pour un cheval qui lui a été confié. «  Ce sont des sportifs fragiles de haut niveau ajoute Gilles Curens en approchant du box où dans la pénombre se dissimule Gladys des Plaines la vedette du lieu puisqu’elle a nettement dominé le Prix de Normandie au trot monté en 2021 rapportant plus de 100 000 € à ses propriétaires.

« Elle est légèrement blessée en ce moment et je ne prendrai pas le moindre risque avec elle. J’ai acheté des pansements spéciaux aux USA pour tenter de diminuer l’inflammation dont elle souffre. On la soigne sans cesse avec des pommades, des massages et on évite de la bouger. Je l’envoie dès demain en balnéothérapie pour qu’elle marche ou trotte dans l’eau.» Président du conseil de gestion du centre de Grosbois, Gilles Curens sait fort bien que la fortune dans ce milieu reste fluctuante et que bien de ses collègues se contentent de survivre. Il n’a donc rien changé aux habitudes de son écurie et bosse encore plus avec son équipe.

Dénicher une jument de la qualité de Gladys des Plaines tient d’une alchimie entre l’intuition, l’analyse des courses et de la généalogie mais aussi de  la chance. « Elle ne reviendra en course que quand elle sera vraiment apte à participer. Il y a ici des chevaux avec qui je tenterai un retour plus rapide mais avec elle, il n’en est pas question. » Il me semble que la jument a l’air triste. Elle baisse la tête et nous regarde avec une émouvante forme de résignation. « Leur plaisir c’est de courir ajoute Gilles Currens. S’ils ne bougent pas ils s’ennuient et dépriment. »

Dans les allées forestières du centre, autour des pistes réservées aux trotteurs, les attelages se succèdent, se croisent ou se suivent. La fréquentation est actuellement limitée car bien des entraîneurs ayant les moyens financiers ont pris leur quartiers d’été en d’autres centres car la saison se déplace vers les grands hippodromes de province proposant des séquences de courses bien dotées. Ils reviendront quand Vincennes rouvrira pour comme en ce dimanche, les plus grandes épreuves de trot en France.. Les invisibles sortiront alors les habits de gala pour nourrir leur espoir de gloire non pour eux mais pour l’un(e) de leur protégé(e). La victoire éventuelle sera alors un peu la leur.

A suivre

Cet article a 5 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Nous sommes le mardi 28 juin… et il est 13h03 !
    Un constat : nos plumes affamées étant à table, personne n’est sur la ligne !
    Et juments et chevaux qui se désespèrent de ne tirer aucun retour de ce « Roue Libre » !
    Réveillez-vous braves gens ! Ne désespérez pas notre Jean-Marie !

    1. J. J.

      Je veux bien être gentil, mais je n’ai pas grand chose à dire sur le cheval.

      Si “Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.”(Térence), par contre le cheval m’est assez étranger et les dimanches après midi de mon enfance passées à m’ennuyer sur le champ de courses local ont largement contribué à cultiver mon désintérêt pour ce genre d’activité.

  2. christian grené

    Me desperto.
    Je viens tout juste de lire l’article de JMD sur Grosbois, que je ne connais pas. Mais je connais très bien le domaine de « Jappeloup » à Saint-Savin-de-Blaye où naquit le petit cheval à qui fut remis en 1988 un licol avec une médaille en or olympique. J’y pense à l’occasion parce que le maître des lieux était un ami cher. Il s’appelait Henri Delage et leur souvenir me hante parce que tous deux (l’homme et le cheval) étaient de race. La race des seigneurs.

    1. christian grené

      … De la race des seigneurs bien que de souche modeste.
      Hasta la vista.

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