You are currently viewing Le plaisir de la confiture en or qui dégouline

Le plaisir de la confiture en or qui dégouline

Qui se souvent encore des frères Jacques ? Quatre bonhommes habillés d’un collant noir , d’un petit gilet coloré et d’un chapeau melon avaient porté au plus haut niveau la conjugaison de la chanson et du mime. Dans les années 50 et 60 ils ont diffusé une touche de poésie à la Peynet dans la variété française. Le décalage avec ce que les sixties allaient produire était phénoménal. La télé leur permit parfois de populariser du Prévert, du Kosma, du Gainsbourg, du Ricet Barillet avec une imagination et un talent d’une finesse exceptionnelle.

Parmi leur répertoire assez réduit, lors d’un passage au Fémina de Bordeaux, j’avais trouvé d’une drôlerie et d’une délicatesse exceptionnelles leur exhibition sur le thème de « la confiture » à partir d’un texte de Roger Carineau. « La confiture ça dégouline/ Ça coule coule sur les mains/ Ça passe par les trous de la tartine : Pourquoi y a-t-il des trous dans le pain (…) » et toute une déclinaison réaliste mais tellement humoristique des rapports entre une tartine et le goûter de mon enfance. Une véritable épopée naïve, inspirée par ce que tout le monde a forcément connu.

Les larges tranches de la miche de quatre ou celles plus réduites du « sept cents » favorisaient la fuite de cette épaisse couche de production familiale. Ce matin en déambulant dans le marché cette œuvre « culinaire » inconnue de tellement de personnes, m’est revenue en mémoire en passant devant une montagne de melons dits d’Espagne. Parmi toutes les confitures alignées sur une étagère dans l’ombre du chai de chez mon grand-père ces pots garnis d’une onctueuse crème d’or étaient mes favoris.

« C’est celle des pauvres » me confiait le vieux vendeur habitué à se construire une solide réputation de spécialiste des produits de saison. Il ne vend que ses propres récoltes avec un talent méditerranéen assez exceptionnel. « Il suffisait de lancer quelques graines sèches de l’année précédente sur un tas de terreau ou de terre meuble pour obtenir des fruits en quantité et d’un volume réconfortant. La récolte est garantie sans trop d’efforts sauf un arrosage copieux et régulier. En 2022 les melons sont denses et très sucrés ». Aldo regrette que les jeunes générations boudent cette production dont, dit-il « elle ne connaissent pas l’intérêt »

Sa pyramide de melons ne diminue pas beaucoup en ce mercredi matin. Il est vrai que chaque fruit pèse plusieurs kilos et qu’il faut le trimballer. Alors Aldo a inventé le « prêt à cuire ». Il explique avec malice que comme sa clientèle a de « l’arthrose et souffre des mains » il lui prépare les morceaux de cette chair légèrement verte qu’il suffira de mettre à cuire. « C’est vrai que c’est difficile à éplucher alors je fais des sacs qui permettent de ne pas avoir à découper les melons » Malgré ces précautions de service avant vente il n’écoule pas sa production pourtant très abordable.

« Il suffit pourtant de mélanger la veille 400 grammes de sucre avec un kilo de pulpe et de mettre à cuire à feu doux durant sept heures minimum le lendemain. Il n’y a rien de plus simple» explique-t-il. « C’est ma recette. Je sais que je ne suis par dans l’air du temps avec autant de sucre et autant de consommation d’énergie mais c’est indispensable pour que la confiture se conserve plusieurs mois. J’y ajoute des zestes d’orange ou de citron confits ou nature. » Pour ma part j’ai en tête que ma grand-mère y mettait de l’anis étoilé que j’allais chercher chez le pharmacien. Pour qu’elle soit parfaitement réussie les petits carrés du melon doivent demeurer au milieu d’un sirop onctueux.

Je n’aimais guère les autres productions en série avec les fruits plus ou moins gâtés qui tombaient des arbres. La prune d’ente, la rhubarbe, les coings en gelée et les figues complétaient les travaux d’automne afin de garnir les réserves pour l’hiver et même plus loin. De plus en plus de personnes proposent dans les brocantes ou sur les marchés des créations inédites avec des mélanges de fruits surprenants et même de légumes étonnants. Toutes deviennent « allégées ».

Les confitures « maison » reviennent à la mode. Les frères Jacques ont le choix. Toutes coulent pourtant par les trous des tartines malgré comme ils le précisent la « couche de beurre ». On en a plein les mains et moi je m’en lèche les babines. Je me revois raclant les grandes cuillères en bois ou passant mon doigt sur les parois de la grande bassine en cuivre ou en aluminium. Je n’ai jamais été condamné au cabinet noir… de Hugo! 

Cet article a 15 commentaires

  1. J.J.

    « du Ricet Barillet ». Ce pauvre « feu » Ricet, célébre auteur de la « Java des Gaulois » méritait il qu’on le transforme en arme offensive ?

    Lorsque les Frères Jacques avaient donné une représentation à Angoulême, notre « promo » s’y était rendue, le « patron » en tête, à son initiative, d’ailleurs, et il avait même fait plusieurs aller retour avec sa voiture pour nous ramener à bon port.
    Énorme succès.

    J’aime bien toutes les confitures(à part la confiture de nouilles, d’après la recette de Pierre Dac, je n’ai jamais essayé).
    Cette année, les pêchers ayant gelé, pour remplacer, j’ai tenté la pastèque, c’est pas mal, une belle couleur. En ce moment nous goûtons la confiture de tomates vertes que je viens juste de mettre en pots.
    En cas de pénurie de fruits, la courgette n’est pas mal non plus.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.
      … « à part la confiture de nouilles… » Comment peux-tu dire ça si tu ne l’as jamais goûtée !

  2. christian grené

    Pour moi, la meilleure des confitures c’est celle qu’on déguste chaque matin, sauf dimanche, au petit déjeuner en ouvrant son ordinateur. Elle se prend en père pinard (euh! en père peinard), comme qui dirait en roue libre, même si on parle parfois… déconfiture.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Christian…
      Heureusement que je ne prends connaissance de vos échanges sur Roue Libre que maintenant ! Pas de mauvais esprit… Je me suis levée de très bonne heure ce matin, mais « un caprice d’internet » m’a privé de ma rubrique préférée…
      Et maintenant, mon commentaire à mon copain…Quand tu écris « en père pinard »… déjà « bourré comme un coing » au petit déjeuner ! Tu promets pour le reste de la journée…

  3. Gilbert SOULET

    Miam, miam, je m’en lèche les babines !
    Merci Jean-Marie, mais je viens de ressortir le chaudron de cuivre pour faire de la marmelade et aussi de la confiture d’abricots.
    Gilbert de Pertuis

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Gilbert…
      Seulement les babines… ? ! Es-tu un chat ?
      Allez, sans rancune et bonne confiture avec un chaudron en cuivre… ! Le must pour les confitures… et réjouissons-nous, nous avons les mêmes valeurs !

  4. Maryse TREZY

    Sans doute quelques vieux engrammes de la sale gosse qui sommeille en moi … mais ma tartine de confiture préférée, c’est celle qui sert souvent de substrat à la loi de Murphy, mieux connue sous le nom de « loi de l’emmerdement maximum » …

    1. Maryse TREZY

      Zut … Pas fini, je disais don, en parlant de ladite tartine de confiture : « celle qui tombe toujours sur le côté de la confiture (ou du beurre) …

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à mon aie Maryse…
        Rien d’anormal si elle tombe toujours du mauvais côté… C’est une question de physique… « question de poids »
        Je vous rassure toutes et tous, je n’ai jamais été professeur de pataphysique… seulement d’espagnol et de français !

        1. Laure Garralaga Lataste

          OUPS ! à mon amie Maryse…
          Avec mes excuses ! Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation…

  5. Laure Garralaga Lataste

     » Qui se souvient encore des frères Jacques ?  » Avoir 4 génies en même temps… c’est rare dans la chanson française !
     » La confiture ça dégouline/ Ça coule coule sur les mains/ Ça passe par les trous de la tartine… », trous bienfaiteurs qui nous autorisaient à nous lécher consciencieusement les mains… !
     » Les larges tranches de la miche de quatre… » J’ai un boulanger qui en fait toujours, et j’ai ainsi la chance d’avoir encore « ma madeleine de Proust… » Quant aux melons d’Espagne… Souvenir, souvenir… Je vous garde dans mon cœur… (les melons) !
     » Aldo regrette que les jeunes générations boudent cette production  » et il n’est pas le seul… ni à être rusé !
    Allez… au travail ! Bonnes confitures et bonnes dégustations…

    1. J.J.

      Qui se souvient encore des frères Jacques ? MOI !
      Ça m’arrive même de temps en temps de mettre le vieux 33 dédicacé à leur tournée d’adieu, avec par exemple « l’Interminable Tango des Perceurs de Coffres Forts.

      1. Laure Garralaga Lataste

        Une bouteille à la mer… N’ayant pas reçu le « Roue Libre » du 14 octobre… je reviens à celui d’hier… 

  6. Philippe Conchou

    1981 au Femina, tournée d’adieu des Frères Jacques, le plus extraordinaire des spectacles que j’ai vu sur scène.
    4 papys et un pianiste SANS SONO, on entendait au fond de la salle comme au premier rang, des voix, du mime ,des textes, de l’humour et après le spectacle un contact
    généreux avec le public, et frais comme des gardons.
    Inimitable et inoubliable.

    1. Laure Garralaga Lataste

      Une bouteille à la mer… N’ayant pas reçu le « Roue Libre » du 14 octobre… je reviens à celui d’hier…

Laisser un commentaire