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Le culte secret du cèpe roi de l’automne

Un ou deux solides orages avec quelques trombes d’eau localisées, une lune qui prend son premier quartier et naissent les prédictions des comptoirs de bistrot. On ne cause ni football, ni quinté mais arrivée des cèpes ! Les néophytes ont bien du mal à comprendre le jeu de rôles des prévisionnistes. C’est pourtant à l’automne un élément essentiel dans les discussions entre  « demeurés » ne connaissant pas les congés et condamnés à rester au pays. Pour eux l’apparition d’un « bolet » (ils n’emploieront jamais ce mot) déclenche immédiatement une quête similaire à celle du Graal par les chevaliers de la table ronde.

Ils ne savent pas que depuis longtemps, les « connaisseurs » ont depuis belle lurette exercé leur talent de « mycologue-récolteur » et qu’ils ne travaillent pas tous à l’intuition ! Ils sont souvent licenciés es-cèpes de la faculté de mycologie pratique ! Ils sont énigmatiques et s’expriment avec des mots simples : « rien! »… » demain ? »… « ça commence! un peu»… mais jamais un « vas-y !  » franc et massif !  A la moindre alerte, à la moindre apparition d’un signe extérieur de pousse, au moindre alignement des planètes ils sont sur le sentier de la traque. Cette partie de vraie campagne constitue un plaisir exceptionnel : garnir un élégant panier ou un sac de supermarché d’une récolte dont il ne se vantera pas mais dont il savourera la réalité secrète. 

Tout l’habileté du chercheur émérite réside souvent dans sa capacité à anticiper la venue en ce monde des « têtes » blondes ou brunes qui feront sa légende. Être le premier a pouvoir opiner du chef à une simple question : «  alors il y en a ? » vous donne rapidement une notoriété aussi importante que celle dont a joui l’enchanteur Merlin. N’espérez pas cependant obtenir davantage ! Le véritable chevalier du cèpe disparaît des journées entières et ne réapparaît que quand le filon s’épuise. Il ne s’exprime dans le fond que quand il n’a rien trouvé ! Le reste du temps il se mure dans un silence prudent.

Les seuls indics fiables appartiennent en effet au monde restreint des « météorologues-astronomes-géologues- mycologues » sachant parfaitement accumuler les indices « scientifiques » favorables à l’exercice de leur passion. Les explications assez elliptiques de ces explorateurs de replats tiennent en effet du pronostic avec des codes que seuls les habitués sont en mesure de comprendre. En effet celui ou celle qui cause le plus n’appartiennent pas nécessairement à la catégorie des plus fiables…

Les habitués de cette période faite d’incertitudes savent qu’il existe majoritairement la catégorie des « hommes qui ont vu les hommes ayant vu des hommes ayant réalisé des cueillettes légendaires ». On leur doit souvent les fausses rumeurs ou les approximations territoriales qui désespèrent les non-connaisseurs des principes girondins voulant que dans le domaine du cèpe tout soit secret.

En fait cette cueillette automnale se résume en une course de vitesse dans laquelle ce n’est pas en sprintant de manière désordonnée que l’on gagne ! Un repérage avant la période détectée comme propice, ne constitue pas par exemple du temps perdu. Loin s’en faut! c’est un recueil d’indices.  Il faut une étude intuitive de l’hygrométrie car elle va déterminer les sous-bois dans lesquels il y a une chance de trouver les nouveaux-nés. Il faut une parfaite connaissance du cycle lunaire. Il faut une analyse fine du terrain. Le chercheur inexpérimenté arpentera le terrain pour rien. Le fin limier ira lui à l’essentiel le jour J ! 

Avec un brin d’expérience, il est en effet aisé de savoir que l’humidité du sol et son exposition à la chaleur solaire permettent de connaître les probabilités de sorties imminentes. Ainsi un tapis de lierre sur le sol ou une mousse épaisse sont nettement préférables en période sèche à des hautes fougères et des clairières lumineuses. Il en ira différemment si les pluies estivales ont été prolifiques. Soigneusement mémorisés les fameux replats constituent le patrimoine du.de la cueilleur.se solitaire. il sait donc aller au moment opportun. Il est impératif, dès l’aube, d’effectuer « sa » tournée ne laissant rien au hasard.

A chaque période de l’année les probabilités sont en effet différentes et il serait vraiment ballot de se faire doubler par un rival bien informé ou un bienheureux.se bénéficiaire d’une chance ridiculisant toute la science de la cueillette. L’expérience permet vite au maître collecteur de détecter la venue d’un intrus (piétinement, mauvais champignons renversés, végétation cassée, sous-sol gratté) sur une zone « protégée ». La cueillette attendue s’effectuera d’abord prestement avec un canif parfaitement aiguisé afin de ne pas détruire par arrachage le cordon ombilical du précieux mycélium. La préoccupation essentiel reste ensuite de ne pas laisser de traces de ce passage productif. Le sentiment de réussite toute intérieure envahit l’esprit. 

Telle une ombre chinoise sur l’écran lumineux du soleil levant filtrant entre les arbres le.la collecteur de l’un des bienfaits de la nature se glisse d’un lieu à l’autre scrutant au passage des « niches » potentielles similaires à celle qu’il vient de quitter. Quand l’essentiel est accompli il se replie sur le rôle plus aléatoire d’explorateur sur la base des éléments positifs recueillis ailleurs. Les sacs s’emplissent avec une frénésie non dissimulée. Chaque trouvaille est un élément capital du tableau de cueillette.

Qu’y-a-t-il de plus jubilatoire d’aller de cèpe en cèpe sur un espace réduit ? Qu’y-a-t-il de plus beau que de débusquer ces bolets à la tête noire sur une queue joufflue tentant de se dissimuler sous l’épaisseur des feuilles déjà mortes ? Comment ne pas se sentir privilégié quand on sort sous le regard ébahi de ses proches des dizaines de ces nobles trouvailles ne méritant pas le nom trop vulgaire de champignons ? Qu’y-a-t-il de plus valorisant que de se retrouver en position de vedette quand les « gazetiers de comptoirs» locaux vous interrogent sur votre réussite ? Seuls les authentiques amoureux de la vie peuvent comprendre.

Depuis que je marche seul j’ai cet amour du cèpe au fond du cœur. Je resterai longtemps à les couver du regard, à les sentir, à apprécier la diversité de leur forme ou la qualité de leur chair. Comme beaucoup je préfère les ramasser que les déguster… mais dans le fond avec la sagesse de l’âge je vais m’habituer à les recevoir pour les manger !

Cet article a 12 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Merci Jean-Marie
    J’en ai l’eau à la bouche avec une bonne poêlée de cèpes avec persillade, mais encore en omelette …
    Amicalement
    Gilbert de Pertuis

  2. J.J.

    Il ya un type d’individu que tu n’as pas recensé, pour ne pas ajouter une note cruelle à ce texte « bucolique », c’est le vandale mycophage, l’équivalant du viandard pour les chaseurs.

    J’avais pris l’habitude, à la saison, « d’aller aux champignons  » avec la cantinière et le voisin épicier, le matin avant de commencr nos tâches respectives.
    Au cours d’une de ces expéditions, nous avions remarqué un beau tapis de lierre, coin propice à la croissance de jolies petites « têtes de nègres  » (je crois que le terme, qui ne recèle en fait aucune forme de discrimination raciale, n’est plus politiquement correct, mais comment dire ?).
    Nous avions décidé, à la prochaine sortie du lundi de venir récolter ce que nous pensions être une juste récompense de nos recherches.
    Hélas, quand nous sommes arrivés, nous avons constaté que les Huns (des gens de la ville probablement, coutumiers du fait) étaient passés avant nous, et qui pis est, avaient complétement labouré et ratissé le précieux sol, anéantissant tout espoir de future récolte.
    Et il y en a qui s’étonnent, revenant de piller le bien d’autrui (les bois sont le plus souvent propriété privée) de trouver leurs pneus crevés.
    Je ne vais plus depuis longtemps « aux champignons », surtout depis ma rencontre avec « un » vipère rouge quasi gros comme mon bras.

    1. Yves CASTANDET

      TËTE DE NEGRE + BOLETUS AERUS . 😉

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
      Moi qui suis anti raciste, je dis « têtes noires », même quand je parle de celles que je trouve sous mes 4 chênes centenaires ! Il me faudra encore attendre un peu… avant de faire une petite omelette pour deux, et je garderai ce qui reste… pour les déguster entre amis/es avec une belle entrecôte.

  3. Philippe LABANSAT

    Avec un humour très noir, un citoyen Grolandais (Canal + avec Jules-Édouard Loustic, et son équipe Kervern, Delépine) déclare :
     » Pendant la guerre au village, on a dénoncé tous les juifs, mais on jamais donné les bons coins à champignons « …

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Philippe
      … « mais on a jamais donné les bons coins à champignons »…
      Cette chute (sans correction) est excellente !
      Ah! Ah! Ah!

  4. Philippe Labansat

    Jules-Édouard Moustic, M. le téléphone, merci de ne pas corriger pour mettre des bêtises…

  5. Laure Garralaga Lataste

    On annonce de la pluie à venir… Bienfaitrice pour dame Nature, et Royale pour mes prochaines récoltes ! Ne comptez pas sur moi pour vous communiquer mon adresse… ! Et pour ceux qui la connaissent, attention à Médor… il a des crocs puissants !

  6. Philippe Labansat

    Très bon le cèpe de Bordeaux, bien sûr, mais tout autant, le bolet bai (sans le pied et les tubes), excellente aussi, la girolle, le rosé des prés, le pied-de-mouton, le lactaire délicieux ou catalan, le coprin chevelu ; pas mauvais, le bidaou, la coulemelle etc…
    Très fiers de leur cèpe, en fait, la plupart des Girondins ne connaissent rien aux champignons…

  7. Philippe Labansat

    Correctif important : le bidaou est désormais classé dans les toxiques.
    Risque en cas de consommation en grande quantité, mais pas que…

  8. Philippe Conchou

    Le bolet bai noircit à la cuisson et à peu de goût, la girolle et le pied de mouton sont surtout bons en sauce, le catalan croque , le coprin sent souvent le caca, la coulemelle n’a aucun goût, et le bidaou est toxique, alors vive le tête de nègre le seul qui ait un goût exceptionnel.
    Parole de girondins.

  9. Philippe Labansat

    Comme je le disais, les girondins connaissent le cèpe, ils croient connaître les champignons.
    Mais pour le bolet bai, mais il faut savoir le cuisiner.
    Un jour nous avons fait une expérience : ma maman a fait deux poêlées : une de cèpes, une de bolets bais. Personne de la tablée n’a été capable de faire la différence.
    Mais, comme je disais, pas les pieds et pas les tubes pour les bolets bais (ils bleuissent mais ça disparaît à la cuisson).
    Ensuite il fait les laisser dégorger un peu plus que les cèpes parcf qu’ils contiennent plus d’eau.
    Maintenant régalez-vous et vous pouvez bluffer vos convives.

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