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Le supplice de la nuit de l’étoile perdue (5)

Après bien des péripéties (voir les chroniques précédentes) le duo d’envoyés spéciaux de Sud-Ouest composé de « Sancho » Grené et « Don » Nogués se retrouva dans la chaleur sévillane en ce 8 juillet 1982 pour un France-Allemagne nimbé qu’on le veuille ou non de revanche historique extra sportive. Dans la tribune de presse bondée il ne saurait imaginer un instant qu’il va assister au plus extraordinaire (si ce n’est le plus exceptionnel) match d’une Coupe du Monde par son intensité dramatique.

Jouée en quatre actes haletants entrecoupés de pauses avec deux grandes mi-temps de près de cinquante minutes chacune et deux plus brèves mais finalement plus intenses de la prolongation, la rencontre passa de la normalité à l’historique. Tout à tour, prenante, haletante, émouvante, éprouvante, révoltante, enthousiasmante puis finalement décevante elle vira progressivement à la confrontation passionnée mobilisant toute la rédaction sportive réunie devant un petit écran.  Diffusant avec des commentaires changeants la télé offrait une piste sous les étoiles avec artistes aux pieds agiles en bleu d’un coté et techniciens impitoyables en blanc de l’autre. Le feu de l’improvisation et la glace du réalisme, la passion débridée face à la mécanique impitoyable.

Compte tenu de son heure tardive de début et de sa durée exceptionnelle la « tragédie » franco-allemande posa vite un sérieux problème au journal : devait on retarder le départ des premières tranches du quotidien, décaler les rotatives et les livraisons des « premières tranches vers les Pyrénées Atlantiques, le Gers, la Charente Maritime, la Charente, le Lot et Garonne et les Landes ? La décision serait prise au sommet

Nous vîmes donc arriver vers vingt-trois heures dans la rédaction le patron Jean-François Lemoine, lui-même transformé en supporter passionné. Il prit place à un bureau face à la télévision, flanqué à sa gauche d’André Latournerie, journaliste en charge du football et à sa droite d’Edmond Plassan, le chef historique des sténos et sa machine à écrire venus en renfort. Il fallait avoir un texte aussi exhaustif que possible de ce match à rebondissements dans le journal. « On attend ! » décida le PDG du journal.

Il faut en effet savoir que, quand l’horaire ne permettait pas d’inclure dans les premières éditions les papiers des envoyés spéciaux, un compte-rendu était écrit par un rédacteur du siège était publié pour être ensuite remplacé par les textes des témoins directs de l’événement. Au fur et à mesure du déroulement de la tragédie sévillane Jean-François Lemoine n’hésita pas une seconde : tout serait traité, dans un premier temps, depuis Bordeaux ! Même les responsables de l’atelier était monté. Il y avait foule devant le petit écran. Tout le journal était à l’arrêt dans l’attente de la page des sports. Je récupérais pour ma part la copie venant via les sténos de Séville pour un changement aussi rapide que possible du texte initial.

« Latourne » le nez sur la télé dictait à Edmond Plassan qui faisait crépiter sa machine à une allure folle. Ils avait derrière eux la pression de tous les acteurs de la fabrication du journal qui attendaient la décision du « patron ». Le sténo écrivait, écrivait, écrivait sur un match qui relevait davantage du roman d’aventures que du compte-rendu sportif, du western avec ses bons, ses brutes et ses truands que du conte de fées, de la saga imaginaire plutôt que de la raison, des faits divers que du sport.

Chaque fois André Latournerie avait l’envie forte de boucler son article, chaque fois de rebondissements en rebondissements il lui fallait en rajouter. Chaque fois le scénario contraignait à la reprise des textes et à l’adaptation puisque les certitudes s’effondraient. Le groupe des commentateurs silencieux au début commençait à s‘échauffer. Il explosa quand Schumacher dézingua Battiston. Chaque minute entrait dans l’éternité du football.

Je récupérais des feuillets, sans cesse de nouveaux feuillets pour les expédier à la composition. On décida des titres quand la France menait 3-1. On prépara les photos dont celle de Gigi triomphant qui arriva qous forme papier via l’AFP… On fit et on refit au fur et à mesure les titres, on changea maintes fois les clichés jusqu’à la dernière image de Bossis accroupi, une main sur la pelouse, prostré après avoir donné la victoire… aux Allemands dans la première séance de tirs directs au but de l’histoire du mondial. A en pleurer de joie et de plaisir ou de tristesse et de douleur.

Des moments d’une incroyable intensité avec un Jean-François Lemoine passionné, révolté, qui ne cessait de répéter aux techniciens angoissés : « on décale… on décale…on attend… on attend » avec autour de lui toute l’équipe du quotidien tour à tour euphorique puis terrassée par la déception. Les techniciens eux faisaient la gueule car chaque minute perdue compliquait leur tâche L’ambiance était aussi explosive que sur le banc de l’équipe de France. Le « sélectionneur » Lemoine dirigeait la manœuvre avec une véritable passion de patron d’un journal ! On irait jusqu’au bout quoi qu’il en coûte !

André Latournerie fonçait, « pissant » de la copie que les clavistes se partageaient par petits bouts pour raccourcir les délais de sortie des « matrices ». Rien n’était informatisé et se cumulaient les envois des sténos sollicités par les envoyés spéciaux et ceux de la rédaction sportive. Là-bas à Séville, dans la brûlante nuit sévillane Don Nogués et Sancho Grené écrivaient et réécrivaient leurs papiers que je relisais et que j’adaptais aux circonstances laissant aux autres le soin de l’urgence. Au téléphone ils n’en pouvaient plus, épuisés moralement, physiquement par une coupe du monde éprouvante ils étaient submergés par l’intensité du « drame » dont on parle encore !

Je tentais de les rassurer en leur expliquant que « l’on avait assuré le coup » , « qu’ils avaient un peu de temps devant eux ». Ils étaient à bout submergés par l’émotion et la panique de ne pas être à la hauteur de l’événement. Sancho Grené tenta dans des délais raisonnables d’aller aux nouvelles sur la santé de Battiston ou recueillir la déception d’Hidalgo. Une mission impossible. Leurs textes furent finalement mis en page pour les seules éditions girondines. tard, très tard dans la nuit… après l’un des plus folles soirées d’un Mondial de football. Rétrospectivement j’en suis encore ému. Quelles intensité dramatique !

Jean-François Lemoine quitta la rédaction abasourdi mais heureux : Sud-Ouest avait tenu dans la tourmente d’une aventure sportive imprévue et hors du commun. Le lendemain matin le match dont tout le monde parlerait serait traité avec les égards dus à sa dramaturgie inimaginable dans son quotidien ! Les superlatifs pouvaient fleurir sur la tombe des espoirs en bleu ! La nuit sévillane sombre avait perdu son étoile transformée en trente-six chandelles cruelles pour Battiston. 

Un climat poignant, un stress palpable, une fébrilité angoissante, des moments inénarrables que je n’ai jamais retrouvés et qui me donnent encore la chair de poule aujourd’hui : une légende des Bleus s’écrivit ce soir là à l’encre amère de l’injustice. Au moins aussi mémorable que la victoire de 98 !

(1) je dédie ces chroniques du Mundial de 82 à la mémoire d’André Nogués allias dans ces chroniques Don Nogués, un homme rare de gentillesse, d’humour et de professionnalisme !

Cet article a 5 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Et à Séville… je sais… (tu te prends pour Dieu maintenant ! « signé Sancho Grené ») … combien la chaleur peut y être intense ! ! !

  2. Gilles Jeanneau

    Séville, quelle belle ville!
    J’espère qu’après le match, ils ont pu aller se consoler dans l’un de ces endroits magiques où l’on peut manger, boire et pérorer jusqu’au bout de la nuit…
    Bonne journée à toutes et tous.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Gilou…
      …  » pérorer jusqu’au bout de la nuit… » à condition que Bacchus lui permette de garder les idées claires !

  3. christian grené

    Bonsoir Laurita et Gilou. Rossinante m’a laissé en plan dans un coin perdu de la Mancha et j’ai dû faire à pied le chemin jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. J’espère arriver à l’aurore demain pour pouvoir me pencher sur ma « Roue Libre ».
    Hasta mañana… si Don Pérignon le veut bien.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ a mi amiguito christian perdido en la Mancha…
      Veux-tu que je te dise… ? Dom Pérignon t’a fait perdre la tête… !
      Un conseil : ce nectar se déguste… Donc il se boit avec Modération… et si elle t’a quitté, tu peux inviter Laurita…

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