Lorsque l’on dit à Sadirac que l’on a la terre du village collée aux semelles de ses chaussures, ce n’est pas une métaphore, mais une bien belle réalité. Cette glaise grasse, bleue, riche, dont pas un seul cultivateur ne supporterait la présence, poursuit une interminable gestation dans le sous-sol de cette commune de l’Entre Deux Mers girondin où je suis né. Elle reste une terre nourricière ayant permis au cours du dernier millénaire à des milliers d’ouvriers de vivre de leur savoir faire.
Modelée, caressée, étreinte, métamorphosée, cette matière première lourde, attachée à tout ce qu’elle touche, devient exceptionnelle sous les mains du potier qui lui fait tourner la tête. J’ai, dans mon jeune âge, travaillé dans l’une de ces antres obscures, fraîches, où s’opère la métamorphose religieuse originelle, celle qui aurait permis à dieu de rendre vivant un être venu du sol. Le spectacle était fascinant, tellement il était subtil. Les frères Duverneuil dont l’extraordinaire Albert toujours en activité ont porté durant des décennies ce tour de main exceptionnel des inventeurs de formes et de techniques.
Un régal, un pur bonheur que celui de voir naitre, à partir d’un bloc grisâtre, dénué de tout intérêt, un objet inutile ayant une âme. Le pied gauche qui actionne ce tour des miracles, des mains jointes, amoureuses de la vraie vie, celle qui repose sur une création originale liée à son humeur, à sa sérénité ou à son inspiration. Il était capable de tout. La terre lui obéissait au doigt et à l’oeil, elle ne résistait pas à ses volontés, elle s’inclinait devant son audace. Il lui donnait une existence, constituant une revanche sur le mépris qu’avaient les hommes pour son gisement.
En confiant ensuite à l’air du pays le soin d’inscrire une première fois dans le temps ce produit de son adresse, le potier ou le céramiste accomplit un acte de foi. La chaleur sera en effet la véritable actrice de l’avenir. En entrant dans un four plus ou moins sophistiqué, les œuvres prendront leur forme éternelle si la maladresse des hommes d’ici bas ne l’altère pas avant que le temps fasse son effet.
Méticuleusement, avec le souci de ne pas restreindre les courants d’air, avec le fruit de l’expérience, l’accoucheur empilait ses enfants pour les confier à la flamme. C’est l’incertitude des destins individuels, car nul ne sait combien d’entre eux seront morts-nés et combien auront devant eux la longue vie que l’on espère, pour ceux qui entrent dans le monde. L’enfer leur sert de creuset. Tout se passe dans la souffrance.
L’acte d’amour attentif du début, les prémices, sont remplacés par un monde de douleur. Dévoreur de bois en tous genres, le foyer martyrise son père nourricier et les poteries nues ou enduites pour la métamorphose. Il faut absolument savoir jusqu’où il faut aller pour que la « cuite » soit supportable… et qu’elle donne le plaisir indispensable à son futur acquéreur.
Parfois, des heures et des heures passées à veiller sur cette antre infernale. Pas question qu’elle faiblisse. Impossible qu’elle s’enflamme. Chaque four a ses secrets, à ses mystères, à ses caprices, à ses enthousiasmes. Le jeu excitant de l’amour et du hasard débute. Il peut durer, mais de manière minutée, car la mort lente de l’âtre se programme avec précision. La confiance absolue que le créateur met dans son savoir-faire ne constitue absolument pas une référence de résultat.
La découverte, moment exceptionnel, permet seulement de vérifier que l’on a échappé partiellement ou totalement à un échec. Rien n’est jamais parfait. C’est ce qui fait le charme de la céramique. Toute impatience à s’approprier ce que l’on croit être son bien tourne au cauchemar. Il faut savoir donner du temps au temps, accepter que le destin d’une création échappe à son géniteur. Il ne possède que des droits reposant sur son expérience, et sans aucune certitude sur la texture externe de son œuvre, sur le mélange des teintes, la pureté d’un trait ou la finesse d’un assemblage. En exposant ensuite au regard du public ce dont on est forcément fier, on s’expose à la sanction de l’indifférence.
A Sadirac, chaque année, une quarantaine d’artistes viennent se soumettre au verdict des badauds. Ils espèrent toutes et tous un coup de foudre dans un regard. Il ne peut y avoir pour eux qu’un acte passionnel entre leurs objets et celle ou celui qui souhaite le ramener dans son environnement. Cette exposition aux critiques silencieuses des autres, devient parfois douloureuse si elle débouche sur le doute. L’extraordinaire diversité des étals plonge le visiteur dans un univers magique. Toute l’humanité s’expose : couleurs différentes, tailles différentes, allures différentes, utilités différentes, avenirs différents, valeurs différentes ! Tout est déraisonnable dans ce rapport entre un objet inanimé ayant forcément une âme, celle donnée par son créateur, et un chercheur des bonheurs provoqués par l’amour du beau !
Cette fête (1) ne m’a jamais paru aussi luxuriante, aussi éclatante, aussi resplendissante sous ce ciel mêlant les nuages sombres et les rayons précis d’un soleil hésitant. Les émaux brillent, les couleurs explosent, les ombres donnent un double à chaque réalisation. Toutes issues du même matériau, elles sont toutes uniques par la magie du feu ou grâce à l’inspiration quotidienne des artistes.
Rugueuses ou polies, ventrues ou élancées, sobres ou chargées, affinées ou volontairement grossières, utilitaires ou décoratives, robustes ou fragiles, plates ou galbées, ostentatoires ou modestes, les céramiques, les grès, les poteries transcendent les cultures pour devenir les symboles de l’intelligence créative. On ne peut que se sentir humble en parcourant les allées de ce vaste marché de l’art. On y passe et on y repasse sans se décider à aimer un étal plutôt que l’autre, car tous ont leur charme.
Avec la sculpture, ce modelage de la terre et son habillage luxueux reste l’art le plus proche de la nature. L’eau, la terre et le feu sont réunis par un être humain pour créer. Seule l’intelligence des mains permet ce miracle qui relève de l’alchimie intime de la création… un acte totalement déconnecté de ce culte du profit qui ronge les esprits.
(1) Elle se déroule ce week-end sous la halle Lapaillerie au cœur du Bourg de Sadirac. Entrée gratuite ainsi qu’au musée de la poterie et de la céramique
(2) Poterie Albert Duverneuil 19 Rte de Lorient, 33670 Sadirac fabrication de briques, tuiles et produits de construction et de céramique.
Ah! Sadirac, Sadirac, Sadirac…
Que de souvenirs tu fais remonter Jean-Marie!
En effet, je suis né à Fronsac et j’ai vécu jusqu’à mes 8 ans dans la glaise, celle qui façonnait la tuilerie de mes parents.
Mon père m’emmenait lors des vacances d’été dans la carrière au pied du tertre de Fronsac pour extraire l’argile qui servait à fabriquer les tuiles (surtout) et des briques.
C’est comme cela que j’assistais (à bonne distance) ébahi à l’explosion des bâtons de dynamite placés dans des trous pour faciliter l’exploitation de cette précieuse matière première.
Ensuite, cette terre était ramenée à la tuilerie et étalée sur le sol où elle était émiettée à la main avec des « massettes » avant d’être transférée dans une cuve qui alimentait la machine à fabriquer les tuiles ou briques selon le choix.
Après le façonnage, les tuiles et briques séchaient sur des supports en bois dans de vastes hangars car il fallait beaucoup de tuiles pour remplir le four monstrueux qui allait engloutir toute la production à laquelle s’ajoutaient des pierres de calcaires qui, une fois cuites, donnaient la chaux utilisée à l’époque pour sulfater les vignes…
La période de chauffe était particulière et durait plusieurs jours et nuits, et mon père et ma mère se relayaient jour et nuit pour alimenter et surveiller le feu!
Un travail de titan et je comprend maintenant pourquoi mes parents ont saisi l’occasion de quitter cette entreprise (qui fonctionnait avec quelques ouvriers et mes 2 oncles) dès qu’ils l’ont pu.
A l’autre bout du village, toujours au bord de la rivière, il y avait une autre fabrique qui, elle était spécialisée dans la poterie et qui a fonctionné longtemps.
Voila, je n’ai que des souvenirs heureux de cette période où les semaines étaient entrecoupées des Dimanches consacrés à la belle saison à la pêche sur la Dordogne. C’était l’époque révolue où l’on remontait dans les filets aloses et lamproies à foison…
Bonne journée à toutes et tous.
Christian serait il sans culotte dès ce matin ?
Comme dans tout œuvre, on peine, à voir dans l’objet terminé et parfois la banalité de son utilisation, le côté merveilleux, magique du travail du potier, que l’on peut assimiler, et ce fut sans doute le cas dans les « temps anciens » à une forme de sorcellerie.
La poterie d’art, qui se développe, et est justement considérée comme un art permet de mieux prendre conscience de cette prodigieuse activité.
Je suis toujours émerveillé, béat d’admiration devant les mains du potier qui pratiquement sans bouger caressent, façonnent l’argile et lui imposent sa volonté, contrairement à l’officiant qui fait de grands gestes symboliques et stériles dans le vide.
Ah les Sans culotte !
Amicalement, Gilbert de Pertuis et l’Alsace a ses potiers :
https://photos.google.com/share/AF1QipPEFjOMVzEL00SZwTpDMcUvjH85dw1AE5TmAGcAubg91Cq0otrU_jE8DNr735OYdA?key=d1VkUjBfanpCWFhCOFRQd2JuYU5hOVhEbDhvdzZ3
Chaque matin, à la maison, le thé et le café matinal se prennent dans des bols de Soufflenheim.
Très bien !
Chez nous à Pertuis-Vaucluse nous avons différents poteries d’Alsace : Les poteries de Soufflenheim en terre cuite. Ces poteries vernissées nous servent à la cuisson des aliments : la terrine au baeckeoffe et le moule au kougelhopf. Et nous avons aussi, en guise d’ornement décoratif des poteries de Betschdorf faites en grès au sel, dans des tons gris et bleu de cobalt. Bien à tous, Michèle, et Gilbert aux 83 printemps
Bel hommage de cet art et de ses artisans-artistes!
Dans ma jeunesse, je me suis frottée à cet artisanat . J’avais choisi une option » arts manuels » à l’Ecole Normale. J’en ai gardé un souvenir fort du plaisir charnel de la plasticité, de la force nécessaire contrastant la douceur de cette matière qui pouvait se révéler rebelle. Ce fut aussi le plaisir de la création, la déception parfois à la sortie du four. Cela apprend la patience et l’humilité de l’humain face à la matière originelle. Je m’étais plongée dans l’histoire de cette pratique, découvrant avec délice l’art chinois et étrusque. Une aiguillère avec décor en creux, mon « chef d’oeuvre » de fin d’etude dort peut-être encore sur une étagère de ma prof, femme extraordinaire qui m’avait laissé le champ libre de la découverte. De temps en temps, je suis revenue mettre les mains dans la glaise, en douce. Je m’etais dit qu’à la retraite, j’aurais le temps de…….. ce regret me poussera demain jusqu’à Sadirac. Promis, juré.
Quant j’étais en 6e ou 5e, je suis allée à Fronsac avec la prof. de sciences nat., Mme Boireau, que beaucoup ont connue, visiter la fabrique de tuiles …