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Le choc des images brise le miroir des mots

Le slogan de Paris-Match, ce magazine qui a toujours tenté de faire rêver ou d’impressionner les lectrices et les lecteurs avait (mais on ne le sait qu’à posteriori) quelques décennies d’avance. Le fameux « le poids des mots et le choc des photos » a désormais quelque chose de désuet tant le rapport de forces entre le texte et l’image est disproportionné. L’évolution conduit désormais à réduire partout le nombre de lignes mais à systématiquement accompagner le sujet de vidéos sommaires mais beaucoup plus vues que tout le reste. On ne lit plus on regarde ! 

En fait dans quelques années le téléphone mobile sera le principal outil du reporter mais surtout du quidam pouvant diffuser en quelques secondes une précieuse source d’information. Le repérage de séquences tournées dans des conditions techniques sommaires devient un véritable travail «journalistique ». Les yeux rivés sur les réseaux sociaux les rédacteurs tentent de dénicher l’exclusivité qui fera un « choc » émotionnel pour la lectrice et le lecteur. Le citoyen apporte ainsi sa contribution à la véracité d’un contenu mais pas à son exploitation.

Il arrive même de plus en plus souvent que l’image ou la vidéo servent de base au contenu même d’un article, car depuis son bureau la description des faits devient assez facile. J’ai personnellement connu un collègue qui lorsque je lui commandais un papier me demandait : « tu veux un de chic ou un vrai ? ». Effectivement il écrivait avec une extraordinaire facilité et un talent reconnu des reportages à une table de bistrot à partir du minimum de ce qu’il savait du sujet concerné. Il donnait l’illusion parfaite d’une immersion dans un lieu sans jamais y avoir été.

Les images « ordinaires » collectées sur une guerre, sur un accident, sur un événement climatique ou sur une situation éloignée constituent souvent des sources indispensables pour asseoir une analyse écrite. D’ailleurs bien souvent les Etats s’efforcent soit de faciliter l’accès à des secteurs qu’il est utiles de montrer soit au contraire restreignent totalement le droit d’investigation. Le stylo n’a plus la force du téléphone mobile ou de la caméra. Albert Londres n’aurait vraiment aucun impact dans le contexte médiatique actuel.

L’un des films qui évoque le mieux cette tendance (qui bien entendu est très peu pratiquée) a réuni Jugnot et Lanvin dans une supercherie relative à une expédition en Irak. Dans « envoyés spéciaux » R2I, célèbre radio d’info, envoie dans ce pays en guerre son meilleur duo de reporters : Frank, journaliste, et Poussin, ingénieur du son. Très vite, c’est par millions que les auditeurs suivent leurs récits très documentés, reflétant « à chaud » l’intensité des combats et la difficile survie de la population.

Le jour où Frank et Poussin sont victimes d’une prise d’otages, un mouvement de solidarité d’une rare ampleur s’organise pour obtenir leur libération : autour du slogan « un euro pour nos otages », la France se mobilise en masse. Mais le gros souci pour Frank et Poussin, nos deux envoyés très spéciaux, ce n’est pas vraiment la prise d’otages : leur vrai problème, c’est plutôt qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Irak, et que les récits haletants qui ont fait leur notoriété, c’est depuis Barbes qu’ils les enregistrent… Impossible actuellement ? Mais pourtant sans être un complotiste avéré cette histoire relève du plausible en moins caricatural mais avec un fond de probabilité forte.

D’ailleurs Jonas Bendiksen, photographe de l’agence Magnum a dupé tout le monde au festival « Visa pour l’image ». Son but : alerter sur la crédulité face à la propagation des « fake news ». Cette célébrité du photojournalisme voulait tester notre passivité avec un reportage fabriqué de toutes pièces. Résultat, il a réussi à duper tout le monde, même les photographes les plus aguerris, avec un faux reportage réalisé depuis son ordinateur. Ces photos ont été présentées devant les meilleurs professionnels au festival Visa pour l’image 2021. Problème : si l’histoire du business des « fake news » à Vélès, cité réelle de Macédoine était vraie, aucune des personnes photographiées n’existait… et les textes du livre compilant les photos avaient été écrits par un ordinateur.

Même si le genre n’est pas nouveau l’utilisation du « faux documentaire » ne cesse de proliférer. Il s’agit selon les spécialistes d’un « leurre qui tout en ayant l’apparence d’un documentaire se révèle être en fait une fiction qui peut emprunter aux genres comédie, drame, reportage, émission de télévision, etc. Les historiens français du cinéma préfèrent parfois l’expression « documentaire fictif ». La marge entre vérité et évocation se voulant aussi proche que possible de la réalité devient très difficile à apprécier compte-tenu des moyens techniques modernes de réalisation.

Des séries télévisées comme « le Bureau des légendes », « Le Baron noir » ou « Au service de la France » flirtent allégrement entre ce que l’on peut considérer comme une description du fonctionnement de services secrets et la fiction de certaines situations. Bien des observateurs ont relevé la qualité de ces œuvres dans le contexte mondial actuel. Il serait impossible d’effectuer un authentique reportage sur ces sujets quand il est possible grâce à un scénario bien ficelé de décrire ce qui serait interdit de publier ou de diffuser. Vive l’image qui n’est plus d’Epinal !

Cet article a 17 commentaires

  1. christian grené

    A quoi bon acheter « Paris Match » quand on peut se mettre en « Roue Libre »? On se sent tellement plus intelligent.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Christian
      Si je partage ton écrit, je dois m’inviter à rappeler… le combat de David contre Goliath.

  2. Philippe Labansat

    N’oublions pas le reportage radiophonique bidon (pour « Radio Plus ») de Gerber / Jean Yanne, prétendument depuis la jungle avec un groupe révolutionnaire : fausses interviews et fausses rafales de mitrailleuses, alors que le faux reporter Gerber est au bord de la piscine avec une paille dans son cocktail (« Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » 1972)…

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Philippe
      Sacré… Jean Yanne. Il nous manque tellement… !

  3. christian grené

    Rien ne remplacera jamais la Guerre des Mondes orchestrée par Orson Welles et qui fit descendre dans les rues des millions d’Américains ayant cru à la supercherie à la radio.
    C’était, il est vrai, en 1938. Heureusement Laure allait venir au monde pour le sauver!..

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Christian
      Mon très cher ami… ne me vieillis pas, s’il te plait quand bien même cela ne te plairait pas ! Dois-je te rappelle que j’ai résisté plus d’un mois !… Attendant que mes parents triomphent de cette ignoble, brutale , mortelle Retirada avant de parvenir à Bordeaux le 05 février 1939… où j’ai pu enfin, le 07 de ce même mois et de la même année, montrer ma jolie frimousse !

      1. Laure Garralaga Lataste

        OUPS !
        Dois-je te rappeler que…

  4. J.J.

    « On ne lit plus on regarde ! « Comme je suis un vieux schnok, je regarde très rarement, je préfère lire (parfois entre les lignes ).
    J’ai eu à faire avec l’magination délirante de certains journalistes, ayant été interviouvé (ça m’est rarement arrivé) j’ai découvert avec surprise des propos que je n’avais jamais tenus.
    Christian @…. « la Guerre des Mondes orchestrée par Orson Welles et qui fit descendre dans les rues des millions d’Américains… »
    Le 11 septembre 2001 après midi, en démarant ma voiture, l’auto radio s’est mis en marche automatiquement, et ce que j’ai entendu m’a évoqué la célébre émission d’Orson Welles, je croyais à un montage, en réalité c’était un « direct » de New York.

    1. Laure Garralaga Lataste

      à mon ami J.J.
      Pourquoi utiliser ce « on » indéfini ?
      Réjouissons nous de ne pas être aveugles… et surtout d’avoir pu bénéficier de cette magnifique « école républicaine » qui aurait disparu aujourd’hui ! ! Et… continue de lire entre les lignes !

      1. J.J.

        « Pourquoi utiliser ce « on » indéfini ? »
        C’est pas moi, m’dame ! Je cite Jean Marie : dernière phrase du premier paragraphe.

  5. Bruno DE LA ROCQUE

    Au début de ma lecture de Roue libre d’aujourd’hui, la phrase « … le téléphone mobile sera le principal outil du reporter mais surtout du quidam pouvant diffuser en quelques secondes une précieuse source d’information. » me rappelle ce que j’ai ce matin lu dans Sud-Ouest au sujet des violences à l’hôpital, plus particulièrement aux urgences. Des gus tout en insultant, voire en menaçant, les soignants filment la scène avec leur téléphone et balancent leur enregistrement (ou leurs photos) sur les « résosocios »…
    Par ailleurs, oui Jean-Marie, sur un truc comme fesse-bouc, tu n’es lu que si ton post est illustré, ce qui recoupe tes dires. Il paraît que le réseau « instagram » ne fonctionne que comme ça. Je regrette l’époque où je bloguais sur le site du « nouvelobs » (nonobs) car nous pouvions illustrer nos textes (nos posts) et disposer les images à notre gré. Les échanges étaient nombreux, parfois difficiles à accepter (ironie, critique véhémente, amalgames déplaisants…) et il se formait des sortes de communautés.
    J’ai essayé la plate-forme « agoravox » qui ne met en ligne que ce qu’un certain nombre d’abonnés valide… et j’ai vite buté sur des tutoiements intempestifs, des jugements sans appel, des mots violents. Cela pas seulement sur des questions d’opinions, d’engagements politiques, de chronique d’actualité… mais aussi sur des posts purement scientifiques où l’on peut te renvoyer méchamment à tes chères études, mais aussi à wikipedia.
    Cela pour confirmer la primauté de l’image, mieux : de la vidéo.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ un bonjour à mon ami Bruno…
      En effet, moi aussi j’ai été horrifiée par la lecture de cette page, mais pas que…
      Je me suis également interrogée… « Comment avons-nous pu en arriver là ! ? Et qu’avons-nous manquer ?

      1. Laure Garralaga Lataste

        OUPS il ne faudrait pas vieillir… !
        Qu’avons-nous manqué ?

  6. DGN

    Avez-vous déjà fait l’expérience d’analyser une séquence de « journal » de BFM ? C’est fascinant: le présentateur de la nouvelle est dehors, devant l’endroit où se serait pris la décision, par exemple l’Elysée. Il aurait pu dire la même chose assis dans son fauteuil dans le studio et non pas sous le parapluie en début de nuit …. mais cette image, qui ensuite tourne en boucle dans le journal suivant en demi-écran partagé par le journaliste du studio accapare l’attention et imprime l’esprit.
    De même pour un évènement plus tragique (et là, en ce moment, on n’a que l’embarras du choix!) l’écran est cette fois partagé en trois, avec le présentateur au milieu et de chaque côté, la séquence filmée (encore mieux si cela a été filmé par un quidam sur son smartphone, un peu flou…) qui tourne en boucle. j’ai compté, au moins trois fois, voire plus si le commentaire est plus long. Le regard est captivé par l’image et le commentaire perd de son importance. Un vrai travail de lavage de cerveau par impression d’images rapides.
    Et ces séquences tournent dans les différents journaux, donc on a l’occasion de les revoir plusieurs fois. Lobotisation collective assurée !!!
    Travail de pro, hélas ….. Temps de cerveau disponible, qu’il disait, l’autre …..

    1. Christian Coulais

      Et oui, bien vu ! Quant les camarades pratiquent le porte à porte, c’est une de leurs remarques. La plus part du temps le téléviseur est allumé, en boucle sur ses télévisions perroquets, comme l’écrit Jean-Marie.
      Résultats, abstention et vote RNFN même dans les villages ou peu de faits de société se déroulent.

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami DGN
      Je partage cette analyse mais n’oublions pas…CNEWS !

  7. Gilles Jeanneau

    Vous avez tous raison, hélas car tout cela n’est pas très réjouissant pour l’avenir…
    Allez, bonne journée quand même à toutes et tous!

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