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Les racines de tous mes mots

Que reste-t-il dans notre vie des leçons de Français données en temps scolaire ? Chacun conserve un brin de ces séquences plus ou moins figées durant lesquelles nous étions invités à goûter aux Belle Lettres. De l’école ce sont souvent ce que l’on appelait bêtement des « « récitations » alors qu’il s’agissait de restituer à l’oral un style toujours différent de poésie. La discipline était imposée et ne tenez absolument pas compte d’un choix effectué par le récitant. N’empêche que nous avons en tête des pans entiers de cet exercice obligé ou au moins quelques vers significatifs.

La récitation a beaucoup fait pour tous les renards des fables de La Fontaine ou pour les créations de Maurice Carème mais a peu rapproché les gamins que nous étions du charme des poèmes. Comment aurait-on pu découvrir les noms même de Hugo, Lamartine, Baudelaire, Verlaine, de Nerval, Verhaeren, Apollinaire ou Prévert pour n’en citer que quelques-uns, sans cette volonté des instits de promouvoir une ou deux créations de l’un d’entre eux ? Le cahier contenant ces textes accompagnés d’un dessin personnel restait l’un des plus beaux d’une scolarité et c’était justement son attrait que celui de conjuguer l’art du verbe et celui du trait. Que reste-t-il de ces pratiques hors d’âge ? Rien ou presque… d’autant que le goût pour la lecture, décisif pour la réussite s’amincit au fil des générations.

Bien évidemment bien plus tard, le fameux duo Lagarde et Michard avait en charge avec leur anthologie de morceaux choisis de chaque siècle de fournir les matériaux nécessaires à l’amour des œuvres jugées essentielles. Ces bouquins que l’on se transmettait dans les fratries ou via la bourse annuelle de début d’année scolaire ont traversé la seconde moitie du siècle précédent. Il paraît que collégiens ou lycéens les retrouvent avec nostalgie alors qu’ils furent, mais c’est mon avis personnel, des outils de stérilisation de la pensée libre et non faussée.

Seul les bons professeurs savaient justement chercher hors de ces ouvrages bien-pensants les textes susceptibles d’éveiller des consciences. Pour ma part j’ai croisé deux enseignants chargés de cette discipline m’ayant donné l’envie de découvrir, de penser, de m’interroger et d’avancer dans la construction de mon esprit.

L’un fut au collège, fringant, dynamique, tyrannique mais tellement attachant. Jacques Ballanger entraînait dans son sillage et savait par ses choix contraindre à trouver un sens aux mots. L’autre était un décortiqueur des textes, un fin analyste et plus encore un talentueux promoteur des valeurs essentielles à la vie sociale. Sans jamais le dire mais en sachant parfaitement le faire il allait vers les œuvres essentielles. C’est à lui que je dois mon attrait pour Verlaine. Aurais-je pu trouver un intérêt pour les subtilités de Candide ? Chaque dissertation, chaque commentaire de textes nourrissaient son objectif : nous sortir du confort des certitudes que nous pouvions entretenir.

Il est devenu pour moi « homme de lettres » autour des événements de nos vies qui ne se sont jamais éloignées. Il avait relu mon roman « La sauterelle bleue » avec une certaine jubilation, celle des profs heureux de constater que quelque part sa réussite résidait dans mon passage de la lecture suggérée ou imposée à l’écriture libre. Je conserve sa correspondances comme autant de parcelles du bonheur de l’avoir connu et apprécié. Robert Luzignan qui avait été mon maître devint mon ami grâce au pouvoir des mots.

Ma passion pour l’écriture reste inextinguible. Je la leur dois ainsi qu’à la pédagogie Freinet plaçant l’expression libre au coeur de l’éducation. Les articles pour le journal scolaire, les textes libres, la volonté d’aller vers les autres par l’écrit : sans aucune prétention, ces techniques ont eu un impact sur les choix qui sont les miens. Le plaisir de lire et d’écrire constitue le meilleur des remèdes contre les pesanteurs du monde.

Si je ne cesse de faire le lit aux ratures et je dénonce les maux c’est de la faute à Rousseau. Si je dérape parfois c’est de la faute à Voltaire. Si je suis heureux d’avoir envie de comprendre c’est de la faute à mes profs. Si j’ai failli me fermer à toute littérature c’est de la faute à Lagarde et Michard, les assassins de l’envie de croiser les mots.

Cet article a 30 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Alors toi aussi Jean-Marie, ami fidèle, tu es… un Freinetique… !

  2. J.J.

    Je n’ai pas connu Lagarde et Michard, ils arrivaient juste quand je terminais mes « humanités », je n’ai donc pu revendre les « Castex et Surer » qui étaient nos manuels de français. J’en garde un bon souvenir, peut être étaient ils de meilleure qualité que leurs « héritiers »? J’y ai pris le goût des belle lettres. Il est vrai que certains profs de français y furent pour quelque chose, nous faisant découvrir par exemple Rutebeuf bien avant que Léo Ferré ne le chante. J’ai aussi découvert avec enthousiasme Rabelais et Montaigne qui sont toujours mes auteurs préférés. Difficiles à lire mais toujours d’actualité !
    Beaucoup ont écrit sur Montaigne et j’ai parcouru beaucoup d’ouvrages : Montaigne à cheval , par exemple de Jean Lacouture, et mon préféré : « Encore un Essai » de Jean Emer, un chef d’œuvre à mon avis, on a l’impression d’entendre l’occupant de sa Librairie s’entretenir avec vous.
    Montaigne un homme libre malgré les contraintes des son temps, à qui l’on doit cette déclaration, moins élégante mais combien plus humaine que le « Sic transit gloria mundi » : « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. »

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.
      Merci au grand Montaigne… !
      Si la version latine est… plus ramassée, la déclaration du grand-maître est franchement plus parlante… !

  3. Batistin

    Merci, j’ai toujours ressenti un malaise, teinté pourtant comme vous le dites de nostalgie, avec ces fichus Large et Michard. Je comprends enfin cette gêne sourde.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Batistin…
      Pour supprimer tout malaise, voici un petit truc que je transmettais à mes élèves… « JE SUIS TOMBÉ.E par terre… c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau… c’est la faute à Rousseau » ! Si M.Jourdain faisait de la propose sans le savoir, moi, je faisais de l’écriture inclusive sans le savoir et bien avant l’heure.

  4. Laure Garralaga Lataste

    Un petit « truc » que je m’inventais pour bien parler le françois (oups, le français diabolique) et son aussi diabolique orthographe !… culpa mía = ma faute.
    Après avoir communiqué mes trucs à mes élèves, comme je suis généreuse, je l’offre également à mes amis.es…

  5. christian grené

    Merci infiniment, Jean-Marie, pour ce petit déj’ où les mots ont remplacé les croissants.
    Merci aussi à tes fidèles lecteurs dont je pèse chaque… mot avec le même ravissement. Quant à moi, j’ai appris à écrire en lisant « L’Equipe » ou plutôt, tous les étés, la rubrique d’Antoine Blondin sur le Tour de France. Il aura été mon seul vrai prof de français et, dans le courant de la journée, je vous enverrai le texte qui m’avait été commandé par un certain Jean Ladoire pour faire la une de Sud-Ouest en 1982. Je l’avais intitulé « Devoirs de vacances ». J.J., cette année-là, mon partenaire n’était autre que Jean Eimer.
    Amitiés à tou(te)s et merci encore à J.-M.D.

    1. J.J.

      Mea culpa, mea maxima culpa, j’ai oublié un I à Rimer.

      1. christian grené

        Cher J.J., si la rime peut être riche l’important c’est d’Eimer.
        En toute amitié.

        1. J.J.

          Il ne s’agit pas d’un « lapsus claviaturæ » mais d’une fantaisie de ma p… de tablette qui fait parfois des fantaisies incontrôlables. J’avais écrit Eimer mais elle a écrit ce terme qui ne rime à rien.

          1. Laure Garralaga Lataste

            @ à mes amis J.J. et Christian…
            Avec « ma p… » que je me garderai bien de traduire en bon françois, je fais le constat que… toute la faute appartient à Êve… !

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian…
      il est 16h27… et ta promesse  » … dans le courant de la journée, je vous enverrai le texte…  » n’est toujours pas au rendez-vous… !
      J’abandonne un instant et attend TA suite à mon retour car… chose promise, chose due !

      1. Laure Garralaga Lataste

        La colère est mauvaise conseillère… et attends TA…

      2. christian grené

        Laurita mia, j’ai envoyé le texte promis à Jean-Marie pour voir s’il veut bien le diffuser sur son réseau. Je l’ai appelé, mais il était aux abonnés absent.
        Abrazos.

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami christian…
          Peut-être était-il plongé dans une lecture…

        2. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami christian…
          Je peux te rassurer… Jean-Marie a bien fait son bouleau puisque j’ai reçu le texte, superbe !

      3. J.J.

        Laure « …toute la faute appartient à Êve… » Féminisme exacerbé !
        Sauf avis contraire, tablette est bien un nom féminin, non ?
        Ce n’était pas mon p… d’ordinateur, qui lui n’était pas accessible.

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami J.J.
          À quoi reconnait-on un mec… ? À son art de se dédouaner de toute responsabilité… Un exemple ? « Ma chérie… celle qui t’a dit que j’avais une maîtresse voulait sûrement parler de « ma maîtresse d’école… ! » Échappatoire impossible aujourd’hui puisqu’il n’ y a plus que des « professeurs des écoles »…

        2. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami J.J. et à sa mauvaise foi…
          J’ai beau lire et relire… tu as bien employé le féminin… !
          Et en voici la preuve :  » … mais d’une fantaisie de ma p… de tablette… »
          La vieillesse nous joue de ses tours… !

    3. Laure Garralaga Lataste

      @ à christian qui n’est plus mon ami…
      Chassez le naturel, il revient au galop…  » Merci aussi à tes fidèles lecteurs »
      J ‘suis plus d’ la bande… !

  6. Philippe Labansat

    Pour moi, le goût de la lecture (bien plus vaste et éclectique que la littérature) je le dois, et c’est un privilège (ma petite femme me l’a souvent rappelé, elle même n’ayant pas eu cette chance), je le dois, disais-je à mon entourage, non contraignant mais habilement incitatif.
    À mon grand-père paternel, sorti de la misère noire, comme d’autres petits Lodévois, grâce à un généreux mécène, créateur d’une bourse, qui lui payé ses études jusqu’au bachot, passerelle, ensuite, vers le professorat d’espagnol. Inutile de dire comme la lecture était importante pour lui.
    Avec lui, ça a été la découverte de Jules Verne que j’ai intégralement dévoré. J’ai fortement pensé à lui quand j’ai fini par lire Don Quichotte, l’édition qu’il m’avait proposée était vraiment trop rébarbative pour l’enfant que j’étais.
    Beaucoup à maman, la plus littéraire de la famille :  » Tu devrais lire ce livre, je suis sûre que ça te plaira  » et elle posait le fameux livre sur la table , à disposition. Avec le recul, je me rendais compte que sa stratégie a sacrément bien marché. En y réfléchissant, combien j’ai lu de livres depuis l’enfance, grâe à ce subterfuge ?
    Mon papa, c’était surtout l’histoire politique : les mémoires de guerre de De Gaulle, l’histoire de la guerre d’Algérie, Mendès-France et la décolonisation, l’épopée de l’escadrille Normandie-Niémen, etc.
    Des profs aussi, bien sûr et ils ont du mérite d’arriver en quelques heures à donner, en quelques heures et avec des programmes débiles, le goût de grands auteurs à des enfants, au mieux des pré-adolescents. Une pensée particulière à M. Bezos qui a fait de moi un fan absolu de Montaigne, mais m’a aussi donné envie de lire Rabelais, Rousseau, Diderot, Montesquieu…
    La poésie, j’y suis venu sur le tard mais là, je le dois au petit groupe anar du lycée. Je n’en étais pas, mais j’étais copain avec ces gars qui m’intriguaient et étaient dingues de poésie et grattaient la guitare.
    Bref, si l’on peut tirer quelque chose de tout mon baratin, c’est que l’entourage d’amateurs de lectures et de livres est fondamental pour construire un nouveau lecteur…

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Philippe…
      Un grand-père paternel professeur d’Espagnol… ! ! ! Rarissime ! Extraordinaire ! Par quel miracle ce magnifique choix… ?

      1. Philippe Labansat

        Oui, Laure, et même professeur agrégé. Il en était très fier, vu d’où il venait.
        Ensuite, après la grande guerre, mon grand-père gazé a passé pas mal de temps en sanatorium et en cures.
        Au pays basque, il vivait à cheval sur la frontière, côtoyait nombre d’Espagnols en connaissait parfaitement la langue et la culture.
        Vers 1920, il a trouvé un emploi de précepteur pour l’enfant d’un riche industriel madrilène. Avec sa femme ils ont vécu 3 ans à Madrid dans des conditions assez misérables. Une petite tante est née, et morte là-bas.
        Ma grand-mère comme mon grand-père étaient parfaitement bilingues. Quand nous étions petits avec ma sœur, ils se parlaient en espagnol pour qu’on ne comprenne pas tout. Mais ça n’a marché qu’un temps.
        C’est au retour de son aventure madrilène que mon grand-père s’est lancé dans le professorat d’espagnol. Il a surtout exercé a Versailles et il a aussi créé des vocations : mon père et mon oncle, profs d’espagnol, ma mère prof d’espagnol, la femme de mon neveu, prof agrégé d’espagnol, mon cousin alliance française, diplomate en Amérique latine, Président du festival de Biarritz, plein d’autres cousins au Mexique, etc, etc.
        Je peux dire que à partir de mon grand-père paternel, la famille baigne dans la culture hispanique…

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami Philippe
          Il pouvait être fier… ! Belle promotion pour lui et sa famille… !
          Bravo à vous d’avoir appris l’espagnol… Quand on est bilingue… on est plus riche ! Et ta famille en est un bel exemple.

    2. J.J.

      « un fan absolu de Montaigne, »
      Bien venue au club !

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à mon ami J.J.
        Si c’est à moi que tu penses… « une fan absolue de Montaigne ».

  7. Laure Garralaga Lataste

    Et comme internet a remplacé les livres…
    À quoi allons-nous assister… ?

  8. Bernie

    Jean-Marie,
    Je vous serais reconnaissante de bien vouloir transmettre mes amitiés à Fabienne Jouvet.
    Avec mes remerciements

  9. Philippe Labansat

    Merci d’avoir rappelé le laisser-faire de M. Macron et des macronistes qui ont refusé de faire les castors face au RN.
    Maintenant, nous sommes à la veille de l’arrivée des milliers de réfugiés climatiques, qui s’ajouteront très vite aux autres réfugiés.
    Rappelons que Ligue internationale des Droits de l’Homme ne fait aucun distinguo parmi les réfugiés, en particulier ne met pas à part les réfugiés « économiques ». Tous sont des réfugiés et doivent être traités comme tels.
    Il est effectivement temps que l’Europe se montre réellement solidaire envers les pays qui sont les points d’entrée des réfugiés.
    Nous pouvons pas détournner le regard et les laisser se débattre seuls, avec les résultats politiques que l’on connait, pour l’Italie en particulier, alors que la très grande majorité des habitants de Lampedusa, en première ligne, ont eu un comportement exemplaire…

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Philippe…
      En 1939… nos pères, frères, oncles, cousins…et autres espagnols ont combattu aux côtés de l’armée française et nous en avons un magnifique exemple à Bordeaux :
      Pablo Sánchez qui, le 27 août 1944, en exécutant les ordres du commandant Eduardo Casado — 3e/31e brigade de la 24e division FFI-UNE du commandant Mateo Blázquez — sauve le pont de pierre de Bordeaux, mais hélas, il est abattu d’une rafale allemande. Il faudra attendre le 3 septembre 2014 ( 70 ans plus tard) pour que soit reconnu enfin son acte de bravoure par l’attribution de la mention « Mort pour la France », et qu’ainsi son nom figure sur le monument aux morts de la ville de Bordeaux.

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