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Ici et ailleurs (16) : mon secret de la pyramide

Il y a soixante ans les vacances scolaires débutaient vraiment mal. Pourtant rien ne laissait présager pareilles situation. BEPC en poche j’avais le privilège de pouvoir aborder la période avec une certaine décontraction. Il restait à attendre le résultat de l’écrit du concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs. Ce n’était guère une priorité puisqu’à l’instigation du directeur du collège j’avais été candidat dans la Seine Inférieure (1). Je n’avais pas eu mon mot à dire. Cet homme au caractère similaire à son accent rocailleux et robuste avait en effet décidé que je devais tenter ma chance dans un département déficitaire.

Cette notion qui semble revenir à la mode consistait dans un rapport entre les candidatures et le nombre de postes ouverts. Pour des raisons démographiques (conséquences de la seconde guerre mondiale) ou « politiques » (présence dominatrice de l’enseignement catholique) ou sociales (conditions de vie) ces territoires étaient plus accessibles. Enfant d’une famille landaise très modeste il avait lui-même effectué sas scolarité à l’E.N. de Le Havre. Il pensait qu’il n’y avait aucune raison que je sois pas attiré par un parcours identique.

Mes parents n’avaient pas absolument été consultés et je pense que ma mère ne souhaitait pas vraiment ma réussite au concours. Elle ne me voyait pas à quinze ans partir dans ces brumes maritimes lointaines. Inimaginable il y a soixante ans que son fils partent à des centaines de kilomètres alors qu’il ne connaissait pas ce qu’était un voyage en train. Simplement le fait d’être reçu à l’écrit et donc la contrainte de m’accompagner à l’oral sur cette terre inconnue l’angoissait. Lorsque le résultat tomba et que le voyage devint une réalité elle se retrouva dans l’embarras.

« Comment veux-tu que l’on aille là-bas ? Je sais pas… ». Elle regarda sur le dictionnaire Larousse de la Mairie la longueur du déplacement qui nécessiterait une montée à Paris, un changement de gare et un second trajet vers Le Havre avec à la clé au moins trois ou quatre nuits à l’hôtel. Elle décida donc que je n’irai pas sans prévenir le directeur. Je revins donc au collège sans rien dire pour préparer le grand rendez-vous de l’année : la kermesse de fin d’année. Tous les après-midi les répétitions mobilisaient des dizaines d’élèves.

Le clou de cette journée du 9 juillet 1962 devait être l’érection de la pyramide humaine à trois étages qui succédait à un lendit millimétré. J’ai encore en mémoire le claquement devant être absolument parfait des mains sur les cuisses de ces lignes de garçons classés par taille en short bleu et chemisette blanche. Le mentor impitoyable de cette présentation se réservait le droit de choisir l’élève qui occuperait le sommet de son assemblage humain. C’était une sorte de consécration qu’il réservait je le crois à l’un de ses protégés ayant eu un parcours aussi proche que possible du sien… et je fus donc désigné. Un honneur dont je me serais bien passé !

Le vendredi la pyramide se construisit sans problème. J’en conclus que le samedi ne nécessitait pas ma présence. Ce jour-là bien évidemment les cours étaient neutralisés et il me fallait revenir en début d’après-midi avec mon Solex pour grimper sur le dos des copains. Un risque que je craignais moins que la question directoriale me demandant si j’étais reçu à l’E.N. de Le Havre…puisque la convocation étant arrivée à la maison il n’en savait rien. Je décidais donc de ne pas participer à l’ultime répétition.

Direction un étang merveilleux dans la forêt sadiracaise où le gardon foisonnait. J’avoue que le BEPC en poche et la certitude que je ne quitterai pas le giron familial me réjouissaient et me rendaient insouciant. Lorsque j’entends dans le lointain la voix de ma mère tentant de me convaincre de vite rentrer… je pense que la situation devient compliquée. Dès mon retour elle m’informe que le directeur a téléphoné pour connaître la raison de mon enfance qu’elle n’a pas pu expliciter.

« Je passerai ce soir… » avait-il annoncé. Et il le fit. Le réquisitoire fut sans appel : «  quand on prend un engament on le respecte. Tu n’as pas tenu parole, et tu as abandonné tes copains. C’est inadmissible… et je ne te reprendrai pas l’année prochaine au collège. » Impossible de lui avouer que je n’avais pas respecté l’autre engagement pris avec « sa » candidature à Le Havre (2). « Inutile que tu viennes demain. Nous n’avons pas besoin de toi. Tu n’as pas de parole.  Au revoir» 

Un ouragan s’était abattu sur le secrétariat de la Mairie laissant tout le monde pantois. N’ayant effectué aucune démarche puisque je devais retourner au collège pour préparer le concours de l’école normale je me retrouvais sans avenir… Inutile de préciser que les vacances furent moroses et compliquées. La leçon était dure et m’a marqué. Soixante ans plus tard je continue à penser à ce que représente un engagement ! Le directeur accepta après bien des péripéties et une mémorable leçon de morale à me reprendre deux jours après la rentrée 62-63 en exigeant de moi un travail assidu qu’il contrôlerait chaque semaine. Je fus reçu cette fois en Gironde. Si je n’étais pas allé à la péche en aurait-il été ainsi ?

  1. Devenue la Seine Maritime

  2. Tous les jours je passe devant un tableau de lui qui représente une rue de Le Havre avant la seconde guerre mondiale…

Cet article a 9 commentaires

  1. J. J.

    J’avais moi aussi postulé pour un département déficitaire : la Vendée. L’Inspection Académique du département eut le bon goût de ne pas répondre à ma demande.

    Plus tard, pour compléter notre effectif au stage de sport que nous avons effectué au CREPS de Boivre (86) on nous avait adjoint des camarades de l’EN de Vendée qui nous ont donné un bel exemple de la résistance laïque en territoire hostile.
    Et j’ai aussi fréquenté des collègues du département qui ne manquaient pas chaque 21 janvier d’organiser un banquet avec l’inévitable tête de veau….
    J’avais aussi, sans en aviser les autorités, « zappé » comme on dit maintenant un stage de moniteur de colo pendant les vacances de Pâques, pour participer à un chantier de fouilles sur un site préhistorique (sujet de ma « mono »).
    Retour de vacances avec réception en fanfare par qui tu sais … collé jusqu’à la fin de l’année, puis levée de la punition pour avoir organisé et participé à une embuscade pour capturer le malandrin qui avait pillé notre « Coop » dont j’étais le responsable.
    Ce fut une quatrième année assez mouvementée.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.
      Merci pour ce texte de l’Huma qui parle vrai et dont je recommande la lecture.
      Nous aussi, l’AAGEF-FFI section de la Gironde à Bordeaux, avons lutté pour que Pablo Sánchez, mort côté rive-gauche le 27 août 1944 après avoir sauvé de la destruction le pont de pierre, soit enfin reconnu « Mort pour la France » le 03 septembre 2014 (70 ans après) et que son nom soit gravé sur le monument aux morts de la ville de Bordeaux.
       » Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage…  » Jean de la Fontaine

  2. B.G.

    …Partir à l’autre bout de la France, à 15 ans, tu charries un peu JMD : ce n’était pas tant que tu le dis une aventure impossible en 1962.
    Particulièrement tu exagères en disant que tu n’avais jamais pris le train : j’habite dans le 59 et j’y étais à la même époque (en 62, j’ai atteint mes 15 ans aussi) : j’avais évidemment déjà pris souvent le train. (C’était l’époque des lignes cantonales, où le train passait partout, pour peu que le conseiller général du coin eût un minimum d’entregent).
    En 1965, étant en avance d’un an, c’était le Bac en poche depuis 1964 que l’été 65 est arrivé. Depuis aout 64, j’étais salarié dans une Banque locale. Et l’été les agences des lieux de tourisme avaient besoin de renfort. Direction La Baule donc pour moi.
    Certes mes parents m’ont conduit à l’aller dans la Dauphine familiale, et ma mère a fondu en larmes au moment de repartir en me laissant là, seul. C’est le seul souci qui se produisit dans la famille : des larmes…
    Autre remarque que ton aventure m’inspire : tu as parcouru les années de ta jeunesse sur des rails tracés depuis ta naissance : « tu seras un instituteur mon garçon » (le père étant remplacé par le directeur de l’école du village).
    De quoi se poser des questions en pagaille quand tu arrives à notre âge : n’aurais-je pas pu faire un autre métier ? Ai-je réussi ma vie ?
    Le hasard a été beaucoup plus présent pour moi, et mes rails ont été remplis d’aiguillages. J’ignore pourquoi, mais je préfère…

  3. J. J.

    BG @ « j’habite dans le 59 et j’y étais à la même époque (en 62, j’ai atteint mes 15 ans aussi) : »
    Nous autres gens plus ou moins ruraux du « midi » sommes peut être moins délurés que dans le Nord !
    À 15 ans je n’avais que rarement pris le train, et jamais tout seul.

    « De quoi se poser des questions en pagaille quand tu arrives à notre âge : n’aurais-je pas pu faire un autre métier ? Ai-je réussi ma vie ? »
    Je n’avais pas du tout l’intention de faire ce métier, en particulier, je n’avais pas envie de rester enfermé entre quatre murs pendant 40 ans. Mais on ne m’a pas demandé mon avis, à cette époque la majorité était à 21 ans. Après, avec l’engagement décennal que l’on nous avait fait signer et qu’il aurait fallu rembourser, les charges de la famille, difficile de changer d’orientation, et ce n’était pas trop l’esprit de l’époque. J’ai bien tenté de changer de « ministère » où j’aurais eu d’autres centres d’intérêt, mais à ce moment (peut être encore) c’était une opération qui pouvait se montrer aussi délicate que l’ascension de l’Everest sans assistance technique.

    Jean Marie Les nouvelles du côté de Landiras qui n’est pas très loin de Créon nous inquiètent et me rappellent les très très mauvais souvenirs de 1949.

    1. Alain PAULY

      Moi j’ai réussi à « changer de ministère ». J’ai passer des concours de la Fonction publique.
      Je n’en suis pas plus fier, mais n’en ai pas honte non plus.
      C’est vrai, que fils d’instituteur moi aussi, j’avais beaucoup entendu  » Alain, il sera instituteur « . Si qui m’avai

      t donné une forte envie de faire autre chose…
      Ceci dit, j’ai toujours ressenti de la fraternité pour les gens qui font ce métier.
      Ironie de l’histoire, je suis tout de même chevalier des Palmes académiques…
      Alain Pauly

      1. J. J.

        Alain Pauly @
        Il n’y a pas de honte à vouloir pratiquer une activité qui convient plus qu’une autre, au contraire.
        « C’est vrai, que fils d’instituteur moi aussi, j’avais beaucoup entendu »Alain, il sera instituteur . »

        Je ne suis pas fils d’instituteur, ma famille était plutôt modestement « sabre et goupillon ». Comme j’ai apostasié très tôt le goupillon, il est devenu hors de question que j’embrasse une carrière ecclésiastique, et plus tard ayant abjuré le sabre, il restait en désespoir de cause, pour rester dans le « convenable » l’enseignement, hélas (pas pour moi) laïque …
        Tout ça a été bien éreintant !

      2. Laure Garralaga Lataste

        La plus belle des reconnaissances… « la violette » que je porte fièrement uniquement lors des cérémonies en hommage aux guérilleros, et comme je porte également « la roja, » posées sur un fond jaune, je porte « la bandera republicana » !

  4. Laure Garralaga Lataste

     » ¡ Republicana soy, Republicana moriré !  »
     » Républicaine suis, Républicaine mourrai… ! « 

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