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L’œil de bœuf ne reflète pas la fête

La vaste place de Bazas sur laquelle veille la cathédrale ne rêvant que de son rôle passé s’est transformée en arène bondée autour d’un espace réduit qui attend ses vedettes. Une partie de la foule bigarrée, diversifiée et bruyante lézarde sous les caresses d’un soleil printanier quand l’autre se blottit dans l’ombre fournie par les immeubles altiers de ce lieu chargée d’histoire. Des grappes humaines exubérantes inspirées par une table plus ou moins garnie tentent de se frayer un chemin vers le parcours d’une « quadrilla » animée par des fifres acidulés précédant une cohorte de rutilants« tractomonstres » tirant des remorques travesties en scènes campagnardes.

Un rassurant mélange de spectateurs affirmant leur identité par le port du béret landais et de curieux de tous les âges venus se plonger dans un bouillon de culture rurale ayant résisté à l’usure du temps, envahit une cité désormais gérée par Isabelle la Dynamique. Bien d’autres campent aux abords du centre ville assiégeant le Cercle où derrière le comptoir des hommes servent des canons alors que des « madelons » serviables pratiquent avec dextérité la mise en bière. Il faudra attendre quelques heures pour vérifier les dégâts. Les fûts n’ont pas le temps de se réchauffer. Pou eux il n’y a pas d’effet bœuf mais simplement une opportunité de partager leur statut de dévots au culte de la convivialité.

Au foirail, les camions se rangent méticuleusement devant des couloirs de récupération de leur précieuse cargaison. A distance respectable le public s’est massé pour assister à l’arrivée très attendue des participants au concours réservés aux hôtes choyés des étables. Les taureaux de la race bazadaise n’affichent pas le sang chaud de leurs célèbres collègues hispaniques, ils témoignent cependant d’un caractère bien trempé nécessitant de bien les cadrer pour leur entrée sur la scène de la vie. Une descente ressemblant pour eux à celle des enfers leur permet de l’exprimer.

Les colliers de chaînes robustes, les cordes au diamètre conséquent et les précautions prises par leurs accompagnateurs témoignent de la dangerosité de ces bestiaux de plusieurs centaines de kilos dotés parfois de cornes robustes et acérées. Ils renâclent, regimbent, témoignent de leur agacement ou de leur révolte logiquement perturbés par des processus n’appartenant pas à ceux de leur quotidien. Pour eux depuis leur naissance, c’est « lolo », tourteaux, dodo ou broutage massif de l’herbe fraîche des prés.

Se retrouver solidement attachés au cul d’une remorque, les naseaux sur du goudron stérile dans les vapeurs gazolinées du tracteur, installés dans le brouhaha et l’agitation de ces drôles de bonhommes qui les entourent ne les incitent pas à l’optimisme. Le passage aux toilettes pour permettre aux officiels de faire une effet vache en intéressant à leur croupe offre un moment sympas le calvaire du défilé dans les rues bondées.

Dans leurs yeux ronds peu expressifs défilent pourtant la crainte, la colère, l’étonnement ou la lassitude. L’œil de bœuf laisse paraître le ressentiment sur ce monde bizarre qui tout à coup l’entoure. Il voit tout en noir depuis leur venue au monde sur un lit de paille et ce n’est pas en ce jour qu’il en sera autrement. Le jury se foutra pas mal de leurs états d’âme. Le galbe de leur croupe, l’esthétique de leurs formes, la qualité de leur pelage apprêté avec amour par leurs proxénètes prêts à les mettre à disposition du plus offrant suscitent des commentaires dans les rangs du public. Se doutent-ils que tout cet intérêt prélude à un sort néfaste ?

La fête des bœufs de Bazas a toujours été depuis 740 ans un rendez-vous ambigu. Il le demeure. Cette mise à l’honneur de créatures élevées avec vraiment toutes les attentions pour finalement être livrés à une exécution capitale à quelque chose de moralement dérangeant. Des milliers, des dizaines de milliers de photos ont été prises comme pour les immortaliser. Un prêtre leur a donné l’extrême-onction. Couvert de médailles le vainqueur du jour fera certes le bonheur de son mentor mais aussi celui du boucher qui le transformera en viande d’exception.

Aucune fierté dans on œil globuleux. Simplement de la lassitude. Il s’en moquait pas mal des cocardes et des rubans. Il ne rêvait pas de gloire mais de tranquillité, de vertes prairies ou de paille sèche. « Ave, Caesar, morituri te salutant » pourrait être le résumé d’une journée du partage retrouvé, de l’échange renoué et plus encore du plaisir réel de se retrouver sans complexe autour d’une table de liberté et de fraternité. L’effet bœuf existe bien. 

 

Cet article a 8 commentaires

  1. PConchou

    J’ai assisté il y a quelques années au défilé scandaleux de ces pauvres bêtes enchaînées comme des esclaves et traînées malgré elles à travers les rues de Bazas.
    A vous dégoûter de l’entrecôte.

  2. J.J.

    Il y a quelques décennies, on ne se posait pas de question morale à propos de la souffrance animale et du sort des animaux d’élevage. Cette prise de conscience me semble parfaitement justifiée, constater que l’on se nourrit parfois de denrées résultant d’une cruelle entreprise. Le pire, qui a cependant toujours été réprouvé, est atteint par des individus qui martyrisent des animaux pour ce qui semble être leur sadique plaisir ou qui simplement les abandonnent.
    Mais c’est une prise de conscience contemporaine, les chasseurs cueilleurs et leurs descendants, dont nous sommes , ne se posaient probablement pas de telles questions, sinon manger ou mourir de faim, ou être mangé.
    Mais quand je vois la misère et le malheur qui touche certains peuples, le spectacle insoutenable des famines, guerres, répression, certes on peut prendre conscience de la maltraitance animale, mais il y a hélas des sujets plus graves et désolants encore.

    « En même temps »(sic) on est partagé entre ce que le spectacle peut avoir de dérangeant et la perpétuation d’une tradition séculaire appréciée, réveillant une belle citée.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.…
      « Vivre en mangeant »ou « Mourir de faim » n’est-ce pas là notre dilemme… ?

  3. christian grené

    Il était instit’ lui aussi. Elu conseiller général (PS) de la Gironde, puis conseiller régional, il finit sa carrière sur les bancs de la Haute Assemblée avant de quitter ce monde en 1993 après vingt ans d’une carrière politique chargée. Que pensait-il de cette vieille tradition bazadaise?
    Il se prénommait Marc.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian.…
      Et je l’ai bien connu !

  4. Gilles Jeanneau

    Je rejoins tout à fait les commentaires de J.J sur ce sujet.
    Il n’y a rien à ajouter…
    Bonne journée à toutes et tous

  5. MARTINE PONTOIZEAU-PUYO

    bonjour,
    je ne suis jamais allé voir la fête des bœufs gras à Bazas. je ne pense pas y aller un jour.
    admirer ces animaux qui vont être tués pour la gastronomie, non je ne pourrai.
    en prenant de l’âge j’ai de plus en plus de mal à manger de la chair, de la viande. je comprends les végétariens, moi c’est parce que j’aime les animaux et que j’en possède.
    Quant à Marc je l’ai bien connu, j’aimais beaucoup cet homme d’une exquise courtoisie.

  6. christian grené

    J’évoquais ce matin la figure de Marc Boeuf, un homme admirable, mais j’ai oublié en même temps de vous souffler que c’était aujourd’hui l’anniversaire d’un autre ancien conseiller général bien connu des amoureux de la Roue Libre. Si Jésus est né entre le boeuf et l’âne (?), sûr que l’instit’ m’aura coiffé du bonnet qui sied au compagnon de route de Sancho Panza, moi qui suis né un 25 décembre. Raison pour laquelle je m’en souviens sans avoir à le noter sur un agenda. Pardon St André!

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