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Ici et ailleurs (59) : la force puisée dans les racines

Amira tente de persuader le serveur qu’elle ne souhaite que des légumes dans un menu qui prévoit entre autres de la quiche lorraine, des brochettes de bœuf ou du mignon de porc. Elle parviendra à négocier de la samoussa et du gratin dauphinois… afin de respecter ses choix alimentaires. Elle est habitué à combattre pied à pied dans un monde qui ne lui a pas épargné les contraintes visibles ou invisibles. Arrivée avec son père marocain en France dans les années 70 elle est l’aînée d’une « tribu » de six filles ! « Nous sommes même huit car j’ai deux demi-sœurs supplémentaires » explique-t-elle en souriant.

« Mon père a eu deux femmes. Il était imam. Nous nous sommes installés tant bien que mal dans la banlieue parisienne. Rien n’a jamais été facile pour nous. » Le sourire d’Amira cache une volonté de fer derrière un sourire de velours. « Dès que j’ai eu dix-huit ans j’ai rompu avec mon père et j’ai quitté la maison. Ça été extrêmement compliqué et difficile. Pas question pour moi de m’inscrire dans les principes de la religion musulmane. Je voulais être une fille libre de mes actes et de mes choix. Toutes mes sœurs ont suivi et nous sommes toutes mécréantes sauf la plus jeune de mes demi-sœurs qui est devenu très respectueuse des principes de l’islam. » Aucun commentaire. Aucun regret. La laïcité qu’elle sert et à laquelle elle est attachée lui permet justement d’admettre un autre choix que le sien.

Amira a conquis sa vraie liberté grâce à l’école et son éducation. Son parcours exemplaire dans le secteur médico-social lui ont permis de vérifier que le soutien aux personnes fragilisées par les aléas de la vie correspondait à sa vocation. «  J’aime prendre des responsabilités même si parfois j’éprouve des doutes face aux difficultés des tâches managériales. Je me remets vite de ces périodes pour repartir de l’avant. » S’étant construite dans l’adversité avec la nécessité de toujours « prouver » en raison de son statut d’immigrée elle s’est forgée un moral de combattante perceptible dans ses propos.

« Mon père ne nous a vraiment jamais parlé de ses origines et de son parcours. Ma mère un peu plus mais elle répondait seulement à mes questions. Nous ne sommes pas revenues eu Maroc alors j’ai décidé que les enfants devaient absolument connaître les racines de ma famille. Je l’ai ai emmenés tous deux dans le village d’origine de ma famille. J’y tenais. Il fallait qu’il sache d’où je venais. » Amira affirme que rien n’aurait été pire que son intégration réussie fasse oublier combien le parcours avait été compliqué et le chemin parcouru important.

« Là-bas ils ont joué avec leurs cousins dans la poussière de la rue. Eux les petits blondinets n’ont eu aucun problème à être aimés et accueillis. Ils se sont adaptés à une grande facilité à un autre style de vie. Je suis certaine que ces séjours constitueront des moments essentiels pour leur formation de citoyens. » Ils leur permettent en effet de constater que les différences culturelles et de manière de vivre n’empêchent nullement le partage. Cette expérience lui sert dans ses nouvelles fonctions dans l’Océan indien où justement la complexité des religions, des ethnies, des langues, des migrations nécessite une sensibilité particulière.

Désormais basée dans l’île de La Réunion Amira a en effet en charge le développement d’un projet d’ouverture d’un établissement pilote pour polyhandicapés sur Mayotte. Il n’existe aucune solution pour la prise en charge de ces enfants ou adolescents en grande difficulté sur un territoire où…tout manque. A Mamoudzou se trouve la plus grande maternité française avec plus de dix mille naissances par an. Le statut spécial de Mayotte fait que le droit du sol ne s’applique pas. Un enfant né à Mayotte n’a pas la nationalité française. L’afflux de Comorais est constant malgré toutes les mesures prises. « Je suis à peu près certaine que la population réelle est bien plus proche de 500 000 habitants que des 260 000 recensés officiellement ! » confie Amira qui effectue de très nombreux aller-retour entre La réunion et Mayotte.

« Tout est compliqué à Mayotte explique-t-elle. L’islam est majoritaire et je pensais que mes origines me permettraient de trouver des repères rapides. Or rien ne correspond à ce que je connais car il reste bien des relents du passé. Il faut une patience infinie pour faire avancer un dossier car les circuits du pouvoir et les règles appliquées par les fonctionnaires métropolitains de passage ne sont souvent pas adaptées au contexte local. Je m’adapte. » La construction sera pourtant au top-niveau environnemental en tenant compte des difficultés de Mayotte sur l’eau potable, le traitement des déchets et les matériaux de construction. « C’est à la fois exaltant et usant » commente Amira avec le sourire. « Je n’ai pas le droit d’échouer comme tout au long de ma vie » ajoute-t-elle 

Cette publication a un commentaire

  1. Laure Garralaga Lataste

    « Je n’ai pas le droit d’échouer comme tout au long de ma vie »
    Magnifique ! ! ! Merci Jean-Marie…
    Je suis, moi aussi, Amira.

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