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Le one man show au poil d’Ismaël

Le rideau est baissé. La Médina de Fès s’éveille peu à peu au fur et à mesure que le soleil agressif envahit la ville. Le rendez-vous pris à la volée pour dix heures devient compromis. C’est probablement une habitude puisque le coiffeur-barbier a affiché bien en vue son numéro de téléphone mobile. S’il n’est pas là il suffit de l’appeler pour qu’il accoure aussi vite que possible. Il lui faut une vingtaine de minutes pour traverser la vieille ville et apparaître au bout de la ruelle dans laquelle est installé son salon. La température déjà élevée ne semble pas avoir perturbé sa marche forcée.

Son client devenu au fil des séjours son ami n’avait guère d’inquiétude sur la fiabilité de celui qui se révèle un excellent professionnel de l’entretien de la barbe et de la chevelure. Il ouvre sur un salon avec des fauteuils en cuir patiné par l’usage qui occupe l’essentiel de ce qui ressemble davantage à un atelier qu’à un salon. « Soyez indulgents avec lui explique un restaurateur voisin venu lui apporter une bouteille d’eau. Il a terminé sa journée à trois heures du matin. C’est tous les jours comme ça. » Ismaël embauche d’habitude seulement vers onze heures et il a donc été privé d’une heure de sommeil. Pas grave. L’amitié et le plaisir de coiffer des Français compensent cette carence.

Les consignes sur les besoins du « patient » étant donnée, l’artiste se lance sans une hésitation. Sûr de ses gestes et de son talent, il s’empare d’un tondeuse portative pour attaquer par le bas la toison pourtant déjà courte de celui qui lui accorde avec une certaine jubilation sa confiance. Le bourdonnement très léger lance un récital qui ne s’arrêtera que plus de trente minutes plus tard. Ismaël ne connaît que très peu l’usage de l’effet ciseau pour confier la confection du dégradé à diverses têtes d’une tondeuse manipulée avec une étonnante dextérité. Rien d’exceptionnel hormis cette sûreté des choix ou ce coup d’œil d’adaptation au contexte capillaire.

Concentré il répond avec une formule convenue à tous les passants qui le salue depuis la rue. Certains s’étonnent qu’il soir aussi matinal. D’autres souhaitent savoir s’il en a encore pour longtemps. Les plus prévoyants s’inscrivent pour la fin de journée ou le début de la nuit. Ismaël a son public, ses relations, sa situation sociale dans la quartier. S’occuper des touristes constitue une vraie référence et une reconnaissance qu’il entretient avec une application de bon élève.

D’une tondeuse à l’autre, il virevolte autour du crâne pour assurer l’essentiel : dégager la nuque et ajuster les cotés pour une symétrie absolue. Au poil près ! Ismaël passe et repasse pour fignoler le boulot avant de s’offrir le dessert du jour : s’occuper de la barbe que son visiteur a négligé depuis quelque temps pour qu’elle soit suffisamment broussailleuse ! Il va donner toute la mesure de son savoir-faire. Il aborde la taille avec tendresse et précaution.

Il caresse avec son peigne ce qui dans sa culture constitue l’attrait principal d’un visage d’homme. Des dreadlocks s’agitent dans tous les sens. Il se penche pour juger de l’ouvrage. Il cisèle les frontières de la partie pileuse. La tondeuse de précision a effectué sa réapparition. La finition constitue son obsession.

Il jauge. Il scrute, il ajuste jusqu’au moment où il estime que l’ouvrage n’a point besoin d’être remis sur le métier. Le barbier de Fès sort alors d’un tiroir un rasoir couteau qui constitue l’ultime outil nécessaire à la perfection du boulot. Une fine couche de crème atténuera le passage de la lame.

Il manie avec la préciosité d’une anglaise buvant son thé, la lame destinée à enlever les délaissés de la gorge. Ismaël recherche la perfection. Il farfouille dans les narines et les oreilles pour justement débusquer les poils disgracieux. Les sourcils n’échappent pas au nettoyage de printemps. A l’aide d’un fil qu’il torsade, la chasse aux moindres intrus poilus se poursuit au grand désespoir de celui qui subit cette torture à l’ancienne.

Un nuage de talc pour effacer les irritations, une brume de parfum dont l’odeur rappelle les salons des coiffeurs français d’antan, une friction vigoureuse des cheveux raccourcis : la séance s’achève. Un vrai spectacle passionné et passionnant s’achève. Ismaël a tout donné pour épater la galerie. Il a sorti le grand jeu.

Ses potes passent la tête dans l’encadrure de la porte pour une plaisanterie, un commentaire sur le foot ou pour simplement récupérer un renseignement. Il est heureux, simplement heureux…comme son collègue de Belleville cher à Serge Reggiani mais il ne chante pas.

Cet article a 4 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Moi, je connaissais « le barbier de Séville »… Merci de m’avoir fait connaître celui de Fez. Quant à celui de Belleville, hélas, notre Serge n’est plus là pour nous le chanter… !

    1. christian grené

      Buenas tardes Laurita. Le barbier de Séville d’accord, mais notre Figaro? Il ne faisait pas le beau au marché, lui.

      Je sens qu’avec ma çonnerie, la dernière, je vais finir avec la raie au beurre noir.

  2. J.J.

    Ça me fait penser qu’il faut que j’aille chez le coiffeur (qui en réalité sera une coiffeuse, mais je ne sais laquelle, c’est la loterie dans la « chaîne » qui est installée tout près).
    Pour avoir un coiffeur, ou plutôt un barbier(de qualità) il faut aller en ville où ces boutiques fleurissent, avec la façade parfois ornée de cette espèce de cylindre orné de spirales tricolores qui servait d’enseigne aux coiffeurs. Ces officines, souvent luxueusement aménagées sont tenues généralement par des gens au type très méridional, c’est la grande mode.

    Où est-il mon petit coiffeur du coin, où l’on se retrouvait entre voisins ou vieilles connaissances, dernier salon où l’on cause, où l’on « taillait le bout de gras », pendant qu’un client se faisait déboiser la colline ?

    Lorsque l’adjudant de compagnie veillait au bon ordre capillaire du peloton, on l’entendait parfois maugréer : « Untel, faudra voir à aller au coiffeur ! »
    À quoi j’ai entendu parfois répondre par un insolent : « Mon adjudant, on va Au bordel, mais on va CHEZ le coiffeur. »
    Le gnouf n’était pas loin, mais il y en avait qui se faisaient plaisir….

  3. christian grené

    Il s’fait pas chéchia le Mecque. Il va au Maroc et nous parle de la… Fès.

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