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Conte de Noël : Rouge gorge, Gorge blanche et la fleur bleue

Son œil rond en alerte, le rouge-gorge scrutait le long ruban noir lavé le la piste cyclable. Seul absolument seul dans le sous-bois, il cherche quelques minuscules pitances coincées entre le granulat couvert d’une fine pellicule blanche. Avec la virtuosité d’un pickpocket expérimenté il picore une proie transie ou une graine invisible. La solitude et le silence lui vont bien. Il gonfle ses plumes encore collées par l’humidité froide de la nuit, comme s’il lui fallait absolument se faire plus gros qu’il ne l’est. Sans être heureux il apprécie ce petit matin calme.

Pas question pour autant de s’abandonner à la facilité, car son terrain de chasse ne lui a jamais permis d’être serein. Des étranges insectes fondent sur lui de temps en temps. Ils dévalent dans un léger sifflement sur sa « table de cantine ». Ces prédateurs aux couleurs et aux tailles diverses n’ont jamais pu l’inquiéter mais finissent par l’agacer et le déranger. Ils le contraignent à se réfugier sous leur menace, à tire d’aile sur les branches les plus proches. Un exercice indispensable qui lui permet de se rassurer quand les « coléoptères bruyants » sans se soucier le moins du monde de l’environnement, migrent vers le sud.

Bizarrement en ce matin encore gris qu’il ne sait pas être celui de Noël, ces empêcheurs de déjeuner en rond semblent être restés dans leur nid. Le rouge-gorge en sautille de plaisir et prend ses aises. En se mettant à table avec ses espoirs de dénicher sous une feuille constituant un édredon, ce vermisseau qui donnerait un air de gueuleton royal à son casse-croûte gelé, il plastronne. On le sent fier de sa tache rouge orangé qui le distingue de tous ces passereaux ordinaires. Il l’exhibe en se poussant du col. 

Un mince filet d’un soleil l’attire. Là où il frappe, la vie reprend. Le « bain » offert par cette timide chaleur constitue pour l’oiseau un cadeau simple mais tellement agréable. Rouge-gorge décuple son énergie et le réveille un peu plus. La nuit dernière a été pénible. Alors qu’il ne dormait que d’un œil, blotti à l’abri de l’air frais dans la blessure infligée par le temps à un chêne vénérable, il a été réveillé en sursaut par un bruit inhabituel. Rien à voir avec celui des ‘insectes’ pressés de la piste. Une énorme « bête »  toute de rouge vêtue avec une gorge blanche se tient sur l’arrière et glisse doucement. La « tâche » s’agite en poussant des animaux bizarres aux cornes branchues. Spectacle inconnu. Jamais vu.

Le « rossignol de l’hiver » laisse échapper une roulade de surprise. Il s’envole pour se réfugier sur les perchoirs plus élevés. Quel peut être cet étrange intrus ? Que fait-il au cœur de la nuit ? Où va-t-il avec sur une partie de son corps, une bosse dissimulée sous un couche verte comme l’herbe au printemps ? Tout se complique quand le monstre onirique s’arrête au bord de la piste. Il semble écouter la forêt comme pour retrouver le chant d’alerte lancé par le rouge-gorge. Il s’approche et cherche dans la frondaison dénudée l’intrus qui dit-il « l’a sifflé !

L’homme rouge à gorge blanche s’exprime dans le langage universel secret que tous les êtres vivants sur terre connaissent à l’exception des hommes trop dangereux pour le pratiquer. Pétrifié par cette apparition, l’oiseau ne bouge plus. « Que veux tu petit oiseau effronté ? » lance le visiteur sans forcer sa voix tant le silence règne le long de la piste. « Rien. J’ai eu peur de vous ! » avoue dans une tirade intimidée son interlocuteur. « Tu n’as aucune raison de me craindre. Je n’ai pas de fusil. Je n’existe que pour aimer tout ce qui vit et respecter les autres. Et toi rouge-gorge je te connais. Je sais que tu égayes la nature, les jardins et les cours de celles et ceux qui savent te respecter et t’accueillir. Tu seras donc le premier que je vais récompenser cette nuit. » « Gorge blanche » plonge sa main gantée dans la poche et en sort une poignée de graines lumineuses.

« Au bord de cette piste je vais semer pour toi des plantes qui te donneront le plus somptueux repas dont tu peux rêver. Reviens ici demain vers midi et tu te régaleras. Mais surtout ne mange pas tout. Sois patient. Si tu dévores de bonne heure ces graines tu n’en auras pas beaucoup plus demain. Pense aux autres. Partage. Sois respectueux et solidaire. Parmi les graines il y a une seule que tu dois préserver. J’espère que tu sauras la trouver ! Allez je file… » Le monstre se remet en branle, quitte la piste pour en tracer une vers les étoiles. Il disparaît dans la chevelure grise du ciel. Rouge-gorge n’a pas bougé. Il a dû faire un songe d’hiver. Ce matin il lui faut vérifier. Il a faim. 

Il sautille sur le bord de son territoire habituel. Il trouve encore moins de nourriture que sur le plateau sombre de la piste. Il soulève d’un coup de bec ou d’un geste rageur d’une patte preste,  les feuilles mortes. Rien. Le sol froid. Des brindilles sans vie. Après de vaines recherches il va vers son rai de soleil salvateur histoire de sécher sa déception. « Gorge blanche » était donc une illusion. Enfin presque ! Tout à coup  de la terre se mettent à pousser à un rythme accéléré, des dizaines de plantes qui n’existaient pas une fraction de seconde auparavant. Du blé, de l’avoine, du millet, des graminées et bien d’autres festins potentiels surgissent sur le bas-côté. Le rouge-gorge en est même effrayé. Il n’a jamais été aussi excité. Pourvu qu’aucun de ces coléoptères roulants ne s’annonce. Le rossignol de l’hiver piaille de joie. Il ne sait où donner de l’œil rond. Sa tête tourne dans tous les sens.

En se promenant à pattes jointes il découvre seule, oubliée, une splendide graine qui n’a pas bougé. Le menu parfait. La solution de facilité. Inutile d’attendre : il peut se rassasier sans effort. « Parmi les graines il y en a une seule que tu dois protéger ! » Le conseil du monstre ventru aux plumes rouges revient dans sa petite cervelle. Il hésite. Que doit-il faire ? Dans le fond si le visiteur de la nuit a tenu sa parole en ensemençant pour tous les rouges-gorges de la forêt le bord de la piste, il lui faut tenir la sienne. L’envie est forte. Il renonce. Il attendra que les autres tombent des plants devenus mûrs en quelques secondes. Rouge-gorge se retient.

Il regarde cette graine dodue et tentante. Elle se fissure. Elle s’ouvre et délivre une petite fleur bleue, modeste, fragile, timide, tendre qui se tourne vers le soleil sans en profiter pour grandir. Il la trouve splendide, poétique, unique par son éclat et sa forme dont elle change sans cesse.

Les oiseaux sont arrivés de toutes parts pour le repas de ce jour que les Hommes appellent celui de Noël. On se querelle. On vole. On crie. On se bat. On arrache la pitance dans le bec de l’autre. On mange plus que de coutume. Les merles noirs belliqueux débarquent et chassent tout ce beau monde, avalant à grands coups de becs jaunes les restes du jardin d’Eden créé par « Gorge blanche ». C’est la guerre ! En un clin d’œil tout a disparu dans la violence, la rivalité et la loi du plus fort. Les pillards se sont évaporés. Les plantes sont déchiquetées et ne donneront plus une graine. 

Rouge-gorge remonte dans son chêne. Il a froid. Il ne chante plus. Il regarde la petite fleur bleue qui n’a intéressé aucun des affamés. Elle lui sourit. Sa discrétion l’a sauvée. La paix est revenue jusqu’à ce qu’un « coléoptère » moins pressé que les autres, la découvre au bord du fossé. Il la trouvera belle et la cueillera en espérant la ramener chez lui pour la placer dans un vase. Elle y arrivera flétrie et morte. Elle finira à la poubelle des envies manquées. 

Les fleurs bleues n’aiment en effet que les rouges-gorges romantiques. Je l’ai rencontré le jour de Noël. Il a cligné de son œil rond quand je me suis approché comme s’il savait reconnaitre les hommes qui ont une fleur bleue dans le cœur. Il est venu manger dans ma main. 

Cet article a 15 commentaires

  1. christian grené

    Bonjour Jean-Marie. Dommage que tu n’aies pas écrit ce conte en… vers. Le rouge-gorge se fût régalé. Esope! Il va être temps de se réveillonner mes ami(e)s.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian…
      Il va être temps de… réveillonner, en attendant de souhaiter bon anniversaire à un ami…
      Ce sera pour lundi (un peu en retard puisque mieux vaut tard que jamais !)…
      Et de répondre à une amie… à la saint Glinglin, quand les poules auront des dents, le 30 février, sachant que mon anniversaire est le 07 … ? ? ? ! ! !

      1. christian grené

        Buenas tardes Laurita. Pourrais-tu ajouter le mois à ton 007 ?
        Abrazos. Signé: James Bond.

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon ami christian…
          Mais bien sûr, le voici avec quelques précisions fort utiles à la compréhension de ce que me fait revivre cette guerre d’Ukraine……
          Partie de Barcelone le 15 décembre 1938, après avoir fait à pied sous la mitraille Barcelone – la frontière sous les bombes, le mitraillage des routes, le vent, la neige… ma famille y arrive le 20/01/1939. Elle y reste jusqu’au 05/02 (16 jours… !) date où ils embarquent pour Bordeaux… puisque mon père est Français… Là, après avoir côtoyé « la mort », je fais connaissance avec la vie le 07/02/1939…
          Et voici enfin ma réponse à ta question : FEVRIER ! ! !

        2. Laure Garralaga Lataste

          Je viens de réaliser que moi aussi je suis un peu James Bond… !

  2. Christian Goga

    Depuis quelques jours les rouges gorges viennent taper aux carreaux. Je vais ajouter des fleurs bleues à la mangeoire que nous avons accroché.
    Bonnes fêtes à tous.
    Christian Goga

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Christian…
      Encore faut-il en trouver… !
      Bonnes fêtes à tous et à toutes.

  3. Laure Garralaga Lataste

    Comment distinguer un rouge-gorge mâle d’une femelle… ?
    Tout est dans la nuance… ! Pudeur et réserve pour l’une…
    J’attends vos réponses pour l’autre.

  4. J.J.

    Lorsque l’on entend chanter le rouge gorge, il faut s’en tenir volontairement à apprécier sa beauté et sa vivacité. En réalité, s’il s’égosille avec tant de conviction, c’est pour éloigner de potentiels rivaux. Oublions cette pénible réalité pour admirer son plumage et son ramage.
    C’est un hardi compagnon qui ne craint pas la présence des humains : alors que je jardinais, un de ces volatiles s’était posé sur mon plantoir piqué à côté de moi, j’ai failli le saisir dans la main, il s’est envolé de justesse.
    Merci Jean Marie pour ce beau conte.
    Joyeux Solstice à tous, maintenant les jours vont allonger !

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.…
      Dommage que l’Homme ne pratique pas « cette pénible réalité…  » !

  5. Genevieve Fain

    Merci Jean Marie pour ce beau conte qui m’a emmenée près de la Pimpine …tu as un réel talent. Je regrette que cette petite fleur bleue ait mal terminée !
    Passe de bonnes fêtes de Noël et de fin d’année avec ceux que tu aimes.
    Mes amitiés. G.

  6. véronique BROUSSIGNAC

    Très beau comte merci beaucoup passez de belles fêtes !!

  7. Laure Garralaga Lataste

    Merci Jean-Marie pour ce merveilleux conte de Noël qui met en avant deux valeurs qui nous sont chères… »Solidarité et Partage »… Deux mots magiques que trop d’êtres humains semblent avoir oubliés ! Protégeons-les précieusement en attendant des jours meilleurs.

  8. Denise Greslard Nédélec

    Conte cruel malgré sa beauté, comme la vie.
    Merci pour ce moment poétique de sagesse.
    Belles fêtes à toi, cher ami.
    Je t’embrasse bien affectueusement

  9. Grignet jacques

    Merci JeanMarie ! Quoi demander de mieux qu’un conte si bien tourné pour les fêtes de Noël !! Qu’il soit joyeux pour toi et ta famille …

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