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Ici et ailleurs (58) : l’accoucheur des Hommes de la terre

Tous les personnages se hissent hors de la terre après des efforts que traduisent leur attitude et leur visage. Ils s’élancent vers une liberté que leur refuse leur lieu de naissance. Ces personnages affûtés, discrets, langoureux ou torturés, figés pour toujours par la main soigneuse d’Alain leur « père », ne peuvent laisser indifférent. Ils se taisent, murmurent, causent, embrassent ou interpellent celle ou celui qui se penche sur ce que l’on pense être leur triste sort. Leur bonheur repose comme pour beaucoup des Hommes, dans leur simple existence.

«  J’ai toujours été fasciné par l’originalité des formes et de l’aspect des ceps de vigne. Tous sortent du sol nourricier mais se forgent leur propre identité. Après avoir appris à travailler la terre et sa cuisson dans l’atelier de Saint Loubés, j’ai tenté de reproduire la texture de ces végétaux. Lentement mon projet s’est affiné pour muter en modelages d’humains » explique celui qui passe de longues heures à transformer un bloc brut de matière originelle en œuvres toujours en équilibre instable entre le réel et l’imaginaire.

Alain explique qu’il n’a pas forcément d’idée établie au moment où il se lance dans la création d’un monde dont on attend qu’il s’anime et se mette à vivre. L’homme aux mains agiles convient que parfois il « détruit » ce qu’il obtient dans la première phase car ça ne lui convient pas. « Lentement va surgir une scène, une personne, une attitude que je n’avais pas prévu. «  D’une certaine manière je chemine en terre inconnue avoue-t-il dans son propos écrit de présentation de son expo (1), les formes surgissant parfois de manière inattendues, comme si la matière avait sont mot à dire dans cette confrontation créatrice. » La finesse du résultat démontre néanmoins qu’une certaine dextérité contribue à la réussite de ce bel ouvrage.

Toutes les sculptures attestent des arrière-pensées de l’artiste : une alerte et une illustration sur l’évolution de notre monde. « L’homme est semblable à ces ceps ou à ces arbres : en sursis ! » Ce constat se traduit dans l’aspect torturé du placenta de terre soigneusement strié et décoré produisant des lambeaux d’une peau sauvage. La sensation que le mal ronge cette société artificielle à l’image de celui qui détruit peu à peu la planète. La peau ridée teintée avec des mélanges préparés à l’ancienne atteste des agressions qui pèsent dès la naissance sur les humains actuels.

Alain se veut optimiste car alors « qu’ on les croit moribonds, au printemps, leurs bourgeons éclatent, enfiévrés de sève ». On a parfois du mal à imaginer que les visages présentés puissent un jour entrer dans une saison de l’espoir. Décharnés ou écorchés vifs ces corps semblent avoir sué sang sève et eau comme les vignobles des cotes rocheuses où les ceps torturés recherchent les moindres nutriments pour survivre et donner le vin de la messe de la vie. 

Alain montre aux sceptiques qu’une femme au visage incliné vers cette terre qui a servi à la créer, affiche un léger sourire dissimulé par sa position. C’est son gage d’optimisme, lui qui ne l’est pas naturellement. Une autre dissimulée dans un tronc creux que n’aurait pas renié Alice dans son pays aux merveilles,  observe avec un regard lumineux par cette fenêtre sur l’extérieur on ne sait quel avenir qui lui paraît incertain. Se met elle à l’abri ? A-t-elle peur du lendemain ? Cherche-t-elle à espionner ? Probablement un peu de tout cela à la fois. Le personnage le plus énigmatique a nécessité un talent exceptionnel car on sait que les collages de terre surtout car elle est aussi travaillée que celle-ci sont extrêmement délicats. C’est la réalisation la plus sophistiquée et la plus affirmée.

Passionné et donc passionnant quand il évoque son nouveau parcours artistique, Alain n’a pas de certitudes sur ses réalisations. Il doute.  Pourtant elles lui plaisent. Il les regarde avec la tendresse des géniteurs se penchant sur un berceau. Il a passé bien des heures à guetter leur évolution, leur croissance faite d’os et de rouille et à traduite leurs peurs. Habile, sensible et discret l’ancien journaliste a ouvert une voie nouvelle dans sa vie, celle qui lui permet de devenir « sage-homme », accoucheur de la réalité de la terre des Hommes.

(1) L’exposition « nature…humaine » au théâtre Liburnia à Libourne du lundi au vendredi de 10h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h jusqu’au 6 octobre et aujourd’hui le samedi 17 septembre de 11h 30 à 19 h

Cet article a 3 commentaires

  1. christian grené

    Cher Jean-Marie, j’approuve d’autant plus ton analyse de la création d’Alain que j’ai eu la chance de le voir débuter sur les traces de Giacometti, même si l’artiste a quelque chose en lui d’un Rodin des bois. Je n’ai cessé de l’encourager à poursuivre dans cette voie. Je crois même que j’ai envié son talent. En tout cas, l’ancien journaliste de Sud-Ouest aura réussi une reconversion qui devrait servir d’exemple aux retraité(e) qui, comme moi, ont choisi de se complaire dans « L’Eloge de la paresse ».

  2. Laure Garralaga Lataste

    @ à mon ami Christian
    Tout.te retraité.e qui se respecte ne choisit-il.elle pas de faire « l’éloge de la paresse » en voyageant dans l’espace ou le temps… !

  3. Pierre LASCOURREGES

    Après tout ça, on pourra se dire, « touchons du bois! » Pourvu que ça dure.

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