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Vivre… livre à fond et avec passion

Mes rapports avec le livre ont ressemblé dans mon enfance à ce qu’éprouve un gourmand en passant devant la vitrine du pâtissier regorgeant de gâteaux tous plus alléchant les uns que les autres. Épouvantables moments que ceux où je n’avais plus rien à lire. Et c’était souvent. En dehors de Noël où en une ou deux occasions il me fut offert des ouvrages trop sérieux, il me fallait puiser dans tous les rayons où ils sommeillaient. L’obsession de lire ne me quittait pas au point que je ne reculais devant rien. Tout faisait lecture.

Bien entendu le premier gisement d’ouvrages accessibles se trouvait sur quelques étagères vert clair de la classe. Un trésor inestimable. Couverts de papier kraft ce qui les privait de leur couverture alléchante ils étaient là depuis des lustres quoi qu’ils en aient manqué. Peu importe ces albums devinrent des pépites, des compagnons irremplaçables de rêve, des pays des merveilles où Alice ferait ses emplettes d’évasion. Leur nombre réduisit rapidement mon royaume des mots et des images.

Me retrouver avec « Le petit wagon rouge » méprisé pour sa différence de couleur et de statut par le reste du convoi ne me déplaisait pas. Je l’ai lu et relu et re-relu au point que presque soixante-dix ans plus tard à m’en souvenir. Je jubilais quand l’exclu placé en queue du train, sauvait tous ses « collègues » incapables de gravir un chemin de fer en côte en raison de leurs poids. Que j’étais fier de lui quand il s’arc-boutait, serrant ses freins pour empêcher que la rame redescende pour se disloquer. Le « petit wagon rouge » fut ma première approche des effets du mépris orgueilleux, de la suffisance honteuse contrecarrés par la vaillance, la modestie et la volonté.

Le Père Castor m’a pris sur ses genoux pour me conter des histoires à ne pas dormir debout. « Boucle d’or », « Apoutsiak le petit flocon de neige », « Roule Galette » et deux ou trois autres m’ont nourri un temps à satiété d’aventures naïves immortelles. Mon appétit pour la découverte me fit vire leur tourner le dos pour tenter de déguster des ouvrages ayant moins d’images mais plus de textes. Le rose ou le vert du dos de certains bouquins avaient quelque chose d’attirant d’autant que souvent il dissimulait des aventures époustouflantes. Tous y passèrent !

J’avais un penchant pour les personnages défiants l’ordre établi. « Hornblower commandant » ou « Lieutenant de Surcouf », « L’île au Trésor » ou «  Robinson Crusoé » s’installèrent dans mes souvenirs. Là encore, ils revenaient souvent dans la liste des disponibilités et donc je les retrouvais faute de mieux. Grâce à la lampe électrique rectangulaire discrètement empruntée dans le tiroir de secours du buffet jaune de la cuisine je retrouvais mes héros sous les couvertures.

« Le capitaine Henri de Bournazel » et ses expéditions dans le Rif morocain, « Sahara » avec ses Touaregs, « Naufragé volontaire » de Bombard… et d’autres dont je ne me souviens plus constituèrent des plats de choix qui repassèrent plusieurs fois. Tout Dumas, tout Jules Vernes : j’ai combattu avec les Mousquetaires et voyagé en ballon, sous les eaux ou dans le cœur de la terre. J’ai perdu mes repères et la masse des bouquins étouffe mes souvenirs. 

Le pire moment de la semaine se situait le samedi en fin d’après-midi après que nous soyons passés à la douche lorsque le Bibliobus était passé pour renouveler une trentaine d’ouvrages. Le maître faisait compter le nombre de « très bien » disposés à l’encre rouge dans la marge du cahier du jour puis le nombre de « bien ». Celle (c’était en effet souvent les filles) qui en avait le plus filait choisir en premier le livre de son choix. Les albums de Tintin me filait sous le nez au moment de leur arrivée… bien que je ne sois jamais très loin. Il y en avait deux ou trois chaque fois et la lutte était sévère. Quand je le glissais dans mon cartable je ressentais une jubilation indescriptible que peu d’enfants actuels connaissent ou connaîtront.

La mutation vers la bibliothèque « Rouge et Or » (très rare à l’école) me conféra la sentiment d’entrer chez les grands. Leur prix était inaccessible pour mes parents. En découvrant la réserve de la bibliothèque paroissiale de Créon dissimulée derrière un rideau au fond du magasin historique des vêtements Peytou je pus me rassasier. Je n’y retrouvais pourtant que des bouquins bien-pensants mais peu importait. La réserve était inépuisable. Elle me permit de tenir le coup. D’autant que Sud-Ouest devint ma passion et notamment les pages des sports.

Mon grand-père Abel chez qui nous apportions après le déjeuner le journal de la Mairie me répétait sans cesse après l’avoir lu que « ce n’était pas la peine que je m’y intéresse car ce n’était que du bourrage de crâne et du montage de bourrichon ». Comme il découpait en huit les grandes pages pour les accrocher à un fil de fer en boucle dans la « cabane au fond du jardin », je passais mon temps sur le trou de la planche pour reconstituer avec des fortunes diverses les articles. Que de moments heureux, que de voyages merveilleux, que d’épopées enivrantes réveillés par l’annonce de la sortie d’une énième version cinématographique des trois mousquetaires !

Cet article a 7 commentaires

  1. christian grené

    Lire, lire, lire, jusqu’à fond de tirelire. C’est quand même mieux qu’élire pour une graine d’ananar!
    Lire jusqu’à plus soif. Pour ça, rien de mieux que la bibliothèque Rosé. Et lires pour les Italiens.

  2. J.J.

    Pour te donner une idée de ce que l’on lisait dans mon jeune temps et de la façon d’opérer de notre maître de 7ème (CM2). Extrait de mes « mémoires ». J’en ai d’autres sur mes lectures préférées de l’époque, textes et BD, « cum commento ».

    « Le samedi après midi avait lieu la « cérémonie » de la bibliothèque. Le maître sortait un livre, ’il nous le présentait brièvement et les élèves intéressés levaient la main. Pour certains titres il fallait instituer une liste d’attente. Je me souviens surtout des romans de J.O. Curwood (Bari chien loup, les Chasseurs d’Or), ou de Jack London (Croc blanc, Belliou la Fumée) dont les actions se situaient dans le Grand Nord. Parmi les ouvrages « français », c’est le roman « Peau de Pêche », de Gabriel Maurière, racontant la vie d’un jeune orphelin de la guerre de 14/18, qui rencontrait le plus de succès. Quand nous rapportions nos livres, il fallait évidemment faire un petit compte rendu et donner un avis sur notre lecture. »

  3. François

    Bonjour J-M ! !
    « En découvrant la réserve de la bibliothèque paroissiale de Créon dissimulée derrière un rideau au fond du (célèbre !) magasin historique des vêtements Peytou je pus me rassasier. »
    Comment, toi, le « rebello-socialo » en devenir, tu avoues cet écart de ligne de conduite ? Mais c’est pire qu’un écart car il y a récidive dans le temps: la Paroisse devrait intenter un procés ! …. pardon … il y a prescription ? Ah bon … là aussi ! ! !
    En souriant,
    Amicalement.

  4. facon jf

    Bonjour,
    la passion de lire ou comment se transformer en voyageur immobile. Le livre objet sacré pour le peuple du livre. Le livre que l’on peut plier,corner, gribouiller, colorier, annoter, déchirer pour mieux le transporter.
    Le livre refuge des bienheureux libres ou prisonniers ultime objet de l’évasion capable de nous transporter aux confins de la galaxie, dans les recoins les plus secrets de la matière et des esprits ou dans le ici maintenant et dans un futur sans limites.
    Le livre cet objet sans piles ni batteries qui contient la mémoire de notre triste espèce.
    Le livre qui éclaire les périodes et les temps les plus obscurs sans aucune énergie.
    Le livre qui fera découvrir les peuples avec leur pays et leur langue.

    Merveilleux livre qui construit l’imaginaire des plus jeunes. Ainsi cet anecdote d’un enfant qui sortait de la projection d’un Tintin et se plaignait que son héros n’avait pas la même voix que dans les albums !!
    Les livres nous font vivre oui ! lire c’est vivre!

    Bonne journée

    1. facon jf

      cette anecdote … toujours se relire encore et encore

  5. Alain.e

    Bon, je me fais une fleur quand je vous lilas à tous sur le blog de JMD et profite aussi de la liberté d’ expression qui nous reste …
    Mes plus lointains souvenir de lecture , c’ était Rémi et Colette en cp , le livre d’ apprentissage de la lecture ,qui s’ appellerait surement aujourd’hui , Jennifer et Dylan et iel …
    O tempora , o mores .
    Nous avions également la chance d’ avoir la buraliste du village qui savait que nous ne roulions pas sur l’ or , et nous donnais ses invendus avec la couverture arrachée pour ses retours .
    Du coup , plein de BD , Pif Gadget, Rahan , Blake le roc , etc…
    Une autre époque évidemment .
    Cordialement.

  6. LAVIGNE Maria

    Quel bonheur de feuilleter, humer l’odeur d’un livre neuf convoité. Pas d’argent chez nous mais l’institutrice me permettait de choisir dans la bibliothèque de l’école des livres que je pouvais ramener à la maison et ainsi faire partager ce plaisir à tous. Plus tard, mes enfants ont pu consulter des collections sur l’histoire, la nature, la géographie, pas d’internet à cette époque là. Puis l’arrivée de nos petits enfants a ravivé le plaisir et l’envie d’acheter des livres pour eux. Le meilleur moment pour moi, c’était d’entendre « mamie, encore une histoire » avant de dormir…
    Les livres m’ont permis de m’évader, de voyager sans prendre l’avion, de rêver

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