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Ici et ailleurs (39) : le jour du maillot blanc

Durant quelques années les débuts des mois d’août avaient pour moi des allures de rentrée. J’ai même attendu avec une vraie impatience le jour où je pourrais accéder à des moments collectifs que j’appelais de toutes mes forces. J’en rêvais la nuit et je ressassais sans cesse la liste de tout ce qu’il serait nécessaire de rassembler pour être au rendez-vous. Pas question d’arriver fort démuni lors de ce moment que j’avais tant espéré.

D’abord il y avait eu des chaussures neuves que les heures de travail estival accompli selon toutes les opportunités possibles, me permettaient d’acquérir lors d’un déplacement spécifique au « Palais des Sports» bordelais. Le choix dépendait essentiellement des possibilités financières du moment. Celle à crampons moulés avec deux bandes blanches sur le coté n’avaient pas le même standing que celles qui possédaient les mêmes accessoires en aluminium pouvant se visser. tant pis. on verrait plus tard. Il y a presque soixante ans je rejoignais en effet l’équipe de football des juniors du Club Athlétique Créonnais. Jusqu’à ce niveau il n’y avait en effet aucun club dans le secteur possédant des formations dans les autres catégories d’âge.

Le poster de Nestor Combin avec son compère Fleury Di Nallo épinglé au-dessus de mon lit attisait ma convoitise d’exploits sur un terrain réel, contre une équipe réelle et avec des équipiers réels. Les joutes face à mon frère bien plus doué que moi, ne suffisaient plus à meubler cette attente de devenir un « vrai » joueur de foot. Dès que le vendeur ambulant de boissons gazeuses et autres, qui cumulait son métier avec le poste de secrétaire du club de football créonnais nous informa qu’une licence m’attendait au Café de la Paix, je ne tins plus en place.

Les photos chez Monge, la visite chez le docteur Jarry furent bouclées en un rien de temps. Le précieux viatique vers les joies du sport collectif obtenu il suffisait d’attendre la première convocation à… un entraînement. J’y serais allé tous les soirs s’il avait fallu. Or nous fûmes invités le premier dimanche matin d’août à nous rendre dans la cave coopérative dont le directeur allait assurer les fonctions de « coach » de cette nouvelle équipe. J’y retrouvais quelques copains du collège que je quittais pour l’école normale pour entrer dans la dimension collective qui me manquait tant. Monsieur Olivier nous délivra un discours motivé et motivant sur notre rôle dans un club qui ne vivait que grâce à des mercenaires alors en Division Honneur! 

Tout au long du mois d’août les retrouvailles dominicales me ravissaient. Pas question de manquer les entraînements qui avaient été confiés au professeur d’éducation physique de l’école de Santé navale de Bordeaux. Rien de pouvait me rebuter. L’intensité des séances me plaisaient et je mettais un point d’honneur à terminer dans les premiers comme si toute ma carrière en dépendait. J’avais une peur bleue de ne pas figurer dans la formation devant débuter en match amical sur le terrain cabossé de l’ancien stade local. Ce ne fut pas le cas mais ma déception fut grande quand on m’attribua en raison de ma vitesse de course le poste d’ailier gauche (déjà) ! Mes fantasmes de buteur étaient une tantinet ébréchés mais dans le fond l’essentiel était assuré : je jouerai !

Dans les vestiaires en planches disjointes je reçus donc avec délectation un maillot blanc, un flottant (le mot short n’existait pas dans le vocabulaire) et une paire de chaussettes bleu marine. L’équipement appartenait au club et nous devions l’entretenir ce qui ravit ma mère quand je lui rapportais une tunique frottée à un terrain manquant de pelouse. Jamais je pense je n’ai enfilé une tenue avec autant de plaisir. Je n’ai d’ailleurs aucun souvenir du résultat de la rencontre. Le sentiment que cette rentrée me parut plus belle que celle de l’école normale reste lui bien présent en moi quelques décennies plus tard. Et tout au long de l’année scolaire ma peur de ne pas pouvoir sortir pour aller jouer me tenaillait le samedi au moment de l’annonce des sanctions liées aux notes.

Jouer. L’essentiel a toujours été pour moi de jouer. Durant les douze saisons qui suivirent quel que soit le poste occupé et le niveau, ce plaisir ne m’a jamais quitté. « Vraiment le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. ». Ce constat d’Albert Camus reste ancré en moi et ne me quittera jamais. Il m’arrive encore souvent de marquer  des buts exceptionnels qui éclairent l’écran noir de mes nuits blanches. Combien je voudrais retrouver mes chaussures à crampons moulés, mon maillot blanc et mon flottant bleu en ce mois d’août ! 

Cet article a 4 commentaires

  1. christian grené

    J’en devine qui se footent bien de ce que tu racontes aujourd’hui, mais ça me touche! Et pas que du bord, le pire endroit pour qui aime le terrain. Gol…d!

  2. J.J.

    Je reprends « texto » mon post d’hier : Les garçons du voisinage, que pour d’obscures raisons je n’avais pas le droit de fréquenter …trouvaient toutes sortes de lieu pour jouer au foot , quitte à se fabriquer des erzats de ballon, objet rare à l’époque, et donc moi je n’ai jamais joué au foot…

  3. Gilles Jeanneau

    Pour compléter ton information, je vais te livrer une anecdote qui devrait aussi plaire à Christian:
    Je me suis mis au foot à Ste-Terre à l »initiative de Jacques Castay, mon copain d’école et de lycée (que Christian connaît bien) le fils de l’instituteur du village un dénommé Roger Castay, ancien rugbyman de XIII.
    Et Jacques qui était excellent dans toutes les disciplines sportives a même fait le concours de jeune footballeur la même année que Jean Michel Larquey…
    M. Moueix, le président de l’AS Libourne, qui évoluait à l’époque en division d’honneur, est même venu un dimanche matin à Ste-Terre rencontrer Roger Castay pour que son fils signe à Libourne…
    Que crois-tu qu’il arrivât?
    Jacques CASTAY a opté pour le rugby à 15 et a fait les beaux jours du club de Ste Foy la Grande!
    Etonnant non!

    1. christian grené

      Ce n’est pas sans émotion que je lis ton commentaire, Gilou, et me revient le souvenir de JC, doué dans tous les sports. Rien à voir avec son frère aîné que l’on surnommait « El buey ». Laure traduira pour ceux qui voudraient savoir ce que cela veut dire.
      Amitiés lycéennes.

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