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La convalescence de l’hôpital sera longue et incertaine

Le système de santé en France s’engage dans une crise permanente. Il faudra une décennie voire deux avant que l’on retrouve une solidité qu’il n’a plus depuis belle lurette. Comme pour tous les services publics les hôpitaux payent simplement une vision politique libérale ayant placé la privatisation et donc le profit au centre des solutions proposées. Comme dans tous les autres situations créées par la fameuse « concurrence libre et non faussée » les décisions prises reposaient sur le mythe qu’en réduisant l’offre de soins il serait facile de réduire les dépenses.

L’obsession de la suppression de toutes les formes de « contribution équitable directe » à la protection collective solidaire a conduit tous les gouvernements à avoir des gestions strictement comptables des structures publiques. Il ne se passe pas un jour sans que d’une manière ou d’une autre l’État « républicain » n’abandonne pas un secteur de son action régalienne. La caricature anglaise avec des annonces surréalistes sur les « baisses d’impôts » hantent tous les représentants de l’ultra-libéralisme. Quand en Italie, la fan de Mussolini annonce que son idole serait Tatcher on peut prendre rendez-vous dans deux ans !

L’idéologie ultra-libérale a son second pilier correspondant intrinsèquement à sa vision du monde : tout se résout avec de l’argent. Alors quand surgit un problème de fond, soluble que par des concertations humaines, des ajustements ne reposant pas obligatoirement sur des crédits injectés sous la contrainte des événements les effets annonces de crédits supplémentaires sortis d’on ne sait se succèdent. Dans le domaine de la santé où certes les budgets des hôpitaux sont anémiés voire à l’agonie depuis longtemps les difficultés viennent surtout du manque de personnel et de lits.

Paradoxalement dans tous les secteurs médicaux ou médico-sociaux, les lignes liées à l’embauche de médecins spécialisés (psychiatres par exemple, anesthésistes, urgentistes, gérontologues, ORL…) d’infirmières, d’aides-soignantes existent, les postes restent vacants. Tous modes d’exercices confondus, la France comptabilise en moyenne 336,5 soignants pour 10.000 habitants, selon une étude parue dans la revue « The Lancet » au mois de mai. A titre de comparaison, la moyenne de l’Europe de l’Ouest est de 407 soignants pour 10.000 habitants.

Par rapport à ses voisins européens, nous sommes de mauvaise élève quant à la densité d’infirmiers (87,7 pour 10.000 habitants) et de médecins (24,8 pour 10.000 habitants). Loin devant, la Norvège et l’Allemagne affichent par exemple respectivement 211 et 176 infirmiers pour 10.000 habitants. Et ce n’est pas qu’une question de revenus ou de statuts mais plus profondément le signe d’une déficience d’une organisation territoriale inégalitaire et d’un manque absolu de vision de l’évolution de la société.

Toutes les poussées épidémiques plongent le réseau de santé dans les affres de la surfréquentation. La pandémie de la Covid l’avait montré (et risque de le remontrer dans les mois qui viennent), la bronchiolite accentue ce constat. Même la canicule dont on sait qu’elle reviendra elle-aussi constitue vite un sujet préoccupant. Si la grippe progresse vite on sort les mesures spéciales. Bref les hôpitaux survivent grâce à l’investissement constant des personnels mais désormais il n’y a plus de répit.

Les services ferment provisoirement ou durablement, sont réorganisés ou renforcés avec des « plans blancs » pouvant être enclenchés plusieurs fois dans la même année. L’exceptionnel tourne à l’ordinaire. Les hôpitaux spécialisés sont en situation encore plus difficile mais nul ne s’en préoccupe vraiment.

Les généralistes sont submergés. Il faut des mois et des mois pour arracher un rendez-vous chez certains spécialistes de ville (en hôpital n(‘en parlons pas!), ce qui justifie le qualificatif de « patient ». Il n’y a pas un seul secteur dans la santé qui ne traverse pas des situations difficiles. L’argent reste le nerf de la guerre puisqu’il est possible si on le possède d’accéder au secteur « privé » ou au « public-privé » dans de meilleures conditions. Lorsque la branche maladie de la sécurité Sociale a été créée elle visait comme dans bien d’autres domaines à l’égalité républicaine d’accès aux soins.

« Jamais nous ne tolérerons que ne soit renié un seul des avantages de la sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès… » (Dernier discours d’Ambroise Croizat l’un des rédacteurs des ordonnances de 1945 à la tribune de l’Assemblée nationale, en octobre 1950). Mais qui s ‘en souvient ?

Cet article a 9 commentaires

  1. Philippe Labansat

    À pleurer. Mais nous sommes collectivement responsables puisque, comme si de rien n’était, nous avons reconduit le dernier bourreau de notre système de santé…

  2. J.J.

    « nous avons reconduit le dernier bourreau de notre système de santé. »
    NON ! Je n’ai reconduit personne, je l’eusse pu, je les aurais reconduits à la porte.

    Je paraphraserai bien cette citation de Beaumarchais.
    « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint ».
    « Il fallait un être humain, c’est un calculateur que l’on y mit. »

    Oui, qui se souvient encore d’Ambroise Croizat alors que l’on fait tout pour le faire oublier, lui et ceux qui ont œuvré dans le v rai CNR, que l’on tente de masquer avec un frauduleux CNR de pacotille, initiative qui relève de l’imposture morale ?

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.
      Pour les – de 20 ans et +++
      CNR… Conseil National de la Résistance. Ne faudrait-il pas le réinventer… ?

  3. Laure Garralaga Lataste

    Connaissez-vous l’histoire de « la petite poule rousse qui trouva des graines de blé »… de Byron Barton ? Un jour, elle trouva des graines et appela à l’aide ses amis pour les planter… Niet ! dit le cochon… ¡ No ! dit le canard… Non ! dit le chat… Et il en sera ainsi jusqu’au jour de la récolte et sa transformation en un pain bien doré… Et si la fable s’arrête là, celle du capitalisme commence à cet instant car… « tous se pressaient pour en manger à s’en rendre malade, écrasant tout sur leur passage » !

  4. Bernard G'

    J’ai coupé les ponts avec le grrrand spécialiste de la Sécurité Sociale (Bernard Friot) mais je dois reconnaitre qu’au-delà de ses approximations sur « la société du salaire à vie », en matière d’histoire de la sécu il connait bien l’affaire.
    N’ayant fait qu’un tout petit tour au PS (contrairement au PCF, où je suis resté plus de 40 ans) je ne me sens pas du tout responsable, même collectivement, des malheurs de l’hôpital.
    Dans l’esprit des fondateurs de la Sécurité Sociale, celle-ci devait être financée par les cotisations prélevées sur les salaires (les salariés formant la grande majorité des malades, il était socialement justifié de les faire contribuer à ce grand oeuvre à due proportion de la valeur qu’ils produisaient au cours du process de production).
    A bon droit, Friot ne manque jamais une occasion de flétrir Rocard, inventeur de la CSG, qui remplace la cotisation par l’impôt, exemptant par la même occasion le grand « refuseur d’impôt » qu’est le Patronat.
    La misère de l’hôpital remonte à cette époque-là, et non comme le sous-entend l’intervenant précédent, à la reconduction par la bourgeoisie des villes de l’ignoble Macron (qui n’a fait qu’approfondir une crise entamée depuis avant Mitterrand et pas réparée ni par Tonton, ni par Jospin, ni par Hollande et aggravée par Chirac, Sarkozy et Macron)

    1. Philippe Labansat

      J’ai bien dit « …le dernier bourreau… », c’est à dire, après tous les autres…

  5. facon jf

    Bonjour,
    ce que vous décrivez au sujet de la santé à un nom LA SPOLIATION LÉGALE. Une méthode très ancienne décrite au XIX éme siècle par Frédéric Bastiat. Selon son analyse La spoliation légale vient de l’observation que les prédateurs ont été placés au sommet de l’État et ont développé leurs activités de prédation par l’introduction de lois qui mettent en œuvre. La spoliation légale est, par définition, à travers la loi mise en œuvre par la force par l’État ou de ses agences.
    La législation qui sous-tend la dépossession juridique doit mettre en ouvre des techniques pour la rendre illisible. Je cite les principes, que tout un chacun connaît sans le savoir, langage spécialisé; textes dispersé dans d’autres normes; normes sans titres des articles; articles de loi dilués; aucun texte unique; recours aux règlements d’urgence; changement continu de la législation.
    Pour illustrer mon propos je vais prendre la rénovation d’un hôpital public, exemple de proximité pour moi mais je suis convaincu que vous avez les mêmes près de chez vous. Un vieil hôpital enclavé en ville doit céder la place pour rénovation. Objectif mis en avant mais sous-tendu par la voracité des promoteurs immobiliers visant le terrain Public qui leur sera concédé. Un terrain agricole en lointaine périphérie est préempté par la collectivité compétente qui va rebaptiser l’hôpital en pôle médicalisé de pointe pour flatter les électeurs. Sous couvert de la reconstruction de l’hôpital public toutes les prestations indispensables au projet, voirie, viabilisation, transports sont prises en charge par la collectivité. Et comme par enchantement une grande part du projet est réservé au secteur privé qui va vampiriser toutes les prestations les plus juteuses du parcours des malades. On peut ajouter toutes les entreprises sous-traitantes médicales ou non de l’hôpital.
    Ce genre de montage multi-étages ne peut se réaliser qu’en contournant les lois et principes mis en œuvre depuis des lustres pour protéger l’environnement, le code des marchés publics, les principes de la sécurité sociale et au bout du bout les usagers du système de santé qui sont aussi les payeurs.
    « Les voleurs de biens privés passent leur vie en prison et dans les chaînes, celles de biens publics dans les richesses et les honneurs. » (Marcus Porcius Cato dit Caton l’Ancien né en 234 av. J.-C. dans le municipe de Tusculum et mort en 149 av. J.-C. à Rome.)
    Au classement international de la corruption nous sommes à la 21ème place.
    Il est frappant de constater que les premières places de la liste sont occupées par des pays prospères. Les pays européens, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Canada sont notamment cités. En bas du classement, on trouve principalement des pays émergents et du tiers-monde.
    Bonne journée

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à facon j.f
      … collectivité compétente qui va rebaptiser l’hôpital « en pôle médicalisé de pointe…  » comme aurait dit Molière qui faisait de la prose sans le savoir ! ! !

    2. J.J.

      « Les voleurs de biens privés passent leur vie en prison et dans les chaînes, celles de biens publics dans les richesses et les honneurs. » (Marcus Porcius « Cato dit Caton l’Ancien né en 234 av. J.-C. dans le municipe de Tusculum et mort en 149 av. J.-C. à Rome.) »
      Ça existe depuis l’Antiquité(et même peut être avant). Y aurait-il des chances que ça change ? Ça se terminera probablement avec la fin de l’anthroposphère.

      Dans le même ordre d’idée, lire ou relire les plaidoiries de Cicéron, célèbre pour avoir déjoué la conjuration de Catilina, qui défendait ses petits copains contre les malfrats, mais qui se livrait lui même à des spéculations quelque peu douteuses.

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