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La mémoire, notre eau de vie quotidienne

La société actuelle se construit sur du sable. La mémoire qui sert de base à toute construction au moins du présent si ce n’est de l’avenir disparaît inexorablement de telle manière que les mêmes erreurs se répètent à l’infini. Elle n’a plus aucune valeur quand les médias dévorent l’actualité avec une insatiable fringale. Leur appétit n’a d’égal que leur soif de bâtir de l’éphémère afin de ne pas encombrer les esprits avec des références lourdes à digérer. Tirer les leçons du passé n’a plus aucun sens dans une époque de l’approximation érigée en certitudes béates.

En vieillissant cette impression d’appartenir au passé et d’être en décalage constant avec le présent, grandit et tourne parfois à l’obsession. Il faut se retenir pour ne pas évoquer des situations similaires à celles que l’on présente comme inédites ou extraordinaires. La tentation de rappeler par un récit ou une simple remarque que l’événement n’a aucun caractère anodin ou qu’il comporte des risques de complication se ravale, car elle se révèle dangereuse. Il faut contenir ses pulsions pour ne pas être classé dans la douloureuse catégorie des insupportables donneurs de leçon.

Probablement que ce comportement social a toujours existé mais il s’amplifie en profitant du vide culturel. Chaque jour le statut « d’anciens combattants » que la vox-populi juge souvent comme « ridicule » est affublé à celui qui fait effort de mémoire. Toute personne qui évoque tant soit peu une situation permettant de décoder celle à laquelle on est confronté n’a guère d’espoir d’être entendu. On ne vit pas sur le passé mais on meurt de ne pas le connaître.

Derrière chaque personne quelle qu’elle soit il y a une chemin avec ses embûches, ses réussites, ses haltes, ses déceptions, ses efforts ou ses renoncements. Impossible de dissocier de ce constat les femmes et les hommes qui guident ce monde. Omissions, mensonges, effaçage de pans entiers de leur parcours, zigzags idéologiques, subterfuges de communication : tout le monde prétend des trous de mémoire. Quelques émissions de radio (j’adore celle de Cyprien Cini dans la matinale de RTL) amusent leur auditoire en sortant des archives sur un sujet du présent et en les restituant avec la délectation. La relativité de ce qui est factuellement exceptionnel éclate aux oreilles.

La chaîne Histoire diffuse quasiment en continu des images d’archives sur la période des années 1930 et 1940 comme autant d’incitations à enrichir ou à réveiller des mémoires défaillantes. Qui les regarde ? Ces documentaires sont ils accessibles ? Hier une série de films retraçait l’accession au pouvoir, aux terribles idées, la fin de Mussolini… alors que depuis quelques semaines l’une de ses admiratrices dédiabolisées s’est installée à la tête du pays ! Les mêmes causes produiront des effets similaires dans bien d’autres pays dont le nôtre.

A partir d’un certain âge il n’y a pourtant rien de plus précieux que la mémoire. C’est la meilleure compagnie de la vieillesse. Elle peuple les silences. Elle éclaire les faits les plus ordinaires du quotidien. Elle redonne vie à celles et ceux qui sont passés de l’autre coté du miroir. Elles égayent la grisaille des douleurs physiques. Elles nous inquiètent avec ses défaillances normales. La crainte de la voir nous quitter pour nous plonger dans le vide sidéral de l’inconscience sociale. La mémoire est la valeur la plus précieuse la mieux partagée. Elle se partage quel que soit son rang, sa fortune ou sa puissance. Elle ne s’achète pas !

Oublier un nom, un prénom, une date, un mot procure d’abord de l’agacement, de l’inquiétude et parfois du désespoir. Ne plus se souvenir des gestes ordinaires renforce le sentiment que l’on avance à son tour vers l’oubli. La perte de mémoire génère celle de l’autonomie. La vérité implacable s’applique autant aux individus qu’aux peuples. La seule différence réside dans notre capacité à entretenir librement la nôtre quand de plus en plus tous les pouvoirs s’ingénient à la diluer dans le subalterne.

Nourrissez chaque jour votre mémoire du maximum de souvenirs. Enrichissez-la sans vergogne. Mais surtout partagez-la sans aucun scrupule. Elle est eau de vie pour le futur. « Je suis né dans un temps où la mémoire n’était point considérée comme une vertu funeste (…) Loin de porter ombrage à l’intelligence, la mémoire l’alimente, la suscite, lui fournit des matériaux. Un homme intelligent, doué d’une mémoire faible et mal exercée demeure un infirme et un pauvre : il perd les meilleures chances d’appliquer son entendement. » Georges Duhamel vous décomplexera si vous aviez l’impression qu’elle n’offre aucun intérêt en vieillissant !

Cet article a 3 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour à tous et Merci Jean-Marie,
    Je ne peux plus travailler mon jardin à cause de ma canne, mais par contre j’essaye de cultiver celui de ma mémoire. Elle me révèle d’excellents souvenirs mais aussi de moins bons. Je poursuis avec des reportages-photos …
    Amicalement,
    Gilbert de Pertuis

  2. Laure Garralaga Lataste

    Ce « Roue Libre » du jour débute très fort et m’invite à le compléter par cette citation d’Aimé Césaire  » un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».
    Quant à « l’Histoire » racontée aux enfants, elle est hélas trop souvent transformée en… histoires !

  3. J-Pierre

    Bravo

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