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Un scénario impayable en petites coupures

La saga relative aux « coupures » d’alimentation électrique en cas de pic de consommation illustre à merveille le système médiatique actuel. Beaucoup des organes de presse ne survivent qu’en distillant la peur sous toutes ses formes. L’horreur des crimes est amplifiée de telle manière que l’audimat augmente. Il faut que tout ressemble à ces séries américaines ou inspirées des succès d’Outre-Atlantique et que les épisodes des révélations attirent un public avide de l’épouvante, recroquevillé sur ses angoisses.

Désormais la trouille gagne les couches les plus modestes d’une société sous influence, celle de perdre le contenu de son congélateur, de ne pas avoir de lumière en pleine journée ou de ne pas pouvoir cuisiner. On tremble pour tout et on s’incline devant une certaine fatalité. L’Ukraine en guerre grelotte dans la réalité de la guerre et nous tremblons de peur pour des hypothèses d’une privation limitée.  

La situation est devenue tellement ubuesque que le Président s’efforce de dédramatiser. Il faut bien avouer que quand un haut responsable d’Enédis annonce que les personnes tributaires d’un appareil respiratoire ne seront pas épargnées, l’affolement guette les rangs du commun des mortels. Alors tous les jours les annonces, comme le veut une tradition française, des exceptions à ce qui ne sera pas la règle sortent du chapeau gouvernemental.

En fait s’il devait y avoir des délestages les hôpitaux, les cliniques, les maternités ne seraient pas concernés. Mais quid des Ehpad ou des résidences pour personnes âgées ? On attendra encore quelques jours pour annoncer qu’en fait tous les établissements du secteur de la santé ne seront pas concernés par deux heures de coupure.

Les lieux décisionnels de l’État ne subiront pas cette mesure et probablement ceux de l’armée ou de la gendarmerie, les commissariats, les centres de secours, les lieux de gestion de la distribution électrique. Bref la liste des exemptions dressées par chaque Ministère va ressembler à un dictionnaire et va sans cesse évoluer. Plus de 40 % des foyers français raccordés situés dans la zone de ces « exemptés » n’auront donc pas de risque de devoir gérer une pénurie temporaire.

Pour prendre conscience de l’iniquité absolue de cette situation il est indispensable de comprendre comment risque de fonctionner les fameuses coupures. « Elles ne se feront pas sur les postes sources m’a expliqué un technicien fiable car il y aurait trop grandes zones touchées avec justement des lieux sensibles. Seront déconnectés à distance les transformateurs de proximité qui le permettent car tous ne sont pas automatisés. Seraient donc privées provisoirement d’électricité des « poches d’habitations relativement restreintes. C’est un travail de dentelle qui se prépare dans le plus grand secret »

Les dirigeants d’Enedis planchent et arrivent très vite à la conclusion : les zones urbaines denses ne seront pratiquement pas touchées. Précision importante : dans chaque département, la liste des usagers prioritaires ne doit pas représenter plus de 38% de la consommation d’électricité. « À l’exception des territoires présentant une concentration d’infrastructures prioritaires qui soutiennent l’ensemble du pays », précise le Gouvernement. La nuance est donc importante. La région parisienne et Paris intra-muros a tellement de sites prioritaires, la conception même du réseau électrique et de sa densité, fait que seuls 20% de la consommation d’électricité peut être coupée.

Bien évidemment en zone rurale le risque étant moins grand et la « poche » prévue se situant aux alentours de 2000 foyers ce sont plusieurs communes qui seront occultées. Dans le périurbain ce sera encore plus facile, tout comme dans les banlieues dortoirs. L’absence totale d’équipements sensibles va faciliter la sectorisation des secteurs concernés va donc encore une fois renforcer ce sentiment de la fracture entre deux France, celle des villes et celle des champs.

« Je n’y crois pas explique mon interlocuteur. Il faudra une conjonction de multiples éléments défavorables pour que des coupures soient mises en œuvre. La météo très négative, une production d’énergie renouvelables affaiblie, une demande forte des pays que nous alimentons, un non-respect maximum des consignes de sobriété sur des périodes assez longues. » Le rôle de l’État c’est de préparer cette hypothèse comme dans bien d’autres domaines et ne pas se retrouver sans scénario si la crise surgit. Certains médias en font une certitude. 

La peur monte. L’achat de groupes électrogènes déjà très fort en raison du coût de l’énergie augmente de jour en jour. Les énergies fossiles ont encore de beaux jours devant elles puisque sans électricité tout le monde (s’il en a les moyens) des idées. En attendant personne ne parle de la situation d’une EDF démantelée et dans laquelle on va injecter 7 milliards d’argent public pour tenter de sauver ce qui peut l’être encore.  

Cet article a 11 commentaires

  1. Gilles Jeanneau

    Il y a eu un bug Jean-Marie car ton article est presque en double…
    Mais en tout cas, et comme je l’ai déjà écrit ici , le démantèlement des services publics est bien une catastrophe nationale, sauf pour les actionnaires des sociétés privées qui ont pris le relais…
    Cependant, c’est bien notre faute puisque nous l’avons approuvé dans le fameux vote de Maastricht.
    Allez bonne journée quand même!

  2. J.J.

    Ça va nous rappeler, si l’on en arrive là, le bon temps, juste après la Libération où les coupures programmées étaient fréquentes, mais difficiles à prévoir(pendant l’Occupation , on n’était pas prévenus).
    On n’avait pas encore inventé Eco Watt (il semble me souvenir que les coupures se faisaient par semaine pour un secteur déterminé, on savait que l’on n’aurait pas d’électricité un matin ou un soir pendant une semaine).
    Comme il y avait peu ou pratiquement pas d’appareils fonctionnant à l’électricité (le « poste » et le fer à repasser en gros, le 125 volts du secteur ne permettait pas de gros appareils), seul l’éclairage le soir ou le matin était défaillant. Il ne fallait donc pas oublier de faire le plein de la lampe à pétrole avant que la nuit tombe.
    À quoi bon se plaindre, on avait droit à des soupers aux chandelles ou à la lampe à pétrole(belle image des livres de lecture : la famille assemblée sous la lampe pour « manger la soupe »).
    Et dans les campagnes (et même parfois en ville), beaucoup de maisons ou de villages n’étaient même pas encore raccordés au réseau électrique.

    1. Laure Garralaga Lataste.

      @ à mon ami J.J.…
      … »le bon temps, juste après la Libération où les coupures programmées étaient fréquentes… » Je constate avec joie que tu n’as pas la mémoire qui flanche ! Comme toi… j’me souviens très bien des repas à la bougie !

  3. facon jf

    bonjour,
    et voici venu le temps des pas nous! pas nous! Solidaires oui mais pas trop, juste assez pour avoir bonne conscience.
    Des milliards sur la table, t’en veux ? c’est de la bonne ( affaire ?) ! Ainsi la pseudo-renationalisation de feu EDF devenue eDF lors de la privatisation de 2005. Pour mémoire 800 000 actions à 32 € soit 25.6 milliards d’€ en 2005 rachetées pour 10 milliards à 12 € l’action en 2022.
    Mais où est passé le pognon ? Pas dans la modernisation ni dans l’entretien de l’entreprise. Si cela avait été le cas toutes les questions sur l’état du parc de production seraient inconnues du grand public.
    La politique des dirigeants de notre pays a consisté dans les grandes lignes à vendre les bijoux de famille pour maintenir le train de vie de l’État. Et pas seulement, hélas! il fallait quoiqu’il en coûte maintenir la vision du néolibéralisme triomphant. La vente des bijoux de famille étant insuffisante la dette n’a fait que croître de 1500 milliards en 2005 à 2800 milliards fin 2021.
    Mais où est passé le pognon? Dans le soutien aux entreprises pour maintenir à flot l’emploi. Le poids que représente ce soutien public aux entreprises a plus que doublé depuis le début des années 2000, passant de 3 % du PIB environ à 6,44 % en 2019 avant donc les mesures d’urgence prises durant la crise sanitaire (ces aides liées à la pandémie constituant plutôt, à ce stade, un soutien de type « conjoncturel »). C’est dire que les masses en jeu sont considérables. Rapportées au budget de l’État (y compris les dépenses socio-fiscales), elles représentent plus de 30% des dépenses du budget inscrit
    dans le PLF 2021, soit encore presque trois fois le budget de l’éducation nationale pour 2022, ou 1,5 fois les dépenses consacrées aux soins hospitaliers en 2020 (cumul établissements publics et privés). Le point d’orgue a été atteint lorsque les aides accordées en 2019 se sot élevées à 157 mds €. Ce chiffrage résulte du cumul des
    dépenses fiscales (61 mds €), socio-fiscales (65 mds €), et budgétaires (32 mds €).
    Tout cela a été facile avec des taux d’intérêts proche de zéro le service de la dette ne faisait que baisser jusqu’au jour ou l’inflation est revenue entraînant la hausse des taux.
    Au naufrage politique s’est donc ajouté un naufrage économique : la seule trajectoire temporelle des aides publiques aux entreprises suffirait à prouver l’échec du néolibéralisme en dépit des espoirs placés en lui. Mais le bilan calamiteux qu’il faut en faire déborde de loin ce seul domaine. Il faut lui adjoindre la dette des administrations publiques (98 % du PIB en 2019), le déficit commercial — qui devrait dépasser 100 milliards d’euros cette année —, la désindustrialisation, un chômage de masse persistant, et la dépendance de millions de ménages à des aides sociales dont il a fallu augmenter le nombre et l’étendue. Dans tous ces domaines, la situation désastreuse créée par quarante ans de néolibéralisme est tout à fait inédite dans l’histoire de la France contemporaine.
    Si l’État — ses conditions d’emprunt se dégradant soudainement — n’était plus en mesure de garantir la protection sociale et les aides publiques aux entreprises, le pays serait plongé à brève échéance dans une crise économique majeure et des troubles socio-politiques d’ampleur. Faut-il en arriver là pour opérer les remises en cause radicales qui s’imposent ?
    La tempête merdiatique autour des coupures de 2h ne fait que cacher le tsunami qui arrive lentement mais sûrement vers nous !
    Alors toujours ok pour des coupures pour tous … sauf pas nous, pas nous, sauvez mon congélateur !!!

    bonne journée

    PS: le lien pour retrouver l’étude publiée sous le titre « Un capitalisme sous perfusion
    Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises » cliquer sur l’onglet téléchargement. Courage le doc ne fait que 212 pages.
    http://www.ires.fr/index.php/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-syndicales/item/6572-un-capitalisme-sous-perfusion-mesure-theories-et-effets-macroeconomiques-des-aides-publiques-aux-entreprises-francaises

    1. Laure Garralaga Lataste.

      @ à mon ami facon jf…
      À ta question « Mais où est passé le pognon »…
      Voici la réponse que tu souffles dans ma tête : dans la poche des actionnaires !
      Alors voici ma question : dans le monde capitaliste, peut-il en être autrement ?
      Mais ne nous « trumpons » pas… Qu’en serait-il dans un monde autre que capitaliste ? La Russie nous donne la réponse !
      En conclusion ce constat : la perfection n’est pas de ce monde… !

      1. facon jf

        l’actionnariat des 16.2% de privatisé est constitué de 1.08% de salariés et 15.12% d’investisseurs institutionnels et petits porteurs. Ce qui représente pour les parts investies 6.6% par les salariés et 93.4% pour les autres investisseurs.
        Donc 6.6 % des 25.6 milliards du capital privatisé ont été acquis par les salariés ce qui représente 1.7 milliard d’€ investis en 2005 et qui vont représenter 0.6 milliards remboursés en 2022. Les salariés du groupe qui ont fait confiance aux gouvernements successifs depuis 2005 ont perdu collectivement 1 milliard.
        Par principe je refuse la double casquette salarié/actionnaire car mécaniquement lorsque l’un gagne l’autre le perd et c’est TOUJOURS le salarié qui perd actionnaire ou pas.
        « Camarades?! Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’Homme par l’Homme. Le syndicalisme, c’est le contraire. »
        Coluche
        Pour mémoire, en 2004 les syndicats étaient contre la privatisation les grèves de protestation pendant 10 journées ont été de moins en moins suivies parties de 50 % de grévistes elle sont tombées jusqu’à 2.3 % …

  4. Montanguon

    Cette Roue libre rejoint la réflexion que je me fais depuis longtemps sur le pouvoir de nuisance psychologique de certains médias. Une habitude m’agace (entre autres): l’usage fréquent du point d’interrogation dans un titre à la Une d’un journal? J’ai souvenir à Sud Ouest que l’on nous déconseillait voire interdisait la forme interrogative dans un titre. Cela imposait donc d’être juste, voire nuancé. Subtil. Respectueux de la vérité et du lecteur. Le point d’interrogation permet d’annoncer une catastrophe pour provoquer le beuze, tout en laissant comprendre que ce n’est pas certain. De plus, le titre n’est plus une question mais une affirmation interrogative: « La France au bord de l’implosion? ». « La peur gagne les territoires? ». « Les volcans du Puy de Dôme se réveillent » où l’on apprend ensuite que finalement non! etc… Mais auparavant les journalistes auront interrogé le quidam dans la rue pour qu’ils confient qu’il a peur que les volcans se réveillent. Jusque-là, ces pratiques appartenaient à la presse dite à scandales. Autres temps, autres moeurs…

    1. christian grené

      J’m’en fous, j’sais même pas lire les coupures… de presse!

      1. Laure Garralaga Lataste.

        @ à mon ami christian…
        Menteur… va ! C’est ton excuse pour ne pas lire… ! Quand vas-tu t’y mettre… ?

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