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Il faudra être de bonne constitution pour battre en retraite

En fin d’après-midi le conseil constitutionnel rendra son verdict tant attendu sur le texte adopté sans vote de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS). Il ne doit pas se prononcer sur le fond de la réforme mais sur la forme de ce qui constitue un sujet ayant tenu le pays sur le pied de guerre depuis de longues semaines. En fait en restant dans ses bottes le Président a réussi à transférer la responsabilité vers une instance non-élue et non-redevable de ses prises de position vis à vis des Françaises et des Français. Il n’aura pas cédé « à la rue ou à la foule » et s’il le fait (ou ne le fait pas) ce seront les membres de cette docte instance qui porteront le chapeau.

Cette stratégie porte un énième coup dangereux à la démocratie représentative. Là où ni l’Assemblée nationale ni le Sénat ne se sont prononcés il revient à une structure dont les membres sont nommés sur la base de considérations politiciennes de décider de l’âge de départ à la retraite de millions de personnes. Ce sera une première car jusqu’à présent les textes ayant été analysés par ceux que l’on nomme les sages résultait d’un vote majoritaire de l’assemblée nationale en seconde lecture. La tendance actuelle conduisant à ce que ce soit la « justice » qui fasse la loi par ses décisions sur de multiples sujets trouve une illustration de sa réalité au plus haut niveau de l’État.

Lorsque le verdict sera connu il fera jurisprudence pour l’avenir. Afin de contourner l’obstacle parlementaire une stratégie certes conforme aux règlements internes des assemblées se trouvera validée. Devenue la seconde personne politique la plus appréciée des électrices et électeurs la Marine nationale s’en souviendra si elle arrive au pouvoir et n’obtient pas une majorité de député(e)s. Les étapes ont parfaitement été définies dans l’approbation de la loi en cause. Si le Conseil constitutionnel considère qu’une mesure concernant l’avenir d’une grande majorité de la population peut passer valablement par une « loi rectificative » d’un texte adopté par le 49-3 il en est fini du rôle des parlementaires.

La technique du rattachement ouvre des perspectives jusque-là inexplorées débouchant éventuellement sur des lois liberticides ou dévastatrices pour le pays. Une telle pratique contourne la limitation de l’usage du 49-3. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’usage du 49.3 est en effet limité à un seul texte de loi par session parlementaire. Sauf, projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale, pour lesquels le Premier ministre peut y recourir sans aucune limite. D’où l’idée de transformer la réforme de retraite en appendice du financement de la sécurité sociale. Il est probable que la majorité du Conseil constitutionnel n’ira pas jusqu’à condamner cette procédure qui annihilerait toute la loi.

Une telle prise de position n’aurait pourtant rien d’illogique étant donné qu’aucun vote n’a été effectué et que le débat a été écourté. La faute de LFI aura été de ne pas permettre avec la complicité du gouvernement ravi de l’aubaine l’expression des positions sur le fameux article 7. En tablant sur un déni démocratique mettant le Président en mauvaise position ils ont évité à leurs collègues de LR de se défiler. Ce soir l’annonce sera probablement mi-figue, mi-raisin puisque toutes les mesures à caractère « social » seront retoquées mais sans que l’âge de 64 ans soit remis en cause.

Le transfert vers les « sages » non-élus constitue une véritable faillite démocratique. Le Président et le gouvernement auront beau jeu d’expliquer « c’est pas nous ce sont eux ! » dans tous les cas. La vindicte anti-réforme a d’ailleurs vite viré de cap. Les forces de l’ordre en masse protègent l’aile du palais Royal (sic) située Rue Montpensier et il est certain que des incidents violents s’y produiront aujourd’hui selon les délibérations publiées. L’Élysée et Matignon vont pouvoir souffler un peu et se permettre de condamner des comportements irrespectueux à l’égard du fonctionnement de la République.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose dans son article 6 que « la Loi est l’expression de la volonté générale ». Le Conseil constitutionnel, censurant une loi, votée par le Parlement, incarnation de la souveraineté nationale, s’opposerait donc, en théorie, à la volonté générale. Sauf que celle qui est en cause n’a jamais été votée… et risque de ne jamais l’être. Le mépris mène aux pires excès. On aura le malheur de le vérifier.

Cet article a 7 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour Jean-Marie et merci
    L’Article 18 est prenant aussi !
    Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. – En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

  2. Laure Garralaga Lataste

    En ce 14 avril qui, pour l’Espagne est la journée de la République odieusement assassinée par Franco, je me permets de nous unir à Gavroche… dans un même combat contre l’obscurantisme « Je suis tombé par terre, … c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau… c’est la faute à Rousseau… ! »

  3. J.J.

    « Là où ni l’Assemblée nationale ni le Sénat ne se sont prononcés il revient à une structure dont les membres sont nommés sur la base de considérations politiciennes …… » et dont au moins l’un d’eux est un repris de justice(définition dico Larousse).

    Il est vrai que ça devient à la mode, le pouvoir « renouvelant et confirmant » toute sa confiance en ces individus qui bénéficient certes de la présomption d’innocence, mais dont le corolaire est la présomption de culpabilité.

  4. facon jf

    Bonjour, quelques principes sur le fond pour commencer.
    Pour être légitime, une loi doit être justifiée et rationnelle : ainsi, l’homme consent à s’y plier.
    Les lois doivent être justes et égalitaires.
    Le contrat social implique que le citoyen soit à la fois sujet et souverain des lois.
    Le peuple – par la médiation de la représentation – est simultanément, comme le souligne Rousseau, sujet et souverain quant aux lois. C’est sur le fond de cette souveraineté que le contrat social s’opère.
    « Quand les législateurs s’efforcent de ravir et de détruire les choses qui appartiennent en propre au peuple, ou de le réduire en esclavage sous un pouvoir arbitraire ; ils se mettent dans un état de guerre avec le peuple, qui, dès lors, est absous et exempt de toute sorte d’obéissance. » John Locke dans le Traité du gouvernement civil.
    Voila pour le fond, voyons maintenant la forme.
    Comment un inconnu politique est arrivé à la magistrature suprême de notre pays ?
    Ce résultat est le fruit d’une assez extraordinaire manipulation. Une des causes profondes de ce « hold-up » trouve ses racines en mai 2005, avec le référendum qui rejetait le traité constitutionnel européen. C’était un véritable défi lancé au bloc élitaire qui, dans toutes ses composantes, s’était mobilisé pour le oui.
    On sait ce qu’il en a été du respect de la souveraineté populaire ; personne n’aura oublié la forfaiture de mars 2008, lorsque François Hollande apporta à Nicolas Sarkozy les voix du Parti socialiste au Congrès, voix sans lesquelles le forfait démocratique de la ratification du traité de Lisbonne n’aurait pas été possible. C’est ainsi que le bloc élitaire a garanti l’arrivée assurée de la Marine nationale au second tour garantissant de ce fait la victoire à son opposant. Le 23 avril 2017, Emmanuel Macron, avec 16 % des électeurs inscrits, se retrouva qualifié pour le deuxième tour, où, présenté comme un rempart contre un fascisme fantasmé, il l’emporta facilement. La mise en orbite de ce satellite radicalement inconnu jusqu’alors n’aurait pas pu se faire sans l’opération judiciaire lancée au beau milieu de la campagne électorale contre le candidat de la droite François Fillon *, que tout le monde donnait jusqu’alors comme futur président.
    Le conseil Constitutionnel, si il avait agit comme une instance impartiale, aurait dût invalider les comptes de campagne du candidat Mac-Ronds. Le financement de la campagne d’Emmanuel Macron a bénéficié de façon incontestable de financements plus que suspects, à commencer par l’utilisation des moyens de l’État et des collectivités locales au soutien du candidat, ce qui est radicalement prohibé. Il y a eu ensuite toute une série d’apports de particuliers qui, comme l’a relevé le député Olivier Marleix, ressemblaient à des rémunérations de service et à de la corruption. Et l’on sait depuis déjà longtemps le rôle joué par le cabinet McKinsey, aujourd’hui confirmé par des témoignages internes. Il y a eu aussi bien sûr dans le domaine de la communication une invraisemblable et massive propagande de la presse audiovisuelle et écrite entre les mains des oligarques français, provoquant un déséquilibre majeur dans le débat démocratique et altérant ainsi la sincérité du scrutin. Je ferais juste observer que la Commission nationale des comptes de campagne, n’a rien fait non plus . Il serait sûrement complotiste de relever l’augmentation copieuse (57 % !) de la rémunération de son président dans les semaines qui ont suivi …
    Le Conseil Constitutionnel, comme le révèle le « volatil » de cette semaine, s’assoit souverainement sur les lois qu’il est censé défendre. Depuis 6 ans le Conseil refuse d’appliquer l’obligation de déclarer le patrimoine et les intérêts de ses membres en dépit de la loi votée en 2017 par l’ assemblée Nationale!!! pour les leçons de déontologie ( des hontes au logis ) on repassera. Pour ce qui est de leur plantureuse rémunération on apprend dans le même canard qu’ils ont ( ou se sont ? ) été augmenté de 73% sur une base illégale. Mais bon, c’est le prix de la sagesse grassement rémunérée.
    je n’aurait pas l’outrecuidance de rappeler qu’un précédent Président du CC ( R. Dumas ) a reconnu que les comptes de campagne des Balladur et Chirac avait été bidouillés à l’extrême pour rentrer dans le moule. Je ne m’appesantirai pas non plus sur la présence d’1/3 des membres du CC ayant eu maille à partir avec la justice.

    L’illégitimité doit provoquer le refus d’une légalité arbitraire parce qu’elle conduit à une servilité sans limites.

    Bonne journée

    * je n’ai aucune sympathie pour le catho Fillon ni aucun regret vis à vis de son destin.

    source : Canard enchaîné du 12/04/2023 page 3

  5. Philippe Labansat

    Tu as raison, Jean-Marie.
    Selon moi, dans ce dernier chapitre, la 5ème République est allée au bout du bout, à la dernière limite. Elle est dans la nasse, rien ne peut plus la sauver, qu’elle que soit la décision de ce soir.
    Ce serait bien que tu mettes cet article sur Facebook, qu’on puisse le partager.
    Merci

  6. facon jf

    Autopsie du CC avec comparaison des institutions comparables ailleurs dans le monde.

    https://elucid.media/democratie/conseil-constitutionnel-cour-judiciaire-ou-ehpad-dore-pour-politiciens/?mc_ts=crises
    conclusion de l’article :
    Tout ceci vient d’être remarquablement synthétisé par la professeure de droit public Laureline Fontaine : « Ces membres ne sont pas indépendants de la chose politique. Ils ont tous eu une carrière politique en leur propre nom ou gravité depuis des années dans les arcanes politiques. […] Souvent, dans leur activité, ces figures pensaient que le Conseil constitutionnel ne devait pas être un contre-pouvoir pour ne pas gêner l’exercice politique. Une fois de l’autre côté, elles continuent souvent de penser la même chose. »

    Ce serait donc une belle surprise que la réforme soit balayée par le Conseil constitutionnel. On ne peut que le souhaiter, mais il ne faut pas trop compter là-dessus ! Si une bonne surprise survenait le 14 avril, cela aurait ainsi été décidé soit en relative coordination avec le gouvernement pour lui permettre de sortir de cette crise, soit par simple peur du désordre causé par un Président forcené, à qui ils souhaiteraient montrer qu’il existe des limites.
    Par Olivier Berruyer 14/04/2023 rubrique Démocratie

  7. christian grené

    Jean de La Fontaine, que tu évoquais récemment, m’a souffé le titre de cette fable qui se déroule sous nos yeux alors que je déambulais dans les rues chaudes qui conduisent de l’Elysée à Matignon en passant par les palais Bourbon et du Luxembourg: Députés des Macron. Je vous fais grâce de la morale.

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