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Les courses après l’espoir de gagner

Des cohortes de spectateurs affluent vers les tribunes de l’hippodrome de Craon dans le sud de la Mayenne. Elles déferlent en ce début d’après-midi ensoleillé comme attirées par un événement hors du commun, une sorte de rendez-vous mystique Les fameuses « trois glorieuses », ces journées de ce long week-end entièrement consacré aux couses hippiques avaient d’habitude leur point culminant le dimanche. On s’y rendait à la grand-messe du trot ou du galop pour retrouver les racines d’un territoire fusionnel avec le cheval. La tradition a la vie dure et elle perdurera quand on voit la forte proportion de familles avec enfants ou de jeunes qui se pressent sur de superbes installations. Le lieu devient en une heure une immense « lessiveuse sociale » gommant en apparence toutes les classes. On vient se montrer ou simplement montrer que l’on existe, mais on vient !

L’après-midi autour des pistes constitue un événement que des dizaines de milliers de personnes ne connaissant pas grand chose à la race chevaline, ne manquerait sous aucun prétexte. Il faut être au rendez-vous sans fastes et sans tenues ostentatoires sur le lieu dédié au cheval de course plus fonctionnel et accueillant du genre en province. Deux gigantesques tribunes surélevées que ne renierait pas des stades de sports collectifs bruissent vite des exclamations enthousiastes ou dépitées des parieurs avides de sensations fortes. Une ambiance particulière monte vite des tribunes ou le long de la lice avec des encouragements sonores à destination de chevaux porteurs de tous les espoirs. Ils résonnent sur le vaste espace d’un vert « nargueur » de la sécheresse régnant ailleurs.

« Il y a certes du monde confie Martine, l’une des vacataires de la société chargée par le PMU de collecter les paris mais incontestablement les gens jouent beaucoup moins que les années antérieures. Nous avons trop de caisses et nous n’avons pas le volume de parieurs des années avant la Covid. La crise est vraiment là.». Un constat que Bernard, éminent spécialiste des affaires équines explique par le fait « que le programme des trois jours a été remanié mais mal remanié. Ils ont sacrifié le trot attelé pour préserver d’autres réunions en France et donc les spécialistes de cette discipline ne sont pas venus pour le week-end. Peu à peu les hippodromes sont tributaires de la chaîne de retransmission en direct des courses et donc peu importe l’attractivité des hippodromes. »

Pour celui qui a parcouru la France pour juger les allures des trotteurs, « qu’il y ait des spectateurs ou pas, la préoccupation essentielle reste pour le PMU la course à n’importe quelle heure et les paris en ligne. Ils enchaînent les retransmissions durant des heures selon un programme minuté mais se moquent pas mal de savoir s’il y a du public ou pas. Craon, pourtant l’une des plus belles réunions de province a été ajustée dans cette optique là ! » La télé avant tout le reste. Une réalité que le monde du football ou du rugby vit régulièrement avec des rencontres décalées à des heures impossibles pour satisfaire les exigences de retransmissions.

N’empêche que plus d’une vingtaine de guichets sont ouverts, que les automates sont partout et que les incitations du PMU ne manquent pas. «  Je n’ai jamais vu quelqu’un faire fortune avec les paris commente Christian. Sauf à s’arrêter dès que l’on a un gain substantiel on est toujours finalement perdant. Il n’y a pas de joueurs qui vivent des courses. Je connais, Albert briscard du PMU beaucoup de gens en addiction avec le jeu et qui poursuivent donc la chimère d’une fortune qui ne viendra jamais. Si ce n’est pas un passe-temps, une manière de tenter de lutter contre le hasard en s’évertuant à dénicher la perle rare, les paris sont des pièges à fric. »

A Craon en se glissant dans l’une des maigres files se plaçant devant les guichets ou les machines, on perçoit cette soif de rationalité qui anime les prétendants aux bons coups. A voix aussi basse que possible ils annoncent à la guichetière impassible ce qu’ils pensent être la solution miracle. S’ils perdent, ils ne disent rien. Les vrais turfistes cachent leurs succès pour ne pas susciter des convoitises et se plaignent tous de leurs échecs. Si la France compte autant de sélectionneurs des Bleus que d’habitants, le monde des courses hippiques possède un nombre conséquent de techniciens des courses hippiques aux analyses infaillibles.

Lorsque vient en fin de journée la clou du spectacle réside à craon dans le grand steeple-chase se disputant sur 6 kilomètres de descentes, de montées, de sauts redoublés d’obstacles et de folles cavalcades sur des chemins poussiéreux, les tribunes grondent de plaisir. On se croirait dans une arène où se dérouleraient les jeux du cirque; L’épreuve terriblement exigeante appartient à l’histoire des courses en France.  Là-bas au loin sur le flanc des collines un peloton s’étire en minuscules silhouettes. Des centaures décrivent des arabesques à bride abattue dans la campagne, traversant même une route départementale neutralisée durant l’épreuve.  Les tribunes et le parterre rugissent de plaisir, applaudissant à tout rompre un lointain passage d’une haie ou d’un obstacle inventé pour tenter de précipiter la chute du cheval de son cavalier. L’arrivée tonitruante plonge dans l’extase une foule ravie de constater qu’un enfant du pays ou presque, a  devancé les « étrangers ».

Les fourmis « parieuses » quittent lentement les lieux, des images plein la tête et surtout avec ce qui manque le plus dans leur monde : l’espoir d’être à leur manière des vainqueurs grâce à ces chevaux fiers qui ne savent pas pourquoi ils se courent après… Les propriétaires du vainqueur totalement indifférent mais heureux de la douche qu’on lui offre, exultent et remercient la terre entière des exploits de leur cheval. Ils paradent avec jockey et entraîneur sur le podium. Là encore tout le monde ne peut pas gagner ! 

Cet article a 2 commentaires

  1. facon jf

    Bonjour,
    il y a environ 60 ans je parcourais les abords des tribunes avec mes paquets de programmes pour la rencontre hippique du jour. C’était mon grand-père maternel qui tenait le bureau de tabac, décentralisé sur hippodrome pour l’occasion, en détenteur du monopole de la vente des programmes ils nous engageait avec mes camarades pour arpenter le terrain. Des journées entières à se mêler à la foule bigarrée des grands jours de ces rencontres hippiques qui occupaient tous les week-end de l’automne je citerais de mémoire, si elle m’est fidèle, Pouancé, Sennones, Chateaubriant, et bien évidemment les 3 jours de Craon. Je revois mon cher Grand-père nous confier les précieuses piles de programmes avec toutes les recommandations pour ne pas se faire arnaquer  » au rendez-moi ». La délinquance n’était pas encore un mot inventé, mais les bases du commerce étaient soigneusement inculquées en recourant au stratagème du  » je te paye d’avance ta journée de travail et je te facture sur le champ tes X programmes à vendre ». Ainsi en bon commerçant il était garanti de vendre sans risques ses programmes. Belle leçon de commerce in-situ, J’ai ainsi compris comment le fournisseur se garanti des impayés quel-qu’en soit la cause ( vols, escroqueries, destruction par la pluie ou la maladresse…).
    Que de beaux souvenirs vous faites réémerger de ma mémoire, je revois mes grands parents affairés sous le barnum loué pour l’occasion, j’entends la foule hurlant à l’arrivée, je respire encore les odeurs des galettes Bretonnes enveloppant les saucisses grillées sur la braise, je ressens la pression des parieurs devant les caisses avant et après la course.
    Merci à vous pour ce bain de jouvence qui va occuper ma mémoire pour toute cette journée.
    Bonne journée

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à façon j.f
      Merci à Johnny…
      Souvenirs, souvenirs…
      Je vous retrouve en mon cœur
      Et vous faites refleurir
      Tous mes rêves de bonheur…

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