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Ici et ailleurs (44) : sur la piste de la mort lente

Le vert s’estompe peu à peu de la voûte protectrice des cyclistes pressés ou non ou des promeneurs plus ou moins solitaires qui empruntent en fin de soirée le chemin rectiligne qui zèbre l’Entre-Deux-Mers bordelais. Inexorablement la mort progresse parmi les arbres et les plantes comme si une pandémie avait frappé et ne cessait de se propager. Le havre de verdure offert par les frondaisons séculaires s’amenuise à grande vitesse. La souffrance prend racine et monte jusqu’au bout des rameaux. Partout les « flammes » d’un été exceptionnel laissent les traces de leur passage. L’écrin de la piste Lapébie n’a plus rien d’éclatant. 

Les bouquets des fougères réputées protectrices de cette terre d’où sortent les cèpes, jaunissent plus rapidement que prévu. Leurs panaches dorés parsèment des sous-bois secs comme l’âme des pendus que les branches trapues des chênes pourraient accueillir. En première ligne, rien ne semble pouvoir résister à cette pression constante du roi soleil dont une partie des « sujets » haït les outrances actuelles après les avoir parfois réclamés pour ce qu’ils pensaient être leur bonheur. L’automne n’aura plus rien à colorer. La canicule lui dévore ses supports. 

Les arbrisseaux les plus fragiles tournent de la feuille en cette soirée réputée pourtant plus clémente que toutes celles qui l’ont précédé. Épuisés par leur vaine quête de l’eau, ils peinent à maintenir la ramure haute et semblent résignés à une fin prochaine. Les sureaux prématurément dénudés, les lauriers n’ayant plus du tout une vision rose de leur avenir, les acacias déjà rongés par un mal endémique affichent des corps définitivement squelettiques, les châtaigniers cherchent des forces pour que leurs bogues arrondissent leurs contours épineux  : la forêt de feuillus semble à bout de souffle. Elle peine. Elle survit. Elle épuise ses dernières forces dans un combat inégal.

D’ailleurs elle abandonne ses attributs comme pour éviter d’avoir à nourrir un « habillage » inutile. Les feuilles les plus modestes jonchent la piste. Comme autant de « pièces d’or » elles forment un tapis que fendent les roues des cyclistes peu soucieux du coté poétique de ce revêtement. Le moindre souffle de vent mauvais détache les parements du « ciel » encore vert en pluie d’étoiles éphémères. De jour en jour, l’effeuillage s’aggrave et il faut craindre un spectacle désolant dès la fin du mois d’août. Si cette envolée d’éclats liés à la bombe caniculaire dont on dit qu’elle n’aurait plus rien d’exceptionnel, donne des couleurs de fête au parcours dans l’ex-forêt royale créonnaise, les blessures infligées au paysage habituel semblent irrémédiables.

Même les amas de broussailles oubliés par les tontes méticuleuses car plus éloignées de l’axe de la piste, ne donnent plus signes de vie. Les mûres déjà confites ou racornies ont renoncé à tenter le voyageur gourmand. Si comme le veut le repère des viticulteurs d’antan, la récolte dans les vignes se calque sur celle possible des ronciers il faut craindre des quantités très faibles dans les cuves. Aucune fleur apparente à part des pieds de colchiques rabougries et surtout aucun de ces chants d’oiseaux qui enchantaient mes promenades matinales du printemps ne se manifeste. La piste qui n’a jamais été autant fréquentée, se recroqueville comme toute la nature qui l’entoure. Elle n’offre plus son bonheur naturel qui faisait son charme. Chaque mètre constitue l’illustration de lendemains qui déchanteront. Tous les espaces humides, tous les rus ont disparu comme ces oueds dans les déserts africains. 

Le soleil se faufile entre les arbres avant de se retirer là-bas au loin sur le Bassin pour offrir un flamboyant coucher aux photographes rêvant de clichés paradisiaques. Difficile de penser qu’il serait le seul responsable des déboires de ce tunnel naturel créé par le ruban étroit de bitume vieillissant parcourus par des adeptes du réchauffement des mollets. Seuls les « habitués » d’un voyage « ici » évitant d’aller ailleurs, peuvent percevoir la gravité de la mutation en cours. En quelques semaines la nature a basculé vers le pire. Elle n’a pas brûlé mais elle se consume nous empêchant de la consommer à notre convenance. 

Cet article a 9 commentaires

  1. J.J.

    Très belle et poétique évocation mélancolique de cette nature qui souffre.
    Bien des plantes, des animaux, des humains ne sen remettront pas. Si la canicule de 2003 fut terrible pour la population, il semble que cette vague de chaleur (caniculaire à certains endroits) ait été moins « létale » pour les populations mais plus grave pour l’environnement.
    Des vagues de chaleur, nous en avons déjà subies, en 47, par exemple (avec les nuées de criquets dont ta sauterelle bleue était peut être une survivante), 49 et les incendies, 76 compte également dans mes souvenirs. Mais celle ci est exceptionnelle par son intensité et sa durée. Nous avons c’est vrai subi déjà ce genre de cataclysme, mais ce qui est inquiétant c’est qu’il se renouvelle de plus en plus fréquemment.
    Et que dire de l’eau accaparée par certains et qui risque de manquer à la population ?

  2. Philippe Conchou

    Les arbres perdent leurs feuilles pour se protéger et économiser l’eau.
    Ils ne sont vraiment en danger que si le sol se deshydrate en profondeur.
    Les pluies acides et les insectes ravageurs sont bien plus dangereux pour eux.

  3. Lecomte

    En effet, très belle peinture écrite d’une triste réalité.
    Et quand verrons-nous les soi-disant responsables et dirigeants éclairés de ce monde prendre en main ce problème au lieu de chercher un peu partout à gagner un peu plus de richesse, de pouvoir, de territoire ou d’influence?
    Que doit-être aujourd’hui la définition de la richesse ou encore celle de la sagesse?
    A quand une conscience mondiale? Faudra-t-il une grève mondiale ordonnée sur la toile?

  4. christian grené

    « Oh! je voudrais tant que tu te souviennes/Des jours heureux où nous étions amis/En ce temps-là la vie était plus belle/Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui »
    Quelle drôle d’époque où les feuilles ne se ramassent plus à l’appel… de l’instit’?

    1. J.J.

      Comme le texte de Jean Marie, cette chanson, les Feuilles Mortes, se rappellent à mon souvenir, et sont à faire pleurer l’automne bien en avance.

  5. Philippe Labansat

    Il paraît qu’à Bregancon, le jardin est luxuriant…

    1. Naturelle

      @ Philippe Labansat,
      Je ne connais pas le fort de Brégançon. Pour moi l’histoire de ce fort n’a pas beaucoup d’importance face à la Nature.

  6. D .Cortot

    Le spectacle décrit par Jean Marie est tellement triste à pleurer ..nous avons chacun un chemin ..un circuit dans chaque village de ‘os campagnes qui nous appartient ..il nous reconnaît tranquille promeneur ,plus presse mais on emprunte toujours celui là . la nature ne peut rien faire contre cette fournaise qui l’enserre chaque jour un peu plus jusqu’à la mort . Le feu détruit ,la chaleur étouffe et nous restons sans mot dire devant ces catastrophes en se disant ..nous aurions dû faire plus attention ,plus respectueux ,plus attentifs .

    En apparte ,je suis remontée..Suivant les conseils je me sers de l’eau.. lavage salade .légumes . fruits. Un 3eme rinçage pour les plantes fragiles ou qui commencent à souffrir
    J’ai une fenêtre qui donne dans une grande propriété derrière ma maison ..entretenue par une tondeuse robot dernier .. modèle la nuit ..le jour ..presque silencieuse . Les coins ..elle recule .. bref Partant ce wkend ..je vais pour fermer les volets de cette chambre .je me suis précipité sur mon smartphone ..ce Monsieur soignant réputé pignon sur rue de Langon énorme tuyaux d’arrosage a la main arrosait ses arbres . » » »
    Sa pelouse grise  » » »mais robot continue sa course depuis Samedi …. Personne ne peut le voir ..le quartier lui appartient . Depuis 35 ans il a acheté 7 maisons bonnes et ruines …et un petit Dallas est né !Faut il s’appeler Monsieur X pour avoir le droit de se servir de cette eau comme habituellement ..en se moquant de l’interdit Préfecture ..Mairie . Bregancon  »a peut être un jardin luxuriant mais il n’est pas le seul et ça fait rager que l’interdit n’existe que pour une catégorie de personnes .Celles irrespectueuses des autres s’en contre fouttent

    Après ma sieste ,j’irai visiter mes Bords de Garonne pour voir comment ils se comportent depuis une semaine….

    .

  7. J.J.

    Ayant dans mon enfance effectué la corvée d’eau plus qu’à mon tour, éconsomiser l’eau est un réflexe, une seconde nature.

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