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La source rafraichissante aux souvenirs se tarit

La pandémie a bloqué la sortie du roman « Les 9 vies d’Ezio » ce qui fait que il est encore d’actualité longtemps après sa sortie. Ce « raté » m’a dans le fond permis d’étaler sa présentation sur une plus longue durée. L’idée de multiplier les rencontres autour de l’immigration italienne en général et de celle des cimentiers du petit village piémontais de Postua aura constitué une excellent manière de rappeler le vrai parcours des Ritals ou des Macaronis. Un bonheur permanent que d’aller à la rencontre des lectrices ou de lecteurs potentiels mais aussi de descendants de ces transalpins ayant fortement contribué au redressement d’une France affaiblie par la Grande Guerre !

Pas un seul de la trentaine de rendez-vous déjà effectués, ne m’a pas procuré cette joie particulière de trouver des témoignages, des anecdotes, des petites ou des grandes histoires autour de cette période où parents, grands-parents ont retrouvé l’espoir ailleurs que dans leur pays. Chaque fois la confirmation que l’immigration n’a jamais été effectuée le cœur léger contrairement à tous les poncifs colportés autour d’un phénomène servant d’exutoire politicien en période électorale. Le départ baluchon en mains avec ou sans enfant, pour une destination inconnue n’a jamais été une décision facile. Est-ce vraiment différent actuellement ? Il n’ya que ceux qui ne s’intéressent qu’à eux-mêmes pour prétendre que l’immigration n’est pas un déracinement.

Lors d’une discussion après la présentation, une psychologue spécialisée dans l’accompagnement des mutations culturelles m’a rappelé que les traumatismes vécus par une génération ne sont pas transmis à la suivante. « On ne raconte pas spontanément par le détail les difficultés que l’on a racontées. Souvent on considère qu’il faut l’oublier et ne pas l’évoquer devant ses enfants. Inutile d’en parler. Une étude l’a démontré avec la shoah. La génération qui tente de reconstituer les parcours et qui recherche ses racines est le plus souvent la troisième des petits-enfants. » J’ai pu le constater. Les détails sont parfois oubliés et ne ressurgissent que lorsque l’on pose des questions ou à partir des témoignages des autres. Les primo arrivants ne racontent pas grand chose mais les petits-enfants finissent pas les faire parler.

Une parole, un détail génère des bribes de souvenirs. Rien de bien flamboyant ou de très poétique mais de dures réalités sur l’accueil reçu. Parmi les faits le plus souvent signalés, le passage à l’école demeure le plus traumatisant. Être contraint(e) à s’exprimer en français alors que vos parents ne connaissent que le dialecte et ne parle souvent même pas l’Italien a constitué pour beaucoup une véritable torture. Tous sont unanimes : il leur a été très difficile de s’intégrer par l’école sur un laps de temps beaucoup plus court que  celui de maintenant.

«Un jour mes parents ont décidé de ne plus s’exprimer devant nous dans leur langue locale  après la visite courroucée de l’instit’. Ce fut dur, très dur. C’est nous qui leur donnions les mots autour de la table quand nous les connaissions et ils se parlaient à voix basse. » m’a expliqué Laura septuagénaire native de la région de Venise. « Dans le fond c’est ma mère qui a fait le plus d’efforts pour que nous arrivions à suivre tant bien que mal les leçons. Elle ne savait pas très bien lire ce qui ne facilitait pas les choses. Du coup j’ai perdu tous les repères avec le dialecte et encore plus avec l’italien. » Elle avoue qu’il y a quelques années, elle a eu une envie irrésistible de l’apprendre pour renouer avec ses sensations d’enfance. « Maintenant je m’exprime couramment et je fais même du théâtre. Je suis heureuse pour mes parents. » annonce-t-elle avec une certaine fierté.

Certains d’entre eux ont aussi totalement rompu avec le pays d’origine de leurs aïeux quand d’autres maintiennent avec enthousiasme un lien régulier.  « Je ne sais pas me dit Pierre quelle en est la raison mais mes parents ne sont jamais retournés en Italie. Des histoires de famille je pense. Mais je ne le sais pas ! Alors moi je n’y suis jamais allé. » Ce pèlerinage aux sources est pourtant assez fréquent mais il se perd au fil des générations. « Pour moi c’est compliqué explique Jérôme car mon épouse est d’origine espagnole. Chez qui devons nous aller ? » Là encore celle ou celui qui a la chance d’avoir encore la connaissance de la langue maternelle bénéficie d’une facilité supplémentaire. Autrement on devient un étranger dans son pays d’origine. 

« A Bègles dans le quartier autour de la mairie il y avait d’un coté la communauté hispanique et de l’autre celle venue d’Italie. Tout se passait pour le mieux avoue Patrick mais n’empêche que quand il y avait une naissance dans la cité du coté des Espagnols on fêtait ça en expliquant que nous avions un habitant de plus que les autres. Dans le fond nous avions les mêmes problèmes et les mêmes vies mais nous restions de notre coté et eux du leur. » Les conditions de vie dans la ruralité était bien différente avec des logements d’un autre siècle chez les grands propriétaires terriens. Dans les villes le sort dans les années 1920-1930 n’était guère meilleur car les marchands de sommeil existaient aussi . Les communautés se regroupaient par instinct grégaire avec des vies autonomes sans que ceci pose problème. Le culture ruisselait autour de ces groupes partageux et ouverts.

Pour le reste tous ceux que je vois sont unanimes : l’école laïque creuset des différences jouait son rôle même si tout n’était pas parfait. Qu’y a-t-il vraiment de changé ? Le racisme était là. Il est encore là ! La stigmatisation était là. Elle demeure. Les difficultés matérielles ne manquaient pas. Elles n’ont pas disparu. Les minorités marginales existaient. Elles ne se sont pas dissoutes. Mais que ces rencontres me font du bien. Ezio en serait heureux et je continuerai inlassablement à écouter pour transmettre.

Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    Il y avait eu une vague d’immigration italienne au milieu de XXéme siècle, au moment de la contruction des lignes de chemin de fer en France. Le maire de Charmant (16 ) m’avait montré des documents de cette époque dans les archives de la mairie, à propos des ouvriers pièmontais venus travailller au creusement du tunnel de Livernan, sur la ligne Paris Bordeaux, situé sur cette commune. Ces ouvriers avaient été recrutés pour leur habileté et leurs compétences pour genre de travail(et probablement aussi pour la possibiblité de leur servir des salaires de misère).
    Mais ils étaient surveillés étroitement, vraissemblablement à cause du mouvement des Carbonari qui effrayait le beau monde et que l’on craiganit qu’ils importent en France.

  2. LAVIGNE Maria

    Dans ce billet qui restitue la vie, les témoignages de ces Italiens, je me retrouve.
    Dans l’après guerre mes parents ont décidé de partir, sans papiers, pour essayer de trouver un monde meilleur, nourrir trois enfants, sans connaître un seul mot de Français. Le travail dans les vignes ne manquait pas, déserté déjà par ceux qui étaient nés. Les Espagnols étaient déjà là, nous partagions la même vie.
    Maman a vite appris le Français avec nous, papa mélangeait souvent le dialecte Veneto, langue natale avec quelques mots que nous lui apprenions. Cela nous faisait sourire.
    Nous avons eu la chance de trouver sur notre chemin des instituteurs et institutrices qui nous ont permis dc lire beaucoup, la bibliothèque nous était ouverte en permanence. Ils ne sont plus là mais je leur suis tellement reconnaissante…
    Aujourd’hui tout a changé, voyager est devenu la norme ou presque. Notre petit fils a passé 3 ans en N.Z, est revenu avec une situation, son frère va partir au Canada dans quelques semaines, pour eux, tout cela est normal. J’espère au moins que, plus les gens se connaitront, moins il y aura de conflits.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Maria
      Et oui, nous sommes deux sœurs de misères qui avons appris à serrer les dents et les poings… !

  3. Laure Garralaga Lataste

    La guerre en Ukraine me traumatise… Vous allez comprendre pourquoi.
    Lorsque ma famille quitte Barcelone le 15 décembre 1938, elle doit avancer à pied, sous la neige, le vent, les bombes et la mitraille… avant d’arriver à la frontière le 24 janvier 1939. Je fais partie du voyage puisque lorsque ma mère quitte Barcelone, elle est enceinte de 7 mois ! Arrivée le 5 février à Bordeaux, j’y vois le jour le 7, malgré l’annonce faite par le médecin-accoucheur à la famille : « Nous ne sauverons ni la mère ni l’enfant… » Ma mère m’a quittée à l’âge de 93 ans et j’ai cru bon de suivre sa route puisqu’à 83 ans… je compte sur les 10 ans qui me restent à vivre pour finir d’écrire la vraie histoire de Bordeaux de 1940 à 1944… Une remarque : à ces dates, certains Espagnols antifascistes s’engageront dans la Résistance française, alors que d’autres collaboreront avec l’ennemi comme le feront certains Italiens de Mussolini, des Portugais de Salazar et des collaborateurs de Pétain qui se rangeront aux côtés des Allemands hitlériens. Pour mieux comprendre, il est bon d’ajouter que les Brigades internationales (qui en 1939 ont combattu en Espagne) comptaient des Italiens, des Portugais, des Allemands, des Français et autres nationalités… tous anti fascistes.
    L’Histoire n’est pas un long fleuve tranquille… !

  4. Laure Garralaga Lataste

     » Toi, Laure, tu es nait coiffée ! » Cela veut dire que la chance ne m’a jamais abandonnée…
    Je maîtrise deux langues : l’espagnol, ma langue maternelle, et le français, je possède deux cultures, chances que j’ai mises à profit en étant d’abord institutrice (mon rêve était exaucé)… puis professeur de français et d’espagnol. Avoir 2 pays dans son cœur, 2 cultures… que demander de plus !

  5. LAVIGNE Maria

    @Laure « avoir deux pays, deux cultures dans son coeur » c’est tout à fait cela et lorsque la faucheuse passera, la terre de France et la terre d’Italie que je garde précieusement (mes enfants savent où elle est) les deux terres donc m’accompagneront.

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