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La crêpe doit être une œuvre du coeur

Jeudi ça a sauté dur dans tous les coins! Mieux certains maîtres-queux se sont amusés à expédier au « septième ciel » leurs créations pour les récupérer avec jubilation afin d’épater les spectateurs. Il faut une véritable adresse, un poignet habile et surtout une préparation réussie pour obtenir le résultat souhaité.

Depuis la vielle on a pensé dans les « chaumières » à ces instants privilégiés durant lesquels on partage le vrai plaisir de déguster une fabrication maison . Chacune des spécialistes a sa recette et surtout ses astuces pour arriver à son objectif consistant à entasser des gourmandises pour respecter une tradition, celle des crêpes.

La Chandeleur permet en effet de retrouver des sensations souvent ancrées dans l’enfance et d’en créer pour les jeunes générations. Il existe autour de ce rendez-vous ce sentiment agréable de participer à un passage de témoin au sein de la famille. On hérite d’un secret pour les doses, pour les arômes, pour les ustensiles et on va s’efforcer de persuader la tablée que le résultat en dépend.

Les grands-mères ont, en général les ingrédients et les proportions dans leur tête alors que souvent les mères les ont notés sur une page quadrillée. Ce n’est pas pourtant pas décisif car rien n’est vraiment figé et la qualité dépend essentiellement du tour de main. Et ça je ne sais si c’est inné ou le fruit d’une longue expérience. Une « reine des crêpes » n’existe que si justement une solide confiance en son talent.

D’abord la « crêpière » doit anticiper sa prestation et préparer une pâte qui relève d’une alchimie personnalisée. A Créon nous savions par exemple que Jeanine  possédait la science de cette préparation laiteuse aux reflets ambrés dont elle gardait jalousement les proportions. Elle fut incontestablement une artiste de la Chandeleur dont on garde le souvenir ému.

Il fallait, selon elle, tamiser et aérer la farine car l’ennemi de la crêpe n’est autre que le grumeau et elle expliquait, sans autre précision, que la fluidité de la matière première constituait la condition expresse de la réussite. Laisser reposer au frais (pas au froid) sous un linge fin la pâte toute la nuit avant de la battre à nouveau vigoureusement constituaient le second point important. Les « pâtes fraîches » ne feront jamais des crêpes légères et surtout elles ne permettront pas une cuisson parfaite. 

La touche personnelle essentielle tient dans le choix du parfum. La bière est parfois utilisée pour fluidifier la pâte mais les avis sont partagés sur cette technique d’appoint. Le rhum a son intérêt mais il ne permet pas là encore la finesse de la réalisation finale. Selon l’éminente spécialiste créonnaise la fleur d’oranger constituait le meilleur des ajouts à la pâte initiale quand d’autres ajoute du zeste de citron.

Non alcoolisés ces suppléments gustatifs ne pénalisaient pas la texture de la crêpe car ils ne brûlaient pas dans une poêle à 200-220 °. La encore selon elle, il était indispensable de bien maîtriser la température des feux sur lesquels on pose la poêle car autrement le résultat risquait d’être catastrophique en matière de cuisson. !

Avant « l’arrivée des «outils qui n’attachent pas » la finesse de pellicule d’huile nécessaire à une cuisson rapide et protégée s’avérait décisive. On utilisait un système parfait avec une pomme de terre crue au bout d’une fourchette. L’amidon et le corps gras rendaient le fond de la poêle parfaitement lisse et uniforme. Il y avait aussi la gaze fixée elle-aussi sur le même ustensile de cuisine que l’on frottait soigneusement avant de déposer en tournant la louche de pâte reposée.

Le jeu du poignet prend alors toute son importance pour répandre harmonieusement la matière première. Ce geste requiert une grande expérience gestuelle pour faire couler la louchée mais aussi une appréciation intuitive forte (au décigramme près ) de la quantité de pâte à répandre sur la surface chaude. Pas facile pour les néophytes qui ont tendance à forcer sur la dose et obtenir des crêpes lourdes épaisses, mal cuites. La véritable performance c’est justement de réaliser le contraire en déposant après le fameux saut dans l’air parfumé de la cuisine, sur une assiette une œuvre la plus fine possible, la plus dorée possible (sans tâches noires) obtenue après un temps de cuisson très limité.

La reine de la crêpe créonnaise parvenait grâce à une parfaite synchronisation de tous ces paramètres à mener de front quatre poêles différentes. Essayez donc déjà avec deux et vous verrez la difficulté de l’exercice. Elle arrivait donc à « produire » des centaines de crêpes en quelques heures. Aucune d’entre elles ne finissait sur le carrelage ou… sur le buffet car le spectacle était absent de sa prestation. Efficace, adroite, concentrée, méthodique elle tournait et retournait des crêpes délicieuses car légères dans tous les sens du terme. Une stakhanoviste de la crêpe.

Le matin de la Chandeleur Jeanine venait elle même, à la maison comme depuis des décennies pour nous distribuer la première volée de ses créations. Elle avait beau depuis le temps mettre une pièce dans sa main en faisant virevolter une crêpe elle avait le cœur tellement généreux que jamais elle n’ a été riche. Elle donnait. Elle offrait. Elle aimait partager; 

Comme dans bien des domaines sociaux, seules les personnes qui se préoccupent vraiment du bonheur des autres savent réussir ces trésors familiaux qui ne souffrent surtout pas d’autre additif que du sucre en poudre fin et en quantité très mesurée. La simplicité va bien aux crêpes alors que souvent on dissimulent leur fadeur ou on abrase leur légèreté avec des compléments inutiles. Proust et sa madeleine n’ont qu’à bien se tenir !

Une crêpe réussie est en effet simple, modeste et aérienne comme celle qui l’a créée et elle reflète le plaisir qu’elle a mis à vous la proposer ! La crêpe ne peut être que le fruit de l’amour, de l’amitié et du partage. 

Cet article a 13 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Moi, je ne connais que la vielle à roue ! Mais tu as sûrement raison, au son de la vielle, les crêpes dansent avec joie… !

  2. mlg

    La recette de JEANINE est également la mienne ! Que du bonheur!

  3. Gilbert SOULET

    Miam , Miam !
    Selon l’éminente spécialiste créonnaise la fleur d’oranger constituait le meilleur des ajouts à la pâte initiale (quand d’autres ajoute du zeste de citron.)
    C’est un régal chez nous aussi !

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Gilbert…
      Ce Miam, Miam ! m’inquiète…
      « Me laissera-t-il des miettes de crèpes… ? »

      1. Gilbert SOULET

        Laure bonjour
        Non, je vous laisserai les crêpes entières !
        A+, Gilbert aux 83 printemps …

        1. Laure Garralaga Lataste

          Gilbert re-bonjour

          Gracias y para con Vd… En España se usa más el tú…
          83 printemps comme moi… ! Mais le 07/02 j’en aurai 84…

          1. Gilbert SOULET

            Mes respects Laure
            Et bon anniversaire pour vous et les vôtres le 7 février prochain

  4. J.J.

    Je ne pratique aucune routine dans la production de crêpes , à par quelques incontournables , comme tamiser la farine et passer un coup de mixer pour « homogénéiser » la pâte, j’emploie rarement deux fois de suite la même recette. Cette année, j’avais un reste de farine de riz ajoutée à la recette « classique « et une noisette de beure fondu (pas besoin d’huiler la poêle), un bonne initiative, ça fait des crêpes légères.

    1. Laure Garralaga Lataste

      à mon ami J.J…
      Je constate que le ventre est plus réceptif que le cerveau…
      Quand le cerveau a choisi… « la légèreté »… ! à bientôt !

  5. christian grené

    S’cusez-moi M’sieur, j’ai rien trouvé de mieux: Grand-mère fait des crêpes, Grand-père fait des crèmes. J’voulais surtout dire bonjour à tout le monde.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian…
      Je te souhaite une bonne sieste…
      Tandis que je retourne au turbin… !
      Tu ne m’oublieras pas !
      « No me olvides… !

  6. Nami

    Merci, bonne chandeleur à vous aussi.

  7. Florence OVEJERO

    Elle aimait faire des crêpes pour ses amis !
    Tu bénéficiais toujours de sa première « fournée » !
    La mairie n était jamais oubliée !
    Le rhum parfumé sa préparation et papa veillait au grain ! Il etait le maître « sucrier »
    Merci pour encore ce bel article et ce bel hommage !

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