You are currently viewing Souvenir d’un projet fondamental méprisé

Souvenir d’un projet fondamental méprisé

Au Congrès de Nantes en 1971 de ce qui est alors l’un de seul syndicat unitaire en France, celui des Instituteurs (SNI) est proposée la conclusion d’un long travail effectué sous la houlette de Guy Georges (1) alors chargé des questions pédagogiques. Un vrai projet de réforme en profondeur du système éducatif émerge sous le titre de « l’école fondamentale ». Il est porté par la majorité d’alors du SNI regroupée dans le courant Unité Indépendance et Démocratie. Les débats à la base ont été nombreux et virulents car cette volonté de gommer le passage entre l’école et le collège unique déplait fortement au SNES attaché à la notion de différenciation de statut et de fonction entre Instituteurs et Professeurs.

Lorsque l’enseignement s’est légèrement démocratisé à la fin des années 50, le pouvoir avait ouvert des Cours Complémentaires dont bien des enfants de ma génération ont profité. Les matières fondamentales étaient souvent assurées par des instit chevronnés n’ayant jamais fréquenté les universités. Lentement on évolua vers les Collèges d’Enseignement Général (CEG) dans lequel on nomma des Professeurs d’Enseignement Général de Collège (PEGC) ayant été formés spécifiquement durant deux ans. Ils alliaient souvent une solide expérience de l’enseignement primaire avec deux « spécialités » qu’ils devaient assumer dans le collège.

Le Ministre actuel de l’Éducation n’ayant plus grand-chose de nationale tellement les situations varient sur le territoire républicain, a découvert que la « fracture » entre les deux niveaux d’enseignement devenait une catastrophe en terme de niveau. Il lui faudrait rechercher dans les archives du Centre National de Documentation pédagogique les exemplaires « éventuels de l’École fondamentale. Il y verrait qu’il y a près d’un demi-siècle de modestes instits à laquelle j’ai la fierté d’avoir appartenu (2) s’en préoccupaient déjà et proposaient des solutions… qui n’ont bien évidemment jamais mise en œuvre.

Là où le SNI construisait un système solide, cohérent de 6 à 16 ans, le Ministre propose, comme toujours faute de courage et de lucidité? une mesurette qui ne changera pas d’y=un iota le constat actuel. Face au niveau préoccupant des élèves en mathématiques et en français à l’entrée au collège, il a en effet annoncé, « la création d’une heure hebdomadaire de soutien ou d’approfondissement dans l’une des deux matières en sixième« , dès la rentrée 2023. Les élèves seront répartis en petits groupes selon leur niveau. Cet enseignement sera assuré par des professeurs… des écoles élémentaires ! Tiens donc ! 

La thèse du SNI se présentait elle comme la seule vraie réponse pour démocratiser l’école, dans la continuité de l’œuvre de Jules Ferry et des « hussards noirs » de la République, en mettant l’accent sur la réussite historique de l’ordre primaire (Ecoles Primaires Supérieures et Cours Complémentaires) aux XIXe et XXe siècles. Le projet revendiquait aussi de se situer dans la continuité du Plan Langevin-Wallon, emblématique du programme des forces unies dans la Résistance (1er cycle du 1er degré de 7 à 15 ans). En réalité ce plan avait résulté d’un compromis entre SNI et SNES dans le domaine de la formation des maîtres (maîtres des matières communes et maîtres des matières spécialisées).

Le SNI récupérait des héritages donc, pour réaliser l’égalité des chances avec un plan moderne (s’appuyant sur des travaux scientifiques sur la psychologie de l’enfant, les exemples des pays scandinaves et socialistes) mais pragmatique (expérience des instituteurs) et réaliste (partir de l’existant pour une mise en œuvre par étapes).  L’école fondamentale bousculait donc les conservatismes de tout poil  et fut farouchement combattu par  les défenseurs du secondaire élitiste et bourgeois comme la Société des agrégés et le SNALC mais aussi par le SNES, comme par le pouvoir pompidolien puis giscardien qui ne cherchaient à réformer que pour moderniser la fonction de reproduction sociale de l’école. Rien n’a changé ! 

Une structure cohérente de la scolarité obligatoire de 6 à 16 ans: unité et continuité, pas de coupure entre l’école et le collège, et un collège unique accueillant tous les élèves constituait l’axe central du projet. Il plaçait l’intérêt de l’enfant au centre du système sur la base de l’ affirmation de leur diversité biologique et de la nécessité de révéler leurs aptitudes. Le principe clé en était : “à chacun son rythme” suivant sa “ligne de pente”, d’où une remise en cause des notions de niveau, de retard et d’échec scolaires. On est loin, très loin actuellement.

L’objectif n’était pas de former des “puits de sciences” mais de donner des connaissances de base et surtout d’apprendre à apprendre de nouvelles connaissances et d’éveiller la pensée et le goût. D’où la nécessité de refondre les programmes dans une continuité école-collège. Le maître unique de l’école fondamentale aurait eu la charge de la masse des enfants de 6 à 16 ans.

Formé à bac +3 dans des centres de formation départementaux (écoles normales “réadaptées”), dans la continuité de la formation de l’instituteur et du maître de CEG, dont le PEGC est aujourd’hui le modèle. Cette formation polyvalente avec un enseignement de base commun comportant un groupement mathématiques et scientifique, un groupement littéraire et un enseignement de langues vivantes avec des options pour transformer ces enseignements en dominantes. L’importance de la formation à la biologie et à la psychologie était soulignée avec des stages en situation pour développer l’observation des élèves.

L’école fondamentale a été combattu par corporatisme, par refus d’une reforme en profondeur dangereuse électoralement, par peur du changement et par préservation du système immuable mais faux de l’élitisme réputé républicain . On a satisfait le mammouth et on a simplement refusé de bâtir un véritable système éducatif cohérent. Les dégâts sont maintenant considérables. Une heure par semaine ? Un pansement sur une jambe de bois mort !

(1) Guy Georges a été secrétaire national du SNI de 1876 à 1983 et il était en 1971 responsable pédagogique du SNI. Il est venu deux fois à Créon pour la défense de l’école rurale en 1982 et pour y planter le 19 juin 2010 le premier arbre de la laïcité. Il est décédé

(2) J’étais alors secrétaire départemental de la commission des …jeunes du SNI 

Cet article a 5 commentaires

  1. J.J.

    Laisser ces petites « gens de terrain », de surcroît à la mauvaise réputation savamment répandue de « laïcards » et de sectaires, organiser l’enseignement ? Vous n’y pensez pas mon bon monsieur ?
    Et que ferions nous de nos énarques et autres parasites, grosses tètes et expérience nulle ?
    Et imaginez que les élèves ainsi traités deviennent trop intelligents et savants, que deviendrions nous ? Cultiver la médiocrité, en voilà un programme salutaire et économique !
    Pour le pouvoir en place à l’époque, d’après je ne me souviens plus quel sinistre de l’EN, la FEN était paraît -il une « féodalité à abattre ».

  2. Laure Garralaga Lataste

    Quand tu parles d’un temps que… « les moins de 80 ans encore en vie ne peuvent pas connaître ! » Et moi qui l’ai connu…
    C’est ainsi que je suis passée d’institutrice à… PEGC espagnol-français !
    J’exercerai un an à Langon, le reste à Floirac… Jusqu’à ce que le recteur Philippe Lucas ou plutôt Michel Redon, son directeur de cabinet, m’appellent à leurs côtés… où ils me confieront la lourde tâche « du suivi et des réponses » aux courriers d’élus et d’élues (peu nombreuses à l’époque), de syndicalistes, de chefs d’établissement, d’associations de parents d’élèves, de familles, de particuliers…

  3. christian grené

    Cher Jean-Marie, voilà le « Souvenir d’un projet fondamental parfaitement »… maîtrisé.
    A J.J. cette question: entre E.N. et F.E.N., c’est quand même pas F.N. qui reste?

  4. facon jf

    Bonjour,
    question importante que vous posez en filigrane  » comment réformer un système d’enseignement qui fait naufrage ? « .
    Comment revenir à la paideia, c’est à dire l’instruction et le corpus de connaissances fondamentales dont doit disposer un bon citoyen dans la Grèce antique?
    Comment réhabiliter l’éducation du peuple, telle que Condorcet, la prévoyait dans son projet de 1792. Un projet d’instruction publique fondé sur les principes d’égalité, de laïcité et de liberté. Il écrit alors dans son rapport : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à la raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. »
    Si Condorcet revenait, ici et maintenant, il serait navré de constater combien il avait raison.

    Merci aux enseignants du primaire qui m’ont inculqué les notions indispensables pour nourrir toute ma vie ma curiosité et mon envie de raisonner pour comprendre. Raisonner pour me construire ma propre opinion. Raisonner pour ne jamais être l’ esclave des « opinions de commande ».

    Bonne journée

  5. thomas jacques

    Bonjour Jean-Marie
    Que de souvenirs tu réveilles!En voici un autre: en 81 le nouveau recteur propose au sni de présenter son projet « d’Ecole Fondamentale »devant un areopage représentatif des parties concernées,syndicats,universitaires(question de la formation des enseignants),IPR,profs d’écoles normales, etc…Redoutable tâche qui me revient en tant que secrétaire académique du sni-pegc et surtout « petit prof » comme dsisait une certaine presse…
    Et la conclusion a fusé: »vous voulez primariser l’enseignement secondaire ».Nous savions que c’était le jugement de Pompidou, mais j’ai bien compris ce jour-là que le SNES était dans ce camp et que ce qui nous séparait n’était pas seulement idéologique:c’était la conception même du syndicalisme que nous ne confondions pas avec le corporatisme porte parole de revendications essentiellement catégorielles.Chaque jour je me dis un peu plus que nous voulions seulement éviter l’évolution que subit aujourd’hui notre système éducatif.
    C’est un autre choix qui a été fait,le choix au bénéfice de l’enseignement privé, qui concentre au niveau du collège les enfants des familles les plus favorisées*.En somme le choix d’une Education à 2 vitesses, comme celui d’une santé à 2 vitesses.
    *:LE MONDE du 8/11

Laisser un commentaire