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Le temps des vendanges du partage oubliées

Les vendanges vont battre leur plein dans les prochains jours en Bordelais. L’ouverture de la cave coopérative créonnaise bien que réduite à la portion congrue en matière de surfaces à récolter par ses adhérents va emplir l’air de la commune de cette odeur spécifique de la râpe sortie des pressoirs. Cette période reste l’une des plus belles de l’année pour celles et ceux qui ont eu la chance de vivre près de la terre. J’en suis. Mes deux grands-pères puis mon père possédaient en effet des vignes et durant toute mon enfance et ma jeunesse j’ai participé avec plus ou moins d’efficacité à cette récolte qu’ils attendaient depuis des mois.

Passés par l’espoir, les craintes ou même l’angoisse les soirs d’orage ou les matins d’hiver tardifs ils regardaient avec une satisfaction jubilatoire arriver la troupe familiale ou amicale des vendangeurs du week-end pour l’un ou de toute une semaine pour l’autre. Ces matins frais où un soleil devenu timide montait au dessus des vignes devenaient tout à coup magiques puisque le fruit d’un long travail allait se transformer en une production qui serait bien entendu, selon eux, la meilleure du monde.

Depuis la veille, après une ultime visite dans les rangs des divers cépages, avaient été préparés les « bastaux » en bois plus lourds que leur contenu pour peu que la terre meuble se soit collée sur leur fond. Une attention particulière était réservée aux enfants qui bénéficiaient d’un panier de taille réduite leur permettant symboliquement de participer à ces journées essentielles pour la vie de la famille. Il y avait aussi pliés dans des chiffons gras les paires de ciseaux spécifiques à prêter aux officiants quand ceux-ci n’avaient pas la leur. Aiguisés, le ressort parfaitement réglé et huilé, verrouillés pour les plus modernes d’entre eux ou baillant sur des tiges à couper, ils étaient les outils clés de ces retrouvailles avec des gestes ancestraux.

Les « bastes » propres, humidifiées durant plusieurs jours pour éviter les fuites, soigneusement empilées, attendaient que les porteurs de hottes viennent déverser les cueillettes de la troupe. Le cheval de trait lui-même adorait cette ambiance collective solidaire. Il avait à tirer sur la charrette plate tout cet équipement ressorti une fois l’an avec une plaisir particulier avec une troupe heureuse. Les jours de vendanges en famille ou entre amis, joyeux, conviviaux mais épuisants appartenaient aux plus attendus de l’année.

Les duos se constituaient sur la base de défis à tenir : arriver le premier au bout des rangs, appeler le plus souvent le collecteur en lançant un « panier! » sonore et fier pour épater les autres, récupérer la plus volumineuse des grappes… Ces heures passées dans les « vignes du seigneur » étaient aussi l’opportunité de favoriser une solidarité intergénérationnelle tellement précieuse permettant aux plus habiles ou au plus costauds d’aller soutenir les traînards ! Il était vraiment possible de trouver sa place dans ces équipes improvisées.

Coupeur était le statut de base. Il pouvait se muer avec l’âge et la volonté de démontrer que l’on était devenu un homme, en porteur de la hotte. Dans les deux cas on terminait la journée ou la semaine avec un dos meurtri puisque les vignes « hautes » n’existaient pas. Le statut de vendangeur rendait modeste car les engueulades sur les grappes oubliées, les feuilles laissées dans les paniers, les graines non ramassées au pied de la vigne fleurissaient lors du passage du maître des lieux !

On pouvait aussi avec un pilon taillait dans du bois massif fouler les raisins dans les bastes alors qu’il était encore plus amusant d’accéder au statut de fouleurs pieds nus dans les « douils », récipient de plus grande capacité destinés à la coopérative et qu’il fallait, une fois pleins, décharger à l’aide d’un palan à usage collectif.

La suprême récompense d’un travail bien fait résidait dans le droit de partir avec la charrette chargée vers le chai. La jubilation venait avec les billets donnés en fin de journée pour récompenser des efforts accomplis ou pour payer un travail effectif. Une immense sensation de liberté m’envahissait avec ces gains que je jugeais mérités !

Là encore, au chai, les opportunités d’être acteur de la récolte étaient réelles. Avec une barre de bois passée dans les anses des bastes deux hommes déchargeaient la récolte dans un fouloir à grande roue qu’il était possible aux enfants de tourner pour effectuer des concours de vitesse de broyage de la vendange déposée dans le réceptacle. Transférée toujours manuellement vers le pressoir elle était emprisonnée dans une cage ronde laissant couler ce jus de raisin qui partait vers les cuves de fermentation grâce à une pompe à bras, source également de participation des enfants motivés. Le pressoir en béton surmonté d’une vis sans fin était un lieu passionnant.

Mon père disposait dans la cage des blocs de bois (1) de manière minutieuse au-dessus d’une plaque circulaire. Taillés dans du chêne et installés de manière décroissante de taille ces boisseaux entouraient la vis pour permettre une répartition équilibrée de la pression. Un système permettait en effet à l’aide d’une barre de fer déplacée de droite à gauche à deux, de faire baisser la tête du pressoir dans un bruit de cliquets anti-retour. Et les odeurs de moût envahissaient le chai !

Il faudrait se lever dans la nuit pour les maîtres des lieux pour finir avec une barre plus réduite par assécher totalement la récolte qui n’était pas jetée. On la stockait pour ensuite l’arroser d’eau et faire cette « piquette » rosée, tendre et peu alcoolisée qui servait à la consommation familiale pour pouvoir vendre la quasi-totalité de la production.

Ce temps des vendanges avec ses repas, sa gerbaude, ses commentaires, ses plaisanteries, ses déceptions, ses reins douloureux, ses mains meurtries, ses instants de satisfaction ou de déception lors de l’évaluation du degré d’alcool avec une éprouvette et une sorte de « thermomètre » joufflu sorti pour l’occasion de son étui en carton ou ses dégustation de vin nouveau avec les premières châtaignes… On y revient parait-il. je veux bien le croire…mais pas avec le même enthousiasme. 

(1) J’ai conservé un jeu complet de ces bois taillés

La photo du bandeau de ce texte : l’équipe des vendangeurs de mon père ( à gauche sur la photo). 

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    « Les « bastes » propres, humidifiées durant plusieurs jours pour éviter les fuites… »
    « Chez nous », ça porte un nom cette opération, faire gonfler le bois d’une barrique ou d’une barque pour les rendre étanches, ça s’appelle « faire combuger », comme la lessive s’appelait la bugée, qui fait de la buée dans la buanderie…

  2. Laure Garralaga Lataste

    Le grand avec un chapeau blanc… ?
    Tu as un air de famille; mais toi, tu portes des lunettes… !

  3. Yvon Bugaret

    Bravo Jean-Marie, tu nous fais revivre les vendanges que j’ai pratiqué entre 1953 et 1955 dans les vignes de mes grands-parents à La Sauve (devenu Vignoble Latorse). Il y avait une belle ambiance entre toutes les générations qui coupaient les raisins et les soirées passées au chai étaient souvent joyeuses.

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