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Le temps reste le plus précieux des trésors

Tout au long d’une vie l’appréciation que l’on porte sur la valeur du temps évolue au fil des ans. Bien que sa durée soit identique, il pèse différemment sur notre moral. Impossible de croire en sa stabilité et souvent nous sommes injustes avec lui, le trouvant soit trop rapide soit de moins en moins pressé. Il file comme le sable entre les doigts ou s’étire tel un chewing-gum collant aux aléas du quotidien. Nous mesurons sa valeur que quand il est trop tard pour l’apprécier vraiment. Quand une échéance, quelle que soit son importance, approche l’impression de ne pas l’avoir vu passer devient inévitable alors que souvent il traîne en longueur dans l’attente de tout moment que l’on espère heureux.

Il arrive que l’on éprouve l’envie morbide de le tuer. Drôle de pensée quand on connaît son prix. L’assassinat des heures que l’on trouve trop vides et trop longues va de pair avec notre capacité à rester un acteur des propre vie. Lorsque la capacité à dévorer l’espace, à cultiver un jardin dans lesquelles poussent les fleurs de l’avenir ou à s’accrocher à une tâche motivante n’existe plus, l’horloge prend des allures de bourreau. Elle n’a plus le son cristallin des belles mécaniques des pendulettes de salon, pas plus qu’elle ne porte le timbre plus sourd des pendules.

Dans les maisons modernes ces références au temps qui passe n’existent plus. Le silence accompagne désormais le fil de la journée et même les cloches des villages exaspèrent les adeptes de la campagne insonorisée. Cette fuite que nul ne saurait arrêter inquiète et il s’agit de la dissimuler pour ne pas perdre l’espoir avec des montres sophistiquées ne mesurant que les actes dynamiques de la vie. Les battements du cœur, la tension artérielle, le nombre de pas, la chaleur ambiante, les calories consommées rendent l’essentiel subalterne.

Très nombreux sont les femmes et les hommes qui défient le chronomètre. Certes parmi eux les champions occupent le sommet pour s’inscrire dans l’Histoire du sport. Les fameux « contre la montre », « les records de l’heure » ou les « centièmes ou des millièmes de seconde effacés » mènent les heureux vainqueurs à l’éternité des exploits répertoriés. Vaincre le temps appartient même maintenant aux rêves ordinaires de millions de pratiquants des multiples courses en tous genres. Dès la ligne franchie avec souvent moultes difficultés ces combattants intemporels appuient sur leur chrono pour jauger leur performance. Une tendance qui ne cesse de progresser… Toujours plus vite! 

Cette notion grandissante de la sacralisation de la vitesse se traduit par de multiples erreurs. Toute la société crève inexorablement du mythe que l’homme parviendra à se débarrasser du fardeau du temps. Le progrès résiderait dans la diminution des durées de voyage, des durées de production, des durées d’usage, des durées de tout et de rien  alors qu’il serait infiniment plus utile de préserver celle du partage de ce qui nous est commun. Il y avait eu bien des railleries en 1981 avec l’installation d’un Ministère du temps libre alors que c’était une aspiration légitime pour celles et ceux qui survivent sous sa contrainte. Temps et libre deux mots que plus personne ne souhaite associer.

Après de longues années d’excitation à courir après les obligations du pouvoir qui m’avait été confié, je me rends compte de la vanité d’une telle ambition. Devenu esclave des horaires, des rendez-vous, des réunions, les missions, les rencontres j’avais négligé le seul temps qui compte, celui que l’on s’accorde sur les chemins de sa propre existence. Le confinement consécutif à la pandémie a permis de se tourner vers ce que l’on pensait impossible. Plus rien ne sera comme auparavant. Le repli sur soi, sur « son capital » temps à la fois menacé par la maladie mais renforcé par les mesures prises contre elle, a bouleversé les rapports au monde extérieur. Par goût ou par nécessité les confinés ont pris leur temps et paraissent décidé à ne pas le perdre.

Reprise par François Mitterrand la fameuse phrase de Cervantès voulant qu’il faille « donner du temps au temps » inspire tous les retraités actuels avant que la dépendance ne les rattrape tôt ou tard. Ils découvrent des « passe-temps » qu’ils méconnaissaient ou ne cessent d’évoquer ce temps passé qu’ils estiment meilleur.

J’adore désormais gaspiller mon temps au Bistrot ou en écrivant des chroniques qui resteront lettres mortes. En une fraction de seconde tout s’évanouit et tout bascule. Le trésor des jours qui défilent s’amenuise alors autant valoriser au maximum chacun d’entre eux. Un sacré défi que celui de voler du temps au temps !

Cet article a 11 commentaires

  1. Philippe Conchou

    Non JM, tu ne « gaspilles » pas ton temps en écrivant tes chroniques, au contraire, tu le valorises comme tu valorises le notre en te lisant.

  2. Laure Garralaga Lataste

    Merci Jean-Marie de nous avoir proposé cette réflexion…
    Personnellement, accompagnée de mes 83 ans bien tassés, j’ai choisi Lamartine et son… « Ô temps, suspend ton vol… » !

  3. J.J.

    « Il arrive que l’on éprouve l’envie morbide de le tuer(le temps). »
    J’abomine cette expression que l’on voit parfois sur des pub pour des jeux probablement ineptes : « Si vous avez du temps à tuer ». Non ! Je n’ai jamais de temps à tuer, je n’en ai pas toujours assez.
    S’il m’arrive de me dire: qu’est ce que je vais faire ?(jour de pluie ou de mauvais temps) je trouve vite : un texte à revoir ou à terminer, un bouquin que je n’ai pas lu ou que j’ai envie de relire, lire ou relire « Roue Libre », et si le temps le permet, des branches à couper dans le jardin ou des graines à semer, des arbres à aller observer (site Observatoire des Saisons, enquêtes de phénologie )etc.
    En fait je n’ai jamais assez de temps pour tout faire et pour rien faire.

    Message cette semaine de la Médiathèque Numérique (que je reçois mais ne peux pas ouvrir …) : En roue Libre.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.
      Bienvenu au club de ceux et celles qui n’ont jamais « de temps à tuer »… !

  4. Christian Coulais

     » ou en écrivant des chroniques qui resteront lettres mortes. »
    Non pas de lettres mortes, mais des bouteilles à la mer, ou des ballons météo qui filent au grès du vent…

    Toute « chose » issue de notre planète, tout comme elle, possède son propre sablier, sans connaître le nombre de grains de sable qu’il contient…

    1. Laure Garralaga Lataste

      à mon ami Cristian…
      Comme toi, je garde l’espoir de ne jamais écrire… « des chroniques qui resteront lettres mortes… »
      Mais comme aurait dir Malraux… « je garde l’Espoir d’écrire des chroniques qui deviendront…des bouteilles à la mer… »!

      1. Laure Garralaga Lataste

        avec mes excuses : Christian

  5. DGN

    Ecrire, donner à penser, à rêver, c’est du temps donné et je t’en suis, comme d’autres, reconnaissante. Continue à semer, ça fait tellement de bien !

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon amie DGN…
      qui m’invite…, si ce message s’adresse bien à moi…, à continuer à semer…
      Voilà déjà bien longtemps (depuis 2009) que je sème à tout vent !

  6. christian grené

    Après maintes péripéties qui m’ont passablement bousculé, ces dernières 48 heures, je reviens vers vous pour dire que le sujet du jour tombe à pic. J’ai trouvé involontairement de quoi m’occuper même si je m’octroie ici 2 minutes pour dire à Jean-Marie et à tous ces fidèles suiveurs – et à ma Laurita – la qualité de leurs échanges qui me font l’effet d’un Doliprane.
    – Qui a dit d’un rosé?…
    PS (si ça existe encore): papier écrit à la force du… poignet.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ a mi estimado amiguito christian…
      Heureusement que ton poignée est en bonne santé…
      Tu n’aurais pas pu lever ton verre…
      Sans malice aucune !

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